Faut-il recevoir des dictateurs africains à l’Elysée ?
par TSAKADI Komi
vendredi 8 septembre 2006
Le président Chirac a reçu hier, à l’Elysée, Faure Gnassingbé, chef de l’Etat togolais, en visite officielle en France. Si cet événement ne représente rien aux yeux des Français, pour bon nombre d’Africains, et notamment des Togolais, cela représente la légitimation par les autorités françaises d’un dirigeant africain qui, au lendemain de la mort de son père, Gnassingbé Eyadéma (qui a régné sur le Togo pendant plus de trente-huit ans), en février dernier, s’est emparé du pouvoir à la suite d’élections entachées de fraudes massives, de répressions et de tueries.
On se rappelle que l’ancien ministre des affaires étrangères, Michel Barnier (UMP), déclarait au lendemain de ces élections : « Nous sommes heureux des conditions globalement satisfaisantes dans lesquelles se sont déroulées les élections [...] malgré un certain nombre d’incidents. » Elections qu’il considérait comme un « succès », alors que les médias français ont rapporté des fraudes massives avec des images des militaires qui volaient et détruisaient des urnes.
Une mission du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, dirigée par Doudou Diène, rapporteur spécial de l’ONU sur le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, a rendu public un rapport sur les violences qui se sont déroulées au Togo. Ce rapport reconnaissait qu’entre 400 et 500 personnes avaient été tuées entre le 5 février (décès du président Gnassingbé Eyadéma) et 5 mai (entrée en fonction de Faure Gnassingbé). Les membres de l’ONU ont mené l’enquête durant dix jours, au mois de juin dernier. Selon leur rapport, « un degré jamais enregistré de violence » a régné sur le pays.
Des partis politiques de la gauche française, notamment le Parti communiste et les Verts, ainsi que des ONG comme Survie (www.survie-france.org) ont dénoncé le 5 septembre, au cours d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale, cette visite officielle : « Les partis de gauche s’associent pour dénoncer cette visite. Cette réception très officielle qui est réservée à Faure Gnassingbé témoigne d’une volonté de la France de couper l’herbe sous les pieds de l’Union européenne qui a une autre lecture de la situation politique au Togo », a déclaré le député des Verts, Noël Mamère. Selon ce dernier, les autorités françaises « ont légitimé le pouvoir illégitime d’un homme arrivé au pouvoir par les armes ».
« La politique de la France consiste à aider les dictateurs africains, à les armer contre les peuples. Nous pensons qu’il est temps que la France change de politique sur le continent », a-t-il notamment indiqué, appelant par ailleurs « à la mort de la Françafrique » et à la dissolution de la cellule africaine de l’Elysée. « Nous sommes scandalisés de voir la France, chantre de la démocratie, dérouler un tapis rouge à Faure Gnassingbé qui est arrivé au pouvoir sur un tapis de sang. »
« Tous les dictateurs doivent être déclarés persona non grata », a pour sa part déclaré la présidente de l’ONG Survie.
Cette visite du dirigeant togolais à l’Elysée fait suite à celle, en juillet, de Monsieur Paul Biya, président du Cameroun, à la tête de ce pays depuis plus de vingt-trois ans ; à celle d’Omar Bongo, président du Gabon (le 29 août 2006) qui dirige son pays depuis plus de quarante ans, et à celle d’Idriss Deby, président du Tchad (le 4 septembre), qui vient d’être reconduit à la tête du Tchad, à coups de tripatouillages constitutionnels et de mascarades électorales, après plus de quinze ans au pouvoir.
On peut se demander pourquoi le président français, en fin de mandat, reçoit successivement des dirigeants africains qui oppressent leurs peuples et qui leur dénient le droit à une alternance. Ce faisant, il contribue à cette dénégation du droit à l’alternance politique des Africains.
S’il est indéniable que la France a besoin des pays africains pour assurer la pérennisation de son statut de puissance (contrairement à ce que M. Sarkozy avait déclaré en disantque la France n’avait pas besoin de l’Afrique), ce continent apportant le clientélisme qui permet à l’Etat français d’être un acteur des relations internationales, cela ne doit pas se faire aux dépends des peuples africains maintenus dans la dictature sous prétexte d’une hypothétique stabilité. Le risque de guerre est plus élevé dans les pays où règnent la répression, le refus d’alternance et l’absence de droits politiques.
Il est révolu, le temps où Louis de Guiringaud déclarait dans L’Express - 15 décembre 1979 - : « L’Afrique est le seul continent qui soit encore à la mesure de la France, à la portée de ses moyens. Le seul où elle puisse encore, avec 500 hommes, changer le cours de l’histoire. »
Il est urgent de voir la France réviser sa politique africaine, et on ose croire que les élections présidentielles prochaines en offriront l’occasion.
Komi TSAKADI