Guerre en RDC : l’Eglise est-elle habilitée à intervenir pour mettre un terme au conflit à travers le dialogue ?

par Christ Exauce Marsala
samedi 8 mars 2025

Depuis le 4 février, les évêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) et ceux de l’Église du Christ au Congo (ECC) ont remis au Chef de l’Etat de la République Démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekédi, un projet contenant des propositions afin de sortir ce pays de la crise sécuritaire qu’il traverse dans sa partie orientale. Considérant les réactions provoquées, dans la classe politique congolaise, après la prise de position des pères spirituels, d’aucuns se posent la question de savoir si l’église devrait rester politiquement neutre, en raison de sa juste obligation de prêcher la foi ?

Depuis l’accentuation de la crise sécuritaire à l’est de la RDC, les représentants des églises catholique et protestante ont rencontré plusieurs chefs d’Etat, notamment, Félix Tshisekédi de la RDC, Paul Kagamé du Rwanda, William Ruto du Kenya et Denis Sassou N’Guesso du Congo. Le 4 mars dernier, ils ont échangé avec le président Yoweri Museveni, en Ouganda. Les prélats catholiques et protestants de la RDC ont, par la suite, rencontré les présidents des institutions publiques, les leaders des groupes armés et les opposants. A la fin de ces rencontres, ils déposeront un rapport au chef de l’Etat congolais, Félix Tshisekédi.

Au terme de leurs entretiens avec le président, Denis Sassou N’Guesso, le Révérend pasteur Erick Senga, porte-parole de l’Église du Christ au Congo (ECC) a expliqué : « Notre étape ici à Brazzaville consacre justement la nécessité que nous accordons au vivre ensemble, en tant que valeur fondamentale, puisque le conflit en RDC ne touche pas que les Congolais, car nous partageons les frontières et les communautés communes. C’est tout à fait normal que lorsque les processus de Luanda et de Nairobi sont aujourd’hui fusionnés, que nous regardions du côté de l’Afrique centrale. C’est ce qui nous a conduits ici à Brazzaville pour solliciter l’implication personnelle du président Denis Sassou N’Guesso. » Il a ajouté qu’ils ont été « enrichis et bénis ». « Nous avons suivi de sages conseils, et nous estimons qu’à notre retour, nous pouvons beaucoup contribuer avec ces éléments de sagesse.  », a-t-il affirmé.

Aussi, dans un message sur X, l'ECC explique qu'après échanges très profonds et éclairés, le président ougandais a bien accueilli cette initiative et a marqué son accord pour un dialogue franc autour de la paix dans la région. Le président du parti Engagement Citoyen pour le Développement (ECIDE), Martin Fayulu, pour sa part, a salué, le 27 février , l’initiative de la CENCO et l'ECC pour la restauration de la paix dans l’est de la RDC. Cet opposant au régime de Tshisekédi est d’avis que la démarche des catholiques et protestants, intitulée « Pacte social pour la paix et le bien vivre ensemble dans la région des Grands lacs », ne se limite pas à un simple appel à la paix mais plutôt une refonte profonde de l'approche politique du pays.

Cette initiative des hommes d’église de la RDC n’a pas que des partisans. L’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) a exprimé, le 11 février, sa désapprobation à l’initiative du dialogue social que prônent les évêques catholiques et protestants. Ce parti présidentiel a fait part de son point de vue dans une déclaration politique publiée à Kinshasa et signée par son président ad intérim, Augustin Kabuya. Dans sa déclaration, l’UDPS/Tshisekédi a rappelé que les groupes rebelles M23/AFC en tant que groupes armés, peuvent être intégrés au processus de Nairobi à l’instar d’autres groupes armés congolais mais qu'il ne pourrait pas avoir de négociations directes entre le gouvernement et cette rébellion soutenue par le Rwanda. 

De même, l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) , une organisation citoyenne, dans un communiqué rendu public, le 11 février à Kinshasa, a rapporté qu’aucun dialogue ne se tiendra en RDC avec le président rwandais et ses supplétifs alliés. Le même avis est partagé par le parti politique dénommé " le Centre" qui a déclaré que, l’initiative des pères de l’église est une démarche biaisée en amont et dont l’impact sur la guerre sera « nul si pas négatif ».

       Eglise et enjeux politiques en RDC

Au-delà de ces divergences de vues, il faut savoir qu'avec près de 45 millions de fidèles, la RDC est un pays qui a une histoire singulière avec l'église, où elle a accompagné la consolidation de la conscience démocratique. Le caractère laïc de l'État est inscrit depuis 1974 dans la constitution. Il n'y a pas de religion d'État et chaque congolais est libre de pratiquer la religion de son choix. Le pays, en effet, compte environ 40 % de catholiques (49 % selon le Vatican), 35 % de protestants ou affiliés aux églises de réveil, 9 % de musulmans, 10 % de kimbanguistes (église chrétienne née au Congo).

Depuis l'époque coloniale, l'église catholique a toujours eu en RDC le rôle de « contre-pouvoir », et la voix des évêques fait écho bien au-delà du cercle des catholiques. Très tôt, elle s'est rapprochée de l'élite locale, de sorte que les premiers pères de l'indépendance sont sortis des cercles de réflexion créés autour de l'église catholique. En 1974, sous le règne de Mobutu (1965-1997), le caractère laïc de l'État est inscrit dans la constitution. Mais l'église du Zaïre (ancien nom de la RDC), à travers ses évêques, a continué à jouer un rôle de premier plan, parvenant dans des périodes critiques à imposer un consensus au niveau national.

Donner le meilleur de soi, idées, conseils mais surtout prier pour que le gouvernant – qui a, lui, le devoir d’aimer et écouter son peuple – puisse gouverner correctement : tel est le devoir du bon catholique rappelé par le pape François, le 16 septembre 2013, aux fidèles rassemblés dans la Chapelle Sainte-Marthe pour la messe du matin. Et s’il arrive que « nous entendions dire qu’un bon catholique ne se mêle pas de politique, sachez que ce n’est pas vrai, que ce n'est pas le bon chemin à prendre. Donnons le meilleur de nous-mêmes, les idées, les conseils, ce que nous avons de mieux : la prière. Prions pour les dirigeants, pour qu'ils gouvernent bien, et notre pays ira dans la bonne direction, il ira de l’avant, ainsi que monde, pour la paix et le bien commun ». A-t-il martelé.

Comme on le voit, la mission fondamentale de l’église consiste à défendre sans aucune ambiguïté les principes de vérité et de justice, qui sont des droits fondamentaux à tout homme et à tous les peuples. Nous pouvons l'affirmer sans risque de nous tromper que, l’église, corps du Christ, n’est inféodée à aucune organisation politique. Sa seule préoccupation est de contribuer au bien-être du peuple tout entier, à la sauvegarde et à la promotion de la dignité de la personne humaine, au respect de la vie, des libertés et des droits fondamentaux.

Pour le cas de la RDC, lors de la période trouble des années 1990, Mgr Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani (Nord-Est), a été au centre des négociations politiques ayant ouvert le pays au multipartisme. En 2006, pour les premières élections présidentielles démocratiques au Congo, l'église a dirigé la commission électorale nationale indépendante et assuré l'observation électorale. Dix ans plus tard, en 2016, à la fin du deuxième mandat de l'ancien président Joseph Kabila (2001-2018), c'est encore l'église qui va accompagner le peuple pour exiger le respect du délai constitutionnel dans l'organisation de nouvelles élections. En RD Congo, le 16 février est aussi une date historique, qui rappelle la marche des chrétiens en 1992, pour réclamer la réouverture de la conférence nationale souveraine, ouverte à Kinshasa le 7 février 1991, et fermée le 19 janvier.

      Nécessité d’un sursaut patriotique

Selon Mgr Nshole, l’objectif premier de cette démarche est de « produire au pays, aux futurs dirigeants, le socle de la refondation de l’État  ». Il ne s’agit pas « d’aller tout droit sur les questions de modalité de partage de pouvoir », mais d’organiser « des ateliers (…) animés par les experts » qui « réfléchissent sur la gouvernance de l’État  », a expliqué l'homme d'église. La conviction, a renchéri Mgr Nshole, est qu’avant toute médiation internationale, le remède au conflit interne à un pays devait partir de son sein même. «  On aura beau trouver des accords au niveau du processus de Luanda et de Nairobi fusionnés, mais tant que les problèmes internes ne sont pas bien réglés, on n'avancera pas », a-t-il affirmé tout en précisant, il faut que «  les Congolais s'assoient d'abord et trouvent un consensus sur la façon dont l'État doit être mené ». Par ailleurs, c’est seulement en parlant «  d’une seule et même voie » que le discours congolais pourra se faire valoir dans la résolution du «  conflit qui l’oppose à ses voisins ».

Telle qu’exposée par Mgr Nshole, la démarche des prélats catholiques et protestants semble être louable, en ce sens qu’elle balise la voie pour favoriser un dialogue inclusif pour la paix et la cohésion sociale. Les intentions que les partisans du pouvoir semblent prêter aux hommes d’église, d’être à la solde des rebelles et du Rwanda , ne pèsent pas lourdes sur la balance. On ne peut pourtant imaginer des pourparlers sans l’AFC/ M23, comme il en faut avec tous les groupes impliqués dans la déstabilisation de la RDC.

En clair , en cette période difficile où la RDC est à feu et à sang, barrer la route à toute initiative qui concourt à la paix, c’est cracher sur la mémoire des congolais (plus de 8000 morts à Goma) qui ont payé de leur sang le prix de cette guerre. Quoi que la situation semble préoccupante sur le terrain par rapport à l’avancée des rebelles, l’espoir est encore permis à la RDC pour sortir du bourbier dans lequel elle est enlisée. L’essentiel pour la classe politique est d’y mettre la bonne volonté et de s’y engager véritablement. D’où la nécessité d’un sursaut patriotique. Certes, les hommes d’église ont déjà montré le chemin, comme dans le passé. Il reste aux autres forces vives d’emboîter le pas en mettant leurs « égos » de côté. Comme disait le défunt Benoît XVI, « l'Église n'apporte pas de solution technique », elle n'impose pas de solution politique, mais elle invite à la sagesse, à l'unité, à la paix et à la réconciliation.

A notre avis, ces paroles appellent à la responsabilité des uns et des autres. Il s’agit clairement pour le peuple de prendre son destin en main et pour les politiques de continuer à assumer leur mission avec humanisme, déontologie et éthique.

 


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