Histoire d’une loi ou négationnisme d’Etat

par Emile Red
mercredi 18 octobre 2006

Alors que Stockholm encense de son prix Nobel le grand écrivain turc Orhan Pamuk, nos députés s’épanchent sur le génocide arménien.

Comme ce fut le cas pour la loi sur la colonisation, il y a peu, nos députés se substituent une nouvelle fois aux historiens en légiférant sur un évènement qui ne concerne en rien notre pays, notre nation, notre civilisation ou notre tradition. D’aucuns pourraient soumettre la comparaison avec la Schoa qui en son temps fut sujet aussi à législation, pourtant en ce cas l’implication française était flagrante autant dans ses responsabilités que par ses victimes.

On est en droit de se demander pourquoi s’arrêter aux seuls Arméniens, alors que souffrent encore dans leur chair des milliers de Cambodgiens pour lesquels notre pays n’est point exempt de responsabilités. Pourquoi, non plus, ne pas dénoncer les multiples génocides des natifs américains, et pourquoi pas celui des Boers qui étrennèrent les premiers camps de concentration.

Pourquoi donc la France ne dénonce-t-elle pas aussi son implication au Rwanda ?

Reconnaître des évènements historiques n’est, en soi, aucunement répréhensible ; il en va tout autrement lorsque des élus décident d’en faire un acte judiciaire mettant en cause le droit fondamental inscrit dans notre constitution.

La liberté d’expression est un outil d’historien, quand on la muselle, on décrète un anathème sur le travail de recouvrement de l’histoire. Et pourtant, qui peut dire ce que fut ce génocide, combien il y eut de victimes, quelles en furent les causes ?

Dans le monde actuel, où le manichéisme prend le pas sur la vérité, il paraît simple de mettre le peuple turc au ban des accusés, seulement cela fut-il si simple en ces temps troubles de Première Guerre mondiale, les Arméniens n’eurent-ils aucune responsabilité dans ce qu’il advint ?

La loi française nous interdit définitivement de le savoir, sous peine d’amende ou d’emprisonnement ; jamais nous ne saurons les implications du Dashnak arménien aux côtés des alliés et de la Russie durant cette guerre, la chape de plomb est tombée.

Par contre, rien ne nous interdit de prétendre que la Turquie a explicitement reconnu ce génocide à plusieurs reprises, en octobre 1919 à la Conférence de Paris, puis en août 1920 lors du Traité de Sèvres ; on peut regretter, cependant, que lors de la négociation du Traité de Lausanne, en juillet 1923, les alliés n’aient pas exigé pas de nouveau cette reconnaissance d’une manière définitive.

En ce qui concerne le nombre de victimes, aucun accord, les Arméniens avancent 1 500 000 morts, le gouvernement turc entre 500 000 et 600 000, la communauté internationale reconnaîtrait le chiffre arménien comme plausible, pourtant fortement sujet à caution si on fait une simple addition entre la population restante et le nombre de réfugiés partout en Europe et au Moyen-Orient, sachant qu’on estimait la population à 2 200 000 avant 1915.

Trêve d’histoire, nos élus ont réglé le différend de la pire façon, grevant une longue amitié entre nos deux pays. La Turquie aujourd’hui tâche de soigner une gueule de bois infligée par son modèle démocratique qu’est la France, Atatürk doit se retourner dans sa tombe.

Forte de ses 600 000 membres, la communauté arménienne de France a gagné son pari, au mépris de la tradition laïque française qui implique de traiter chaque citoyen dans la plus stricte égalité. Nous nous réveillons avec des citoyens plus citoyens que d’autres, parce que l’histoire de leurs aïeux a franchi les frontières de notre droit ; on ne peut reprocher de garder un souvenir de ses origines, en revanche il devient insupportable que ce souvenir soit érigé en bannière ostentatoire et agisse dans notre société.

Une telle ouverture ne manquera pas, dans l’avenir, de générer une multiplication de ces lois suicidaires, quand les Occitans réclameront la reconnaissance de leur passé cathare et de leurs différences, quand les Bretons manifesteront leur celtitude, et que les Vendéens réclameront des subsides comme dédommagements à leur massacre passé, et aucune raison aujourd’hui ne peut empêcher les Basques de prétendre à un département autonome, et les Corses à un traitement de faveur.

Ce vendredi 13 octobre a signé la "désunité", point ultime de la "désunicité" de la nation française.


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