Intelligence économique : va-t-on enfin arrêter de parler de retard français ?

par François JEANNE-BEYLOT
mercredi 18 octobre 2006

Depuis 1994, date du rapport Martre au Commissariat général au plan, il est de bon ton de dire que la France est en retard en matière d’intelligence économique. Le dernier en date à publier un article sur ce sujet est M. Bernard Carayon, qui, la semaine dernière, a contribué à « la Revue internationale et stratégique » avec un article intitulé « le retard de la France en intelligence économique ». L’auteur s’évertue d’ailleurs à le répéter depuis le second rapport commandé par l’Etat sur l’intelligence économique dont il est l’auteur (« Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale » 2003)

Alors la France est-elle vraiment en retard en matière d’intelligence économique ?

Il convient à mon sens de distinguer d’abord deux types d’intelligence économique ; au niveau national, l’Etat intervient pour mener une politique d’intelligence macro-économique. Il accompagne les entreprises qu’il juge stratégiques pour le développement national. Sur ce point la France n’a pas les mêmes armes que ses voisins. Mais le propre de ce type d’intervention est d’être discret, d’agir avant la crise. Les quelques erreurs qui ont été commises dans le passé ont moins de chances de se reproduire aujourd’hui. Le dispositif du haut responsable en charge de l’intelligence économique veille dans l’ombre, et la France comble ce retard.

Au niveau des entreprises non jugées d’intérêt stratégique national, il convient également de faire de l’intelligence économique. Je parlerai alors d’intelligence micro-économique, non moins importante à mon sens pour l’entreprise France. Ainsi, chaque dirigeant, de l’entrepreneur au chef de service se doit de "faire de l’intelligence économique". Arrêtons-nous à ce stade sur la définition du concept dans le rapport Martre : « L’intelligence économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques. » Que dire alors du retard français en la matière ? Doit-on comprendre que les personnes qui prennent des décisions dans les entreprises françaises, à quelque niveau que ce soit, le font sans prendre connaissance préalablement de leur environnement économique ? Qu’elles ne collectent pas les informations nécessaires, qu’elles ne les analysent pas plus et les diffusent encore moins ? Si ce sentiment est partagé par certains technocrates, je comprends mieux pourquoi ils ont du mal à faire passer le message de l’intelligence économique aux PME et TPE françaises. Je partage personnellement un tout autre point de vue, persuadé que chaque décideur digne de ce nom pratique de l’intelligence économique : le responsable des achats effectue une comparaison objective avant de choisir son fournisseur ; le responsable stratégique étudie les offres de ses concurrents avant de définir ses objectifs ; le responsable communication est à l’écoute de son marché, etc. Certes, ces méthodes sont améliorables, mais je reste persuadé que les Français pratiquent l’intelligence économique, parfois sans le savoir. A nous de les aider à améliorer leurs méthodes et à acquérir de nouveaux réflexes.

La France retardée en intelligence économique, par rapport à qui ?

Si la France est en retard en matière d’intelligence économique, cela implique une comparaison, et aussi que d’autre pays sont plus avancés. Rappelons que le terme intelligence vient de l’anglais et que sa traduction juste serait plutôt renseignement. Le mot renseignement souffre dans la culture française d’une connotation quelque peu négative. Les services de renseignement français, aussi brillants soient-ils, ne sont connus par leurs compatriotes qu’à travers leurs lointains échecs... De l’autre côté de la Manche, le mot a un tout autre sens ; dès le XVIe siècle, Elizabeth Ire décide que les fondements de la puissance britannique seront le renseignement et le commerce. Ainsi, les sujets de sa Majesté sont prédisposés à pratiquer le renseignement, à faire de l’intelligence économique. Sur une autre partie du globe, le Japon cultive un usage intensif de l’information au service d’une politique offensive de développement industriel. Il règne sur l’Empire du soleil levant une réelle culture collective nationale d’échange et de partage en matière d’information. Dans la langue japonaise, le mot joho signifie d’ailleurs aussi bien information que renseignement. Et, en France, où l’on apprend aux enfants que la curiosité est un vilain défaut, nous voudrions être au même niveau en matière d’approche de l’information et du renseignement ? Si nous voulons comparer les niveaux des différents pays en matière d’intelligence économique, il faut le faire en tenant compte de cette approche. S’il s’agit de mesurer le retard en matière d’intelligence économique au sens britannique ou japonais du terme, oui, la France est en retard. Mais elle sera toujours en retard car elle n’a pas la même approche.

Ainsi, il convient de développer l’intelligence économique à la française , tenant compte de l’approche française de l’information, de la culture et de l’organisation économique ; et sur ce point, il y a fort à parier que nous serons en avance !


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