Jamais Mahomet n’a prêché la guerre contre l’Occident
par Emile Mourey
mardi 10 octobre 2006
Après les attentats du 11 septembre 2001, j’ai proposé à différents médias l’article qui suit, sans succès. Aujourd’hui, les polémiques autour de l’islam, du Coran et du personnage de Mahomet, les deux derniers débats télévisés de "C dans l’air« et de »Ripostes" montrent à l’évidence la nécessité de revenir aux sources de l’histoire. De même que nous, Français de souche, avons dans notre culture l’épopée napoléonienne avec ses pages de gloire et ses zones d’ombre, de même les Français issus de l’immigration ont droit à leur histoire. Puissent les médias comprendre que ce n’est pas en parlant dans le vide qu’on fera avancer les choses.
En islam, l’apologie du martyre est apparue en Arabie dans une situation de guerre. Il importait en effet de donner aux combattants un esprit total de sacrifice jusqu’à la mort. La bataille de Mouta, pourtant perdue par Mahomet face à une armée gréco-byzantine, est un bon exemple. Pour un musulman de cette époque, la défaite n’existe pas ; l’issue des combats est toujours une victoire. Ou bien c’est l’infidèle qui est envoyé en enfer (premier cas), ou bien c’est le martyr musulman qui monte au ciel (deuxième cas). La bataille perdue de Mouta fut une grande victoire musulmane. Les martyrs musulmans y furent très nombreux, et ceux qui ne le furent pas, s’ils revinrent à Médine, ce n’était pas pour fuir, mais pour être martyrs plus tard.1
Cette apologie du martyre était-elle dirigée contre l’Occident ? Certainement pas ! La bataille de Mouta est un conflit entre Mahomet et le roi de Roum, c’est-à-dire un pays d’Asie mineure dont la capitale était Byzance, alias Constantinople, aujourd’hui Istambul. Dans les rangs des adversaires de Mahomet, il y avait une majorité d’ancêtres des Turcs.
En réalité, on ne trouvera nulle part dans la vie de Mahomet la moindre action ou pensée hostile à l’égard de l’Occident. Quand, au début de son ministère, ses disciples durent s’enfuir de La Mecque, c’est en allant vers l’ouest qu’il trouvèrent refuge, en Abyssinie, royaume chrétien.2 Ses véritables ennemis extérieurs, c’est à l’Est qu’il les a trouvés, chez les princes d’Oman et de Bahrein, et surtout en Perse (l’Irak et l’Iran).3 La seule ambition de Mahomet - il faut le dire une bonne fois pour toutes - fut de réaliser l’unité politique d’une Arabie qui aurait vécu en bonne intelligence et voisinage, notamment avec l’Empire romain d’Occident, mais avec son identité propre. Et c’est bien dans cette optique qu’il a donné à l’Arabie une religion et un prophète... une religion et un prophète à l’image de ce qui donnait un sens à la vie dans les grands pays civilisés de cette époque. De même que le monde chrétien avait son prophète, Jésus, de même l’Arabie se devait d’avoir le sien, Mahomet. Jamais Mahomet n’a prêché la guerre sainte contre l’Occident. Les infidèles, c’est dans les pays arabes qu’ils se trouvaient.
C’est donc bien en Arabie qu’il faut comprendre l’islam de Mahomet, chef de guerre. Les principales batailles qu’il livra le furent contre les habitants de La Mecque - d’après certains témoignages écrits, il semble que la situation qui y régnait alors était condamnable et qu’on y adorait de multiples idoles - mais aussi contre les Arabes et les Bédouins du désert. Il faut ajouter à ceux-là les juifs d’Arabie qui n’ont pas voulu accepter de se placer sous son autorité en entrant dans une ummah dans laquelle se seraient rassemblés, dans un esprit de tolérance, chrétiens, musulmans et juifs de la région.
Les juifs tenaient alors de solides forteresses en Arabie. Par leurs plantations de dattiers, par leur savoir-faire, ils étaient la richesse du pays. Après la chute de leur forteresse de Khaïbar,4 on peut raisonnablement supposer que la plus grande partie d’entre eux sont devenus musulmans. Cette formidable armée verte que Mahomet fit défiler quelque temps après, comme à la parade, ne peut s’expliquer, en effet, que parce que les artisans juifs, fabricants de sabres et de cuirasses, se sont mis à son service.
Quant aux juifs qui ne voulurent pas devenir musulmans, Mahomet les plaça devant l’alternative suivante : la guerre ou leur retour chez eux... à Jérusalem.
Le premier combat qu’il livra contre les récalcitrants fut dirigé contre les juifs Beni Qaïnoqa qui tenaient des lieux fortifiés autour de Médine.5
A cette occasion, l’ange Gabriel dit à Mahomet : « Malheur aux mécréants qui violent un pacte à l’impromptu... Quant à toi, n’agis pas de même, procède avec eux à l’annulation du traité, de façon à retrouver ta liberté en toute justice (Le Coran, sourate VIII, versets 58 à 60). » Mahomet exécuta les ordres qui venaient du ciel : il ne fit la guerre qu’après l’avoir déclarée en bonne et due forme.
Après la défaite des Beni Qaïnoqa, Mahomet eut à se poser la question fondamentale : « Faut-il égorger les hommes et emmener les femmes en esclavage comme le prescrit le Pentateuque des Juifs ? ».6 C’est l’humble Abdallah qui lui donna la réponse, une réponse évidemment négative. Mahomet acquiesça : « Retournez, dit-il aux juifs, sur vos territoires de Syrie. »
Bien sûr, on me donnera l’exemple où Mahomet aurait fait passer au fil de l’épée plus de huit cents juifs après la bataille du fossé.7 Scepticisme de ma part ; aucun auteur ne s’est fait l’écho d’un tel holocauste. Il ne faut pas oublier, d’autre part, que ceux qui relatent les faits d’armes de Mahomet étaient des poètes et s’exprimaient dans un langage imagé. En réalité, les bourreaux musulmans tranchaient la mauvaise âme qui planait au-dessus de la tête des juifs par un coup de sabre symbolique. Et ensuite, ces vaincus devenaient musulmans.
Bien que chef de guerre dans un siècle de violence, il y a une humanité en Mahomet. Ne pas faire souffrir l’innocent est une constante de son action. Après sa grande victoire de Beder sur les infidèles de La Mecque, Allah dit aux prisonniers par la voix de son prophète : « S’il y a de la droiture dans votre cœur, non seulement je vous rendrai la liberté mais je vous donnerai des richesses supérieures à celles que vous avez perdues... Je suis le Clément et le Miséricordieux (Sourate VIII, verset 71) ». Mais dans les rangs d’une armée musulmane avide de butin, on n’acceptait pas toujours bien la nouvelle religion. Depuis sa tente, le Prophète entendait les cris des prisonniers et il en souffrait terriblement. Il ne réussit qu’à faire desserrer les liens du malheureux Abbas.8
En revanche, Mahomet est bien l’inventeur de l’attentat politique, dans le cas où cette solution pouvait faire l’économie d’une bataille meurtrière. C’est dans la ligne de cette stratégie - discutable certes - qu’il a commandité deux coups de main, l’un contre Kab, le chef des juifs Beni Nahdir, et l’autre contre Abou Râfi, le chef des juifs Khaïbar. Mais il faut préciser que le prophète avait donné des consignes pour que soient épargnées, non seulement la population, mais aussi les épouses de ces chefs.9
Mahomet était un chef de guerre, et il faut le comprendre avant tout en tant que chef de guerre. Pour imposer son pouvoir sur l’Arabie, il lui a fallu forger une armée d’une résistance et d’une abnégation totales. L’intendance étant parfois déficiente, il a entraîné ses soldats à jeûner jusqu’à un mois.10 Lors de ce que j’appelle la fausse bataille de Tabouk,11 qui ne fut, en réalité, qu’une épuisante marche disciplinaire, il leur a fait sentir sa main de fer. Avant l’engagement, il les a stimulés en les faisant mettre à genoux et en leur faisant réciter la prière collective du danger. Il les a passés en revue en leur promettant le paradis et en les décorant - ante mortem - du titre glorieux de martyr. Mais, combattant lui-même, il a aussi payé de sa personne. En pleine bataille d’Ohod,12 le bruit courait : « Le Prophète est mort ! ». Puis une autre rumeur parcourut les rangs des musulmans : « Non ! Le Prophète n’est pas mort, il est vivant ! »
Chef de guerre et chef religieux, Mahomet a vécu dans une époque de violence. Beaucoup d’indices laissent à penser toutefois qu’il a voulu faire évoluer les mentalités. A-t-il réussi ? Dans une certaine mesure, oui, dans une autre mesure, non.
Références : 1. page 269 d’un ouvrage ayant pour titre "Mohammed, sceau des prophètes". Extrait d’une Chronique du Xe siècle par Muhammad ben Jarîr ben Yazîd al-Imâm abû Ja`far at-Tabarî ; traduction du persan par Herman Zotenberg, publication française par les éditions Sindbad, 1983.
2. page 86.
3. page 250.
4. page 253.
5. page 178.
6. page 179.
7. page 232.
8. page 167.
9. pages 181 et 186.
10. page 135.
11. page 306.
12. page 189