« Jeunes professeurs, votre innocence m’intéresse ! »

par Paul Villach
lundi 11 septembre 2006

Le Monde de l’Éducation est venu au secours des jeunes professeurs en cette rentrée scolaire en publiant un « Guide du jeune professeur 2006-2007 ». L’intention est louable, mais malheur au malheureux qui croirait y trouver une carte fiable pour s’orienter dans l’univers où il vient de mettre les pieds ! Ce guide est, en effet, un mélange de publicité du ministère de l’Éducation nationale, voire carrément une resucée de certaines de ses instructions idéalistes dont il est si prodigue, et des stéréotypes désuets sur l’école qu’affectionnent les médias.

Il suffit, du reste, de s’arrêter sur la photo édifiante de la première de couverture, où l’on voit en gros plan deux jolies filles suivre intensément leur beau jeune maître dans ses explications, l’index pointé vers un écran. Cette scène, symbolique de ce moment partagé où le savoir se transmet du maître à l’élève, sans doute le jeune professeur la vivra-t-il par instants. On le lui souhaite. Mais, grands dieux, c’est l’abuser que de lui faire croire que ce sera son ordinaire. Le guide oublie de dire que les quatre partenaires de l’école ne poursuivent pas le même objectif : si l’on peut convenir que la transmission du savoir motive en général un professeur, les autres partenaires, malgré les apparences, visent d’autres buts : élèves et parents s’intéressent surtout à « la moyenne » qui garantit un cursus scolaire régulier. Quant à l’administration, elle n’aspire qu’à sa paix en préparant la guerre, tant sont nombreux les motifs d’insatisfaction des uns et des autres. Première pomme de discorde : la note. Il serait ainsi plus utile au jeune professeur de lui faire lire Topaze de Marcel Pagnol. Bien que l’histoire se passe dans un cours privé des années 1920, elle n’a pas pris une ride et concerne l’École publique aujourd’hui. La notation est, en effet, la première pomme de discorde.
- La chicane sur la note d’un fils de baronne et le désarroi du professeur sommé par son directeur de la relever en trouvant obligatoirement une erreur qui n’existe pas, voilà une scène qu’un jeune professeur risque de connaître assez souvent, à deux corrections près : il n’y a pas que les baronnes qui aujourd’hui interviennent effrontément ainsi ! Et une administration préfère prendre les devants avec les professeurs dès le premier jour de prérentrée par divers détours subtils : depuis les notes de « contrôle continu » jugées trop sévères au Brevet des collèges, qui amoindrissent les résultats de l’établissement par rapport à d’autres plus démagogues, jusqu’au souci de soutenir « les élèves en difficulté » que des mauvaises notes forcément découragent. Si le jeune professeur entend le message et se plie à l’injonction insinuée, il s’achètera la paix du côté des élèves et de leurs parents, et donc du côté de son administration, à moins que des parents exigeants - il y en a - ne finissent par découvrir que ses notes sont surévaluées et trompent au bout du compte leurs enfants sur la qualité de leurs travaux. - Ainsi le jeune professeur sera très tôt confronté à un premier problème qui met en cause sa conception du métier, voire son existence : flatter, comme le fait l’univers médiatique pour vendre ses produits, « parce que l’élève le vaut bien  », ou éduquer, mais alors, comme l’exige son métier, au risque de mécontenter, en sachant qu’aujourd’hui, toute mauvaise note et toute critique sont reçues, du fait du climat de flatterie médiatique ambiant, par temps de client et d’enfant rois, comme des signes de malveillance. S’il choisit la seconde solution, qu’il sache qu’il va au-devant de conflits répétés pendant toute sa carrière ! Ça, le charmant « Guide du jeune professeur » se garde bien de le dire ! Il préfére palabrer sur les incessantes réévaluations à la mode... de l’évaluation en fuyant sa fin ultime : le constat par l’élève non seulement de ses acquis mais aussi de ses déficiences, qui donnent précisément lieu à récriminations auprès d’une administration encline à les accueillir, ne fût-ce que pour les mettre sous le coude, dans l’attente d’une utilisation ultérieure, le moment de l’attaque venu. Deuxième pomme de discorde : les règles de la classe. Les règles de la classe sont une deuxième pomme de discorde. Silence et tour de parole régulé entre professeur et élèves conditionnent la bonne compréhension des propos échangés et leur utile discussion éventuelle ; simultanément, la participation de tous les élèves d’une classe dans l’échange détermine la progression de tous et non seulement de quelques-uns. Tel est l’idéal. Mais la réalité est tout autre ! - Nombre de professeurs se satisfont de conduites qui ne devraient pas avoir cours en classe : il suffit de lire comme ils n’hésitent pas, sur les bulletins scolaires, à reprocher étourdiment à des élèves « des bavardages » ! Ils ne se rendent pas compte, les malheureux, que, ce faisant, ils signent, aux yeux de tous, leur propre impéritie pour n’avoir pas su y mettre un terme au premier mot intempestif échangé entre deux élèves hors de la prise de parole régulée. Quand donc de telles conduites s’installent dans les autres cours, le professeur qui exige dans le sien une attention de tous les instants, peut être perçu et dénoncé comme trop sévère : « Il faut bien que les élèves respirent  ! », entend-on dire par certains parents. On peut être sûr qu’un conflit larvé s’instaure, et que les belligérants sont aux aguets dans l’attente désormais d’une faute du professeur. - Surtout que les occasions ne manquent pas ! Un élève ou deux dans une classe peuvent provoquer le clash : un absentéisme injustifié et revendiqué, un refus de prendre les notes comme tout le monde, un ton injurieux - « Pour qui vous vous prenez ? », peut lancer l’élève transgresseur - ou carrément l’injure «  Merde ! » - « Enculé ! ». Quelquefois, ce peut même être l’agression physique, sans aller jusqu’à la tentative d’assassinat comme à Étampes  ! Ça se voit ! Contrairement à ce que raconte « Le guide du jeune professeur », page 32, renvoyer alors l’élève avec rapport ultérieur sur l’incident au chef d’établissement, ce n’est pas « renoncer à faire acte d’autorité », comme le dit sans discernement une principale. C’est au contraire faire acte d’autorité que de rappeler qu’une place dans une classe se mérite au seul respect des règles qui autorisent la transmission du savoir. Un élève qui se conduit ainsi ne peut rien apprendre du cours donné, sauf à s’excuser par la suite avant de revenir en classe et à s’engager à respecter les règles à l’avenir : le droit à l’erreur doit, en effet, être reconnu. Mais on comprend que l’administration et les conseillers d’éducation n’aiment pas que les professeurs usent de « l’exclusion ponctuelle de la classe », prévue par la circulaire du 11 juillet 2000 ; ils sont alors, en effet, mis en demeure de prendre leurs responsabilités à leur tour... et leur tranquillité en est dérangée. Les choses se compliquent quand, renonçant à leur mission, ils apportent leur soutien à l’élève transgresseur sous des allures compassées « psycho-pédagogiques », et qu’ils l’introduisent dans leur stratégie d’affrontement avec le professeur, classé désormais comme « perturbateur ». Car son crime est de troubler « l’homéostasie » de l’établissement, du moins telle qu’eux seuls la définissent. Troisième pomme de discorde : une protection statutaire rarement accordée. L’affrontement avec un élève protégé devient vite conflit ouvert avec le chef d’établissement qui peut, dans la panoplie à sa disposition, selon la formule, « faire donner les parents ». - Rien de plus facile que d’obtenir des lettres de dénonciation de parents courtisans disant leur mécontentement envers le malotru ! On ne parle pas ici de la «  petite frappe » mais du professeur qui, s’il en a eu vent, se verra refuser la communication de ces lettres de dénonciation, en vertu d’une loi liberticide de la majorité de gauche plurielle du 12 avril 2000 visant à protéger les délateurs au détriment de leurs victimes ! - Mais si, par le plus grand des hasards, il a tout de même la chance de tomber sur l’un de ces courriers, le professeur pourra demander la protection statutaire prévue par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, et due à tout fonctionnaire « attaqué à l’occasion de ses fonctions » ! Qu’il ne se fasse pas cependant d’illusion ! Elle lui sera en général refusée par le recteur. Et c’est une troisième pomme de discorde. La loi qui protège le fonctionnaire, pour lui permettre d’accomplir sa mission sans être soumis à d’éventuelles représailles, est assez régulièrement violée par le ministère de l’Éducation nationale et ses recteurs. Les Tribunaux administratifs saisis ont beau condamner aussi régulièrement ces violations, mais... deux, trois, quatre années après les faits - puisque tel est le rythme de la Justice en France  ! - rien n’y fait, forcément ! Le professeur reste seul face à l’agression. Ses collègues sont bien trop occupés à crier sur tous les toits qu’eux n’ont pas de problèmes ! On chercherait vainement dans « Le guide du jeune professeur » la moindre allusion à ces violations de la loi, à cette protection des délateurs, à la déliquescence de toute solidarité et à la patiente destruction du métier de professeur qui en résulte. Quatrième pomme de discorde : l’Inspection, ce « sommet d’infantilisation ». Quant à l’image pieuse de l’Inspection donnée page 106 (« Inspection : les clés de la réussite ») et page 110 (« Devenir inspecteur »), c’est à se tordre de rire, car là, on se fiche carrément de votre pomme, jeunes professeurs ! Lisez plutôt François Bayrou, ancien professeur avant de devenir ministre. Nul ne peut le taxer d’extrémisme. Or, qu’écrit-il dans son ouvrage réédité en 1993, chez Flammarion, La décennie des mal-appris ? Le pire réquisitoire qui ait jamais été prononcé contre cette institution stérile et nuisible au service public de l’Education qu’est l’Inspection. C’est, écrit-il d’entrée, « un sommet d’infantilisation » pour un professeur ! « L’inspecteur n’est ni un conseil, ni l’agent d’une évaluation objective et valide. Il n’en a d’abord pas les moyens. Il fait peur. » Sa parole quasi prophétique, en effet, ne peut pratiquement pas être contredite ! F. Bayrou parle de ces prof. qui, pour devenir inspecteurs, ont dû « s’attacher à des protecteurs, fréquenter à longueur de décennies les couloirs du ministère, appartenir à la bonne écurie, non seulement la coterie amicale, mais la plupart du temps, le réseau idéologique ou scientifique.[...] Le bruit courait autrefois dans les salles de prof., poursuit-il cruellement, que ne devenaient inspecteurs que ceux qui étaient incapables de demeurer professeurs. Cette assertion infamante [...] était parfaitement injuste, puisque la capacité pédagogique n’a pas grand-chose à voir dans la durée avec une telle promotion. La réputation et le réseau font tout. Et c’est le réseau qui fait la réputation [...]. Pour la plupart des enseignants, (l’événement qu’est l’inspection) est terrifiant. Terrifiant avant, bien entendu, et terrifiant après, puisqu’il est entendu, qu’une fois passé, rien n’aura changé. » Jeunes professeurs, si ces quelques remarques ne vous suffisent pas, alors, oui, suivez les yeux fermés, « Le guide du jeune professeur », que votre innocence intéresse ! Mais ne venez pas vous plaindre après, vous aurez été prévenus ! Vous avez lu aussi comme tout le monde le classement des établissements violents publié le 31 août dernier par Le Point. Si injuste soit-il, en raison des conduites variées et fantaisistes des chefs d’établissement dans le relevé quotidien des actes de violence scolaire, il a le mérite de mettre le problème sur la table. Un petit collège de campagne n’est pas épargné, même si c’est sans commune mesure avec certains collèges de banlieues parisienne, marseillaise ou lyonnaise, qui ne sont même pas répertoriés. On cherche vainement dans « Le guide du jeune professeur » une page qui permettrait de prendre la mesure de ce problème qui vous attend de pied ferme, jeunes professeurs, et qui pourtant ne date pas d’hier. Vous commencez à découvrir que vous êtes entrés dans le métier plein d’illusions ? Qu’importe ! « On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés », écrit Diderot dans Le neveu de Rameau. Paul VILLACH


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