Justice : Darmanin aura-t-il les moyens de ses ambitions ministérielles ?
par Fergus
lundi 6 janvier 2025
Fidèle à sa stratégie de carrière, Gérald Darmanin a passé les dernières semaines – y compris les fêtes de fin d’année – à faire de la communication, ce qui n’a étonné personne, eu égard à ses ambitions personnelles. Le nouveau Garde des Sceaux n’en a pas moins égrené dans les médias d’intéressantes mesures destinées à améliorer le fonctionnement de la Justice française. Puisse-t-il ne pas en rester à des annonces non suivies d’effets…
Lors de ses nombreuses interventions médiatiques, Gérald Darmanin – entré de plein pied dans son rôle de ministre de la Justice du gouvernement de François Bayrou – s’est déclaré déterminé à agir pour améliorer de manière significative le fonctionnement de l’institution dont il a désormais la charge. Bien que le Garde des Sceaux soit manifestement animé de hautes ambitions, et indépendamment des réticences politiques – voire humaines – qu’il peut inspirer, il serait malvenu de réduire l’homme à ces seules composantes de sa personnalité.
Nul doute en effet que le successeur de l’insignifiant Didier Migaud soit réellement décidé à agir pour rompre avec les carences antérieures de son ministère. Notamment en s’attaquant frontalement au fléau sociétal et à la gangrène sécuritaire que constitue le trafic de drogue dans nos villes. D’une part, en instaurant un parquet spécialisé calqué, en termes de fonctionnement et de ressources, sur le modèle du parquet national antiterroriste. D’autre part, en alignant les conditions d’incarcération des trafiquants sur celles des auteurs d’attentats.
On ne peut évidemment qu’approuver cette volonté affichée d’interdire aux caïds de la drogue toute possibilité de continuer à gérer les trafics depuis les cellules de l’administration pénitentiaire en pourrissant la vie de nos compatriotes. Encore faudrait-il que, dans un pays confronté à une dette déraisonnable dont la charge est chaque année plus lourde, des moyens financiers puissent être dégagés pour permettre, dans le milieu carcéral, l’isolement effectif dans des espaces dédiés des plus gros trafiquants et leur surveillance renforcée.
Sur ce plan-là, rien n’est gagné. Les prochains débats sur l’élaboration du budget 2025 seront sans nul doute édifiants. Hélas ! il y a tout lieu d’être pessimiste. Au risque de décevoir celui qui, en décembre, déclarait dans les colonnes du quotidien Le Parisien : « Cela n'aurait aucun sens de nommer un ministre de la Justice ministre d'Etat, de le mettre si haut dans l'ordre protocolaire, de [le] faire revenir au gouvernement, pour finalement ne pas [lui] donner les moyens de mener [son] action si attendue par les Français ».
De nouvelles prisons pour les peines légères
Il a raison de poser le problème sous cet angle budgétaire, Gérald Darmanin. Et ce qui vaut, sur ce plan, pour l’incarcération des caïds de la drogue vaut également pour les justiciables condamnés à de courtes peines pour lesquels le Garde des Sceaux a fait des propositions innovantes pour la France. En l’occurrence, placer en détention les personnes concernées dans des prisons totalisant « quelques dizaines de places au maximum », spécialement conçues pour éviter de mêler ces détenus à des criminels et à des malfaiteurs chevronnés.
Dans les « prisons ouvertes » danoises, les condamnés ne sont enfermés dans leur cellule que de 21 h à 7 h, le reste du temps étant consacré au travail à l’extérieur et, sur place, au sport, à la bibliothèque et aux repas. Sans aller jusqu’à promouvoir stricto sensu ce modèle, envisager l’incarcération des condamnés à des peines* allant de quelques jours à quelques mois dans des établissements plus légers en termes d’infrastructure et de surveillance semble incontestablement être une voie de progrès, notamment pour les primo-délinquants.
Cette piste est d’autant plus raisonnable qu’il est devenu nécessaire et urgent de revoir le système carcéral dans notre pays, régulièrement condamné au plan européen pour ses conditions de détention indignes et l’absence quasi-totale de programmes de réinsertion. Urgent notamment de sortir du « schéma de vengeance », induit par les représentations sociétales populistes, qui prévaut encore de nos jours pour entrer, enfin, dans un schéma de reconstruction des détenus en vue de leur libération future et de leur intégration dans la société.
Tout cela est indiscutablement séduisant. Encore faudra-t-il que, dans les semaines à venir, les interactions entre le gouvernement de François Bayrou et les élus du Parlement puissent déboucher sur des avancées significatives en termes de budget alloué à la Justice. Une véritable gageure tant les intérêts divergents des uns et des autres peuvent, in fine, aboutir : soit à la reconduction pure et simple du budget 2024 ; soit au recours à l’article 49.3 porteur, comme chacun sait, d’un risque non négligeable de nouvelle motion de censure.
* En alternative à la liberté surveillée sous bracelet électronique.