La fermeture de C8 doit nous révolter tous !
par Institut Proudhon
lundi 24 février 2025
Doit-on se réjouir lorsque son adversaire est réduit au silence par le Système que l'on combat ? Le débat moral, trop enclin aux états d'âme et à la subjectivité, échouera à trancher la question. Reste alors l'analyse dépassionnée et utilitaire pour trouver un éclairage objectif. Car si l’indignation à géométrie variable est un premier réflexe naturel, la stratégie, maître mot du combat politique, exige de plus hautes considérations.
Après la validation par le Conseil d'État de la décision de l'Arcom quant au retrait de C8 de la TNT, beaucoup de voix se sont élevées à droite pour dénoncer une décision qui apparaît comme politique. MM. Ciotti, Collard et d'autres figures droitières ont apporté leur soutien à la chaîne en sursis et à son futur ex animateur Cyril Hanouna, criant non sans raison à la censure exercée par une autorité non élue. À gauche, cependant, silence de plomb. Une minorité d'excités se rengorge ouvertement, tandis que la majorité des personnalités publiques respectables éludent la question, trop peureux d'affronter la dissonance cognitive qu'elle cause pour ces zélateurs de la démocratie : l'on se contentera de jubiler en coulisses. C'est de bonne guerre. L'on devine que la droite n'aurait pas plus d'états d'âme si un média de gauche venait à être supprimé. Qui, au RN, pleurerait pour Médiapart ou Libération ?
À bien regarder le marigot politique français, nul ne défend réellement la liberté d'expression : chaque camp semble plutôt lutter pour son propre droit à s'exprimer, tout en cherchant à restreindre celui de ses adversaires. L'on se souvient, par exemple, du tollé provoqué à gauche par Éric Zemmour lorsqu'il a proposé d’abroger la loi Pleven (ce précieux verrou de la morale républicaine) sanctionnant "l’incitation à la haine". Puis ce fut le tour de la droite, naguère si amoureuse de l'audace du verbe, de se pâmer en vestale offensée lorsque des députés LFI ont suggéré d’abroger le délit d’apologie du terrorisme. Pourtant, ces infractions relèvent toutes deux du crime politique, du musellement du discours public, utilisées comme leviers répressifs avec une parfaite constance pour restreindre la liberté de parole de ceux qui dévient trop à gauche ou trop à droite de la très étroite fenêtre d'Overton. Un dissident authentique ne doit pas simplement chercher à élargir cette lucarne dans sa direction, mais à en scier tous les barreaux, y compris ceux qui restreignent son adversaire. Or, au lieu d'aspirer à briser la cage, les deux camps de "l'opposition" se contentent de vouloir en réajuster les verrous à leur convenance, rêvant de Thélème pour soi et de Bastille pour l'adversaire ; à la plus grande joie du Système qui bâillonne tour à tour l'un ou l'autre, s'assurant de leur servitude commune.
Il est plus que jamais temps de ressusciter ce que l'on nomme bien à tort le principe voltairien, ce fameux aphorisme prêté au philosophe des prétendues Lumières : "je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez le dire". Il convient toutefois de préciser que non seulement Voltaire n'a jamais prononcé ou écrit cette phrase – attribuée de façon apocryphe par l'auteure britannique Evelyn Hall –, mais qu'elle ne correspond même nullement à l'esprit qui animait réellement l'auteur de Zadig et de Candide, dont on oublie bien souvent l'élitisme, l'affairisme et la collusion avec les pouvoirs. Il est désormais établi que ce cher Arouet n'a pas hésité à user de ses relations haut placées pour faire censurer le journaliste Fréron, son rival littéraire, et qu'il a en outre tenté de faire arrêter Rousseau, son autre rival, allant jusqu'à servir de mouchard aux autorités françaises et genevoises. Voilà l'idole que vénère la République, la caution philosophique d'un régime qui bâillonne ses opposants… Il y a là une certaine logique, à vrai dire.
Mais si cette maxime n'est pas du patriarche de Ferney, elle n'en est pas moins juste, non pas tant par morale que par simple lucidité politique. Car qui sait si la censure qui s'abat aujourd'hui sur les mal-pensants d'un camp ne visera pas demain ceux de l'autre, et si celui qui jubile aujourd'hui des chaînes d'autrui ne se trouvera pas lui-même aux fers pour avoir offensé le même pouvoir ? Tex ou Guillaume Meurice, Cyril Hanouna ou le général Delawarde, Didier Raoult ou Étienne Chouard, tous les censurés méritent sinon notre soutien à leur personne et à leurs idées, du moins notre indignation et notre combat pour leur liberté de parole qui est aussi la nôtre. Un pouvoir qui censure ne protège jamais telle cause ou telle vérité, il ne se protège que lui-même.
La disparition forcée de C8 procède-t-elle d'une décision politique ? Posons la question de façon sérieuse, sans verser dans le complotisme facile. Lorsqu'en Russie et en Géorgie, les justices nationales respectives ont fermé certaines chaînes d'opposition, ou ordonné d'incarcérer leurs dirigeants pour avoir proféré des injures ou appelé à l'insurrection, la bonne société humaniste européenne s'en est indignée jusqu'au Parlement européen et à la CEDH. L'on y dénonçait alors une censure, une atteinte intolérable à la liberté d'expression, une dérive autoritaire etc. Selon ces mêmes apôtres de la démocratie, la décision française n'aurait, elle, rien de politique (dixit Macron). Elle relèverait exclusivement du droit, la chaîne ayant manqué à ses obligations contractuelles. Soit. Mais lorsque ces pays de l'Est condamnaient leurs chaînes d'opposition, ne le faisaient-ils pas aussi au nom de considérations juridiques et dans le cadre des lois en vigueur ? Aucun pouvoir ne censure ouvertement au seul motif que le contenu diffusé lui déplaît. Même au sein des régimes dits autoritaires, il existe un cadre légal servant de légitimateur. Croire que les pays dits "éclairés" sont exempts de censure politique et que celle-ci est le fait exclusif de contrées semi-barbares où des tsars, des sultans et des mikados feraient de leur bon plaisir une loi, voilà qui relève d'une naïveté doublée d'un solipsisme moral fleurant bon la mentalité Belle Époque (on ne le rappellera jamais assez : le droit-de-l'hommisme et l'universalisme humaniste sont des expressions douceâtres d'un Occident qui n'ose plus affirmer ouvertement son sentiment de supériorité).
Alors, oui, la suppression d'une chaîne d'opposition par un tribunal dont les magistrats sont recrutés quasi exclusivement dans la caste énarchique – à laquelle on n'accède pas sans un double sésame social et idéologique –, et cela, à la suite d'une décision émanant d'une autorité de régulation médiatique dont les membres sont désignés par le pouvoir en place, cela procède effectivement d'une décision politique, quel que soit le paravent juridique brandi pour lui conférer une légitimité.
Et bien que la chaîne C8 en général, et l'émission "Touche pas à mon poste" en particulier, brillent davantage par leur médiocrité que par leur apport intellectuel – en cela, elles ne diffèrent guère du reste du paysage audiovisuel français –, leur censure pour des motifs politiques constitue une atteinte au peuple et à sa liberté d'ouïr le contenu qui lui plaît. Tout citoyen soucieux de justice devrait s'en indigner, indépendamment des affinités politiques.