La politique européenne de l’UMP : repli nationaliste et choix atlantiste ?

par Nicolas Cadène
jeudi 12 octobre 2006

 

L’avenir de la France passe par celui de l’Union européenne. Car cette dernière a seule la taille critique pour influencer l’évolution économique et sociale internationale et réguler la mondialisation. Pourtant, nous semblons assister aujourd’hui en Europe, et particulièrement en France, à un repli nationaliste et à un abandon des politiques européennes pour privilégier un partenariat atlantiste. Cette politique paraît tout du moins celle du candidat à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy, adepte de la « rupture ».

Rompre avec l’Union européenne et son intégration renforcée ? Dans une certaine mesure, il ne parut pas si éloigné de cette idée lors de sa visite officielle (payée abusivement par les contribuables français, compte tenu de sa simple fonction de ministre de l’Intérieur), à Washington. Cette rencontre avec le président américain, à l’occasion des « commémorations » du 11 septembre 2001, donna l’opportunité à Nicolas Sarkozy de réaffirmer implicitement que s’il était élu en 2007, il mettrait un terme à la spécificité française à l’égard des Etats-Unis, au profit d’une vision plus atlantiste. Rappelons que lors de son discours du 12 septembre devant la Fondation franco-américaine, le ministre d’Etat dénonça « l’arrogance française » et fit la leçon à Jacques Chirac et Dominique de Villepin : « Il n’est pas convenable de chercher à mettre ses alliés dans l’embarras ou de donner l’impression de se réjouir de leurs difficultés. » Avant de compléter le réquisitoire contre l’attitude de Paris lors du déclenchement de la guerre en Irak : « Plus jamais nous ne devons faire de nos désaccords une crise. »

Également, à l’occasion de sa récente visite aux institutions européennes, le ministre n° 2 du gouvernement français a indirectement souligné que seul le « durcissement des conditions permettant d’obtenir un visa ou le droit au regroupement familial » méritait une concertation entre partenaires. En effet, il n’a nullement proposé une approche européenne en amont, afin de gérer ensemble l’attraction qu’exerce sur les citoyens extracommunautaires la prospérité européenne, et ses conséquences humanitaires dramatiques. C’est pourtant sur ce dernier point que l’interrogeait le président de la Commission européenne José-Manuel Barroso. Ainsi, en l’espèce, Nicolas Sarkozy semble considérer l’Union comme un outil de répression plus soutenu à l’encontre de ceux souhaitant pénétrer sur le territoire français, et non comme une entité indépendante coopérant avec les pays en développement pour une gestion durable des flux migratoires.

En réalité, depuis les résultats très décevants de Nicolas Sarkozy comme tête de liste RPR-DL aux élections européennes de 1999, on constate qu’il intervient peu sur le sujet de l’Union européenne. Alexis Dalem , chercheur à Sciences-Po Paris, résume son bilan (1) en tant que ministre des Finances et de l’Intérieur ainsi : « Instrumentalisation des questions européennes au profit de l’affichage médiatique, faiblesse de l’engagement européen, accord avec la vision britannique d’une Europe réduite à un grand marché voué au libéralisme économique. »

Soyons plus précis : après l’échec en France du référendum sur le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, le ministre de l’Intérieur proposa qu’un directoire formé des six plus grands pays prenne la direction des Affaires européennes. Pour de nombreux diplomates européens, cette proposition sous-entendait que les grands pays ont des intérêts forcément convergents (ce qui n’est pas si clair, le Royaume-Uni refusa d’adopter l’euro), et négligeait le rôle d’intermédiaires que jouent régulièrement les « petits pays ». Cela traduit clairement la méconnaissance de l’histoire de la construction européenne par M. Sarkozy.

Lors de son bref passage au ministère de l’Economie et des Finances, en 2004, on se souvient de ses déclarations en faveur de la suppression des fonds structurels destinés aux Etats membres dont la taxation est inférieure à la moyenne européenne. Présentée sans consultation préalable, cette proposition avait suscité une vague d’indignation dans les dix nouveaux Etats membres, et contribué à dégrader encore l’image de la France en Europe.

En tant que ministre de l’Intérieur, il est en partie responsable du suivi de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la justice. Il ne fait aujourd’hui aucun doute qu’une lutte efficace contre les réseaux terroristes et le crime organisé (mondialisés) passe par une meilleure coopération européenne. Ainsi a été créé, par exemple, le mandat d’arrêt européen en juin 2002. Or, la loi sur le terrorisme, que Nicolas Sarkozy présenta en octobre 2005, apporte une réponse presque exclusivement nationale. Elle ne se préoccupe que marginalement du bon fonctionnement des dispositifs de coopération européenne, notamment du mandat d’arrêt européen. Finalement, la position européenne de M. Sarkozy est uniquement néo-libérale. Loin de promouvoir « l’Europe sociale », il défend un grand marché unique et la fin, via l’Europe, du modèle social français. C’est notamment ce qui explique (à côté d’une volonté de satisfaire l’opinion publique) son faible engagement en faveur du traité constitutionnel qui était souvent défendu comme permettant une diffusion plus large de la conception française au sein de l’Union (notamment avec une première reconnaissance des services publics), et non comme un moyen de libéraliser le système national, ce que soutenait le ministre candidat. Par ailleurs, on constate aisément la frilosité de l’engagement européen de Nicolas Sarkozy dans nombre de ses déclarations. Lors de la présentation de ses vœux pour l’année 2006 à la presse, aucune relance de l’Union par des coopérations concrètes ne fut proposée.

Cependant, le candidat proposa, par la suite, la rédaction d’un nouveau texte, « resserré », reprenant l’essentiel de la première partie du traité constitutionnel (questions institutionnelles). Cette idée n’était pas nouvelle, elle était déjà soutenue par de nombreux responsables à droite comme à gauche. En revanche, ce qui est propre à Nicolas Sarkozy (et qui n’a pas été franchement souligné), c’est sa volonté de supprimer de cette « nouvelle constitution européenne » la seconde partie du texte, celle, essentielle, concernant les droits fondamentaux. Or l’articulation entre la première partie et la seconde constitue l’un des éléments clefs de l’équilibre trouvé, notamment entre dimension sociale et logique économique. D’ailleurs, nous savons combien il fut difficile pour les Britanniques d’accepter cette partie et son interprétation juridique. Ils craignaient en effet que cette « charte » ne permette, à terme, une extension des compétences de l’Union. Ainsi, abandonner la seconde partie du texte, comme le propose Nicolas Sarkozy, serait une victoire pour la vision minimaliste d’une Europe largement vouée au seul libéralisme économique. Cela montre aussi une totale surdité aux raisons du « non ».

Cela étant dit, nombreux sont ceux qui auront constaté le changement brutal de discours du candidat UMP, notamment lors de sa visite à Bruxelles en septembre dernier. Ne soyons pas étonnés, cela répond aux critiques de l’opinion et des médias lui reprochant ses positions atlantistes. Qui plus est, ces nouvelles propositions, pour une relance institutionnelle notamment, ne suffisent pas pour faire de Nicolas Sarkozy un « Européen convaincu ». Car ce qui est vraiment nécessaire, c’est d’européaniser le traitement des sujets politiques nationaux. Avec notre ministre d’Etat, nous en sommes encore loin. Dans son discours du 8 septembre, tout juste M. Sarkozy a-t-il évoqué une « convention sur la défense européenne » et suggéré que les partis politiques développent un programme sur « l’immigration, l’énergie, l’économie et la monnaie ».

Mais la mauvaise volonté française quant à la construction européenne n’est pas uniquement perceptible dans les déclarations électorales de M. Sarkozy. On se souviendra ainsi que l’exécutif français souhaitait que le budget de l’Union baisse de 1,14 % à 1 % du PNB de l’Union (suivi en ce sens par l’Allemagne et le Royaume-Uni). En d’autres termes, il souhaitait, contre l’avis de la Commission, que la contribution de l’Etat baisse, alors même que l’Union doit faire face à des besoins économiques plus importants que dans le passé.

Il y a plus grave dans l’attitude française. Alors que la campagne référendaire nous a appris l’incroyable écart existant entre les Européens et leurs institutions, mais également la méfiance que celles-ci leur inspiraient, il serait plus que temps de mettre en avant les multiples bienfaits de la construction communautaire et de ses politiques pour le continent et ses populations. Pourtant, continuant une longue tradition française, les gouvernements UMP se sont à nouveau largement défaussés sur la Commission européenne et sur l’ « horrible machine technocratique européenne ». Un exemple notable : le plan de restructuration de Hewlett Packard, qui concernait au premier chef la France, où devait avoir lieu le plus grand nombre de suppressions de postes. Le président de la République M. Jacques Chirac, n’a alors pas hésité à tenter de passer cette « patate chaude » à Bruxelles, en demandant au gouvernement, le 21 septembre 2005, de saisir la Commission européenne. Le motif allégué était la portée du plan de restructuration en Europe. Sauf que la Commission n’a pas de compétence juridique pour agir en la matière en empêchant les licenciements, ce qu’a rappelé son président, M. Barroso. Sa seule possibilité d’action est de débloquer des crédits du Fonds social européen (FSE) pour aider à la réinsertion des travailleurs licenciés. Elle peut aussi rappeler les obligations d’information et de consultation des travailleurs résultant de la directive européenne. Mais si celles-ci ont été violées, c’est aux représentants des travailleurs de saisir la justice européenne. Les conseillers de M. Chirac et du gouvernement peuvent difficilement ignorer les limites des pouvoirs de la Commission. Ces actions de dénigrement rendent l’exécutif français en partie responsable de la mauvaise opinion qu’ont les Français des institutions communautaires.

C’est pourquoi, afin que nos concitoyens soient parfaitement au courant de la véritable attitude française sur la question européenne, il est honnête de faire remarquer (et le président de la Commission ne s’en est pas privé) que la France et les principaux pays contributeurs au budget européen s’étaient opposés, par souci d’économie, à la proposition de la Commission européenne de créer un fonds pour aider les régions victimes de « chocs imprévus ». Ce fonds aurait vocation à intervenir, par exemple, pour limiter l’impact de plans sociaux dans des cas similaires à celui de Hewlett Packard.

Pour répondre à la panne de l’Europe, mieux vaut s’intéresser à de grands projets européens. C’est en avançant en matière de croissance, d’emploi, de recherche, mais aussi d’environnement, d’indépendance énergétique, qu’on redonnera confiance aux peuples. Or, en la matière, la politique de la majorité est bien au repli sur soi. Ainsi, dernièrement, la fusion entre GDF et Suez donne logiquement prise en Europe à des accusations de nationalisme. On comprend aisément que le gouvernement français ait voulu envoyer un message « protectionniste » à son opinion publique, tout en entamant en réalité la privatisation de son entreprise publique (pourtant interdite par une loi de 2004). Au lieu de convaincre et d’expliquer les raisons de construire une Europe de l’énergie, la majorité caresse l’opinion du non au référendum de 2005 : après le plombier polonais menaçant notre système social, voici l’électricien italien qui met en péril notre indépendance énergétique, alors même que nos entreprises énergétiques rachètent de nombreuses sociétés à l’étranger. Comme tant d’autres vérités, le gouvernement se garde bien de le rappeler.

(1) : http://www.telos-eu.com/2006/01/leurope_de_nicolas_sarkozy.php


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