Le Kremlin n’a rien retenu de la « Guerre d’Hiver »
par Fergus
mardi 11 février 2025
Quiconque s’est intéressé à la guerre soviéto-finlandaise et a suivi l’actualité de la géopolitique européenne ces dernières années n’a pu manquer de faire ce stupéfiant constat : lors de la tentative d’invasion de l’Ukraine en février 2022, Poutine a commis les mêmes erreurs que Staline lorsque celui-ci a voulu faire main basse sur la Finlande en novembre 1939...
Le 30 novembre 1939, Staline lance les troupes soviétiques, appuyées par des milliers de chars et l’aviation russe, à l’assaut de la Finlande afin de faire main basse sur ce pays. Objectifs : assurer à la Russie un « glacis de sécurité » aux abords occidentaux de Léningrad (Saint-Pétersbourg), et mettre en place à Helsinki un pouvoir vassal. Fort de la supériorité de son armée, Staline exige de ses militaires que l’affaire soit réglée dans un délai maximal d’une dizaine de jours. Le maître du Kremlin est persuadé que ce sera une formalité face à une petite nation de 3,5 millions d’habitants très faible en effectifs militaires, mal dotée en armes, en munitions et en blindés, et de surcroît totalement dépourvue d’avions de combat.
Le 24 février 2022, Poutine lance les troupes russes, appuyées par des milliers de chars et des dizaines d’avions de combat à l’assaut de l’Ukraine afin de faire main basse sur ce pays. Objectifs : assurer à la Russie un « glacis de sécurité » aux abords occidentaux de ses frontières, et mettre en place à Kiev un pouvoir vassal sur le modèle de la Biélorussie. Autres objectifs : prendre possession des oblasts de l’est ukrainien – notamment ceux, russophones, du Donbass – et assurer la continuité territoriale russe sur l’ensemble des rives occidentales de la mer Noire. Comme Staline, Poutine est persuadé que l’affaire sera réglée en quelques jours, eu égard à la disproportion des forces militaires en présence.
Le 13 mars 1940, la Finlande capitule au terme de 105 jours de combats héroïques livrés par ses paysans-soldats. En 3 mois et demi de guerre, par des températures le plus souvent inférieures à – 30°, les soviétiques n’ont réussi à conquérir sur le terrain qu’une dérisoire bande d’environ 15 km de territoire finlandais. Mal vêtus, mal nourris, peu motivés – nombre de soldats envoyés en première ligne venaient des républiques soviétiques périphériques –, et victimes de choix tactiques catastrophiques de leurs officiers supérieurs, près de 400 000 soldats soviétiques sont tués, blessés ou faits prisonniers. En outre, 3500 chars sont détruits. Côté finlandais, environ 70 000 soldats sont tués ou mis hors de combat.
En février 2025, la guerre russo-ukrainienne, euphémisée en « Opération militaire spéciale » par Poutine, est enlisée sur une ligne de front à peu près figée depuis de longs mois. Les troupes russes ont, lors des premiers jours du conflit, échoué à prendre Kiev et subi dans cet assaut de nombreuses pertes en hommes et en chars. Depuis, en presque 3 ans de guerre, les gains russes sont limités à la plus grande partie des oblasts de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson, soit 18,14 % du territoire ukrainien*. Difficile de connaître les bilans réels à ce jour. Cependant, il semble, en croisant différentes sources, que les Russes aient perdu entre 600 000 et 700 000 hommes tués ou blessés, soit deux fois plus que les Ukrainiens.
Engagées l’une comme l’autre par la Russie en violation du droit international, ces deux guerres ont ciblé deux jeunes nations : la Finlande n’était en effet indépendante que depuis 1917, et l’Ukraine depuis 1991, soit respectivement depuis 22 ans pour l’une et 31 ans pour l’autre au moment de l’agression russe. Dans les deux cas, le sentiment national était encore relativement peu développé dans ces deux pays, et Staline comme Poutine ont estimé qu’il se déliterait dès l’entrée sur leur territoire des armées du Kremlin. C’était compter sans le farouche esprit de résistance des populations locales. En quelques semaines, un très puissant sentiment d’identité nationale a vu le jour, tant en Finlande qu’en Ukraine.
Une identité nationale renforcée, doublée d’un fort sentiment patriotique, que les agressions russes de 1939 et 2022 ont cimenté dans ces deux pays là où plusieurs générations auraient été nécessaires pour parvenir au même résultat dans un contexte démocratique normal. Il s’en est suivi dans ces deux jeunes nations un violent rejet de l’Union soviétique stalinienne pour les Finlandais et de la Russie néo-impérialiste poutinienne. Deux pouvoirs russes qui, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ont accéléré les processus de rattachement à l’Europe occidentale concrétisés par l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne en 1995 et par la volonté des Ukrainiens d’en faire partie dans un avenir proche.
* Situation au 31 décembre 2024, donnée par la revue géopolitique Le Grand Continent qui estime à 0,54 % le gain de territoires conquis par les Russes durant l’année 2024.
** Éditions Michel Lafon, 2024. Le livre est en partie centré sur l’extraordinaire destin d’un humble paysan, Simo Häyhä. Surnommé « La mort blanche », ce soldat est connu pour avoir été le plus redoutable tireur d’élite de tous les temps.