Les notions de gauche et de droite ont-elles encore un sens aujourd’hui ?

par HOUSSAYE Marc
lundi 2 octobre 2006

Depuis plus de deux siècles, les notions de « droite » et de « gauche » rendent compte à elles seules de la totalité du champ politique. Or, depuis quelques années, s’affirme avec force l’idée selon laquelle ce bipartisme gauche/droite perdrait de son sens. D’où cette question posée en Arcadie : la distinction droite/gauche est-elle encore pertinente aujourd’hui ? 

Les notions de droite et de gauche remontent aux premiers jours de la Révolution française, lorsque les députés de l’Assemblée constituante (1789-1791) se regroupèrent par tendances dans l’hémicycle, à droite et à gauche du président, les premiers étant partisans d’un veto et donc d’un pouvoir royal fort, les seconds préférant un veto simplement suspensif de l’exécutif royal. Par la suite, cette distinction s’imposa pour désigner des tendances d’opinion. De nos jours, une tenace image d’Epinal consiste à assimiler la droite au camp des conservateurs (ou des pragmatiques) et la gauche à celui des progressistes (ou des idéalistes). Ces déterminations sont d’ailleurs souvent vécues comme telles par les plus engagés. Mais ces notions de droite et de gauche recoupent des réalités beaucoup plus complexes, ambiguës, et surtout changeantes.

Au XIXe siècle, la ligne de partage semble se situer entre ceux qui défendent la Révolution et son héritage (les républicains) et ceux qui la refusent (par exemple les orléanistes ou les légitimistes). Très rapidement, cette répartition est néanmoins rendue plus confuse par l’apparition de mouvements politiques qui, sans condamner la Révolution, sont partisans d’un pouvoir exécutif fort. Ainsi le bonapartisme, qui conduit au Second Empire (1852-1870), est-il de fait situé à droite. À la fin du XIXe siècle, avec l’installation définitive de la République et la fin du débat sur le régime, les grandes tendances se cristallisent : la droite est plus conservatrice, nationaliste, partisane de l’ordre et favorable au libéralisme économique, alors que la gauche est plutôt progressiste, défend la liberté et le progrès social. Ces grands traits sont cependant très schématiques, car il existe une droite sociale, comme il existe un nationalisme de gauche. Droite et gauche, qui sont le produit de multiples traditions politiques, évoluent constamment, d’autant que les deux camps sont eux-mêmes multiples et divisés.

Il y pire que la défiance à l’égard du monde politique : c’est le désintérêt, l’indifférence générale, l’idée selon laquelle le personnel politique n’a, de toute façon, aucun poids face aux tourments de notre société. Et finalement, l’idée que la politique ne sert à rien. Ce serait un euphémisme de dire que pour beaucoup de Français, le monde politique n’est pas passionnant ; « Les gens s’en contrefoutent », assure une intervenante, et le pire, c’est qu’on n’y pense plus, à tel point que le citoyen perd des réflexes civiques, comme celui d’aller voter. Depuis quelques décennies, l’abstention est en constante progression.

Si, en 1981, 66% des Français trouvaient cette classification gauche/droite intelligible, aujourd’hui, seulement 15% se retrouvent dans ce bipartisme, à tel point qu’il n’est plus vraiment caricatural de ne voir en ces deux blocs distincts si méchamment remontés l’un contre l’autre qu’une façade. Tout se passe comme si le vaudeville joué à chaque élection faisait à chaque scrutin tomber les masques. A en croire les chiffres de plus en plus alarmants de l’abstentionnisme, les Français ne sont pas dupes. Mais cette désertion des urnes, loin de susciter des réactions de remise en cause au sein du monde politique, donne l’image d’un citoyen ignare, incompétent, voire je-m’en-foutiste. Car, à en croire beaucoup d’hommes politiques, si les citoyens ne vont plus voter, ce serait parce qu’ils ne comprennent rien à la politique, que les enjeux sont devenus trop complexes, bref que la politique est une affaire de spécialiste. La grande faiblesse de l’abstention, si tant est qu’on y voie une forme d’expression latente, serait donc qu’elle laisse la place à un silence qu’on peut interpréter à sa guise. On évoqua la reconnaissance du vote blanc comme moyen de clarifier l’expression générale. « Gauche, droite, tous pareils », peut-on entendre de plus en plus souvent.

Mais ce phénomène du bipartisme existe dans la plupart des démocraties, ce qui le justifierait, aux yeux de certains intervenants, qui avancent même que « le bipartisme est ancré dans la culture démocratique ». En effet, comment pourrait-on remettre en cause ces notions de gauche et de droite alors qu’elles sont devenues des lieux communs, des raccourcis faciles ?

L’apparition de problématiques transversales, l’écologie par exemple, a remis en cause pour un temps le bipartisme. De façon générale, de vastes problématiques concernent tout le monde. Peu importe qu’on soit de droite ou de gauche si l’économie s’effondre, si les trous dans la couche d’ozone et l’effet de serre réchauffent la planète, si le gaspillage des ressources naturelles nous conduit à un monde de déchets et de souillures. Ce raisonnement à court terme, c’est-à-dire jusqu’à l’échéance électorale suivante, protège l’ordre établi.

D’autres, dans la salle, parlent du bipartisme comme d’une classification arbitraire, aujourd’hui obsolète parce que réductrice. Si gauche et droite n’ont plus de sens pour les citoyens, pourquoi s’entêter à conserver cette répartition linéaire des idées politiques de plus en plus floue ?

Ce système de classification des mouvances politiques ne prend plus en compte la complexité du monde politique et les impératifs qui s’imposent à nous. Pourquoi ne pas ajouter des axes à cette ligne gauche - droite ? Les sociétés humaines se seraient-elles arrêtées au schéma linéaire, dans la conceptualisation des idées ?

En réalité, ce clivage, au-delà duquel on voudrait nous faire croire qu’il est impossible de penser, n’a d’autre réalité que dans l’esprit de l’électeur. Il existe en fait autant de tendances ou de sensibilités qu’il existe d’individus. Cela reflète l’esprit français, de tout vouloir systématiquement classifier, de préférence dans une logique binaire. Or, force est d’admettre que ce clivage n’est qu’une construction de l’esprit destinée à faire fonctionner nos institutions politiques démocratiques basées sur le bipartisme.

Bien sûr que nous sentons tous un vacillement de notre vision du monde. Rien n’est plus incertain que l’avenir qui nous attend. Si notre système démocratique se résigne à rester dans l’impasse, saurons-nous régler ensemble les grands problèmes de demain ?

Cette sclérose politique, voulue par certains, acceptée par d’autres, éludée par le plus grand nombre, ne reflète-t-elle pas un sentiment au plus profond de nous-mêmes : la peur du vide... ?

Notons également que ce débat raviva chez certains des réflexes partisans, visiblement sincères, mais qui troublèrent le climat constructif si cher et si apprécié en Arcadie. Fut mise en doute la Charte de La Nouvelle Arcadie, particulièrement le point stipulant qu’il n’est pas permis d’afficher son appartenance partisane, notamment en valorisant un parti plutôt qu’un autre. Un petit rappel est donc indispensable. Si nous demandons à ce que chaque participant pénètre en Arcadie en tant que simple citoyen, en faisant fi de son appartenance le temps du débat, ce n’est certainement pas pour remettre en cause, voire pour le dénigrer, l’engagement de certains, mais pour créer les conditions nécessaires au déroulement d’un débat constructif. Cette règle n’empêche pas la contradiction. Bien au contraire, elle lui rend ses lettres de noblesse, en écartant le dogmatisme et les a priori, en favorisant la compréhension des arguments de l’autre. Rappelons également que le Café citoyen est un lieu d’apprentissage, de redécouverte de l’esprit démocratique. Etre citoyen nécessite des efforts, notamment celui qui consiste à mettre en veilleuse ses positions dogmatiques. La conviction n’est utile au débat que lorsqu’elle ne s’érige pas en vérité absolue. Enfin, La Nouvelle Arcadie souhaite renouveler l’état d’esprit du siècle des Lumières. Les querelles partisanes appartiennent au passé. Il y a une réelle nécessité de dépasser les clivages pour réfléchir ensemble aux problèmes qui nous concernent tous. Alors, pourquoi poser cette question - les notions de gauche et de droite ont-elles encore un sens aujourd’hui ? - si les débats que La Nouvelle Arcadie organise s’inscrivent déjà dans un dépassement de ces notions ? Il y a là une nuance à souligner. La Nouvelle Arcadie apporte une méthode de débat respectueuse des fondements démocratiques. Nous aurions pu réfléchir sereinement à ces notions de gauche et de droite et au système bipartite, sans crispation sur des positions partisanes.

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