Nicolas ? Pimprenelle ? Faut rendre le débat, maintenant, vous énervez tout le monde avec vos petits jeux

par Sébastien Fontenelle
mardi 19 septembre 2006

Hier matin, lundi 18 septembre, à la une du “Parisien/Aujourd’hui”, ce formidable surtitre, à propos de la présidentielle 2007 : “Royal et Sarkozy confisquent le débat".

Non, je vous jure, on a beau savoir que les patrons de rédaction osent tout, et que c’est même à ça qu’on les reconnaît, il y a quand même des fois où on se frotte les yeux, pour être vraiment sûr qu’on a bien lu. Et c’est bien le cas ici, à la page 2, Jacques Hennen et Dominique de Montvalon cosignent un papier qui nous confirme d’ailleurs cette confiscation.

Extraits : "A priori, depuis ce week-end, il n’y a plus de suspense. Dans son camp, Nicolas Sarkozy est aujourd’hui intouchable. Et, samedi à Lens, Ségolène Royal - qui pouvait tout craindre de son face-à-face avec les militants PS - s’en est sortie à son avantage” [...] Donc, conformément aux sondages, aux oracles et aux avis des “milieux autorisés”, le second tour de la présidentielle de 2007 est sinon “plié”, en tout cas posé : ce sera Ségolène contre Nicolas. Ou, si l’on préfère, Royal contre Sarkozy. Les autres candidats n’ont qu’à bien se tenir. Les premiers rôles ont été distribués : à eux, pour le reste, de bien figurer. C’est ainsi que l’on voit les choses, lorsqu’on [...] fait partie ou que l’on croit faire partie du petit monde de ceux qui, à Paris, donnent le ton, choisissent leurs héros et décident. Mais n’est-ce pas aller vite en besogne ?"

Pour bien mesurer l’extrême tartuferie de ces considérations, il faut, bien évidemment, se rappeler que François Bayrou s’est emporté, tout récemment, contre les médias, les accusant de se focaliser sur Nicolas et Pimprenelle, exactement comme si les autres candidat(e)s n’existaient pas - ou si peu.

Il suffit de jeter un coup d’oeil à la presse de ces derniers jours pour s’apercevoir que :

  1. François Bayrou a complètement raison.
  2. François Bayrou aurait tout aussi bien pu, vu l’effet de sa gueulante, pisser dans un violon : le cours (médiatique) de la campagne n’en aurait pas été autrement perturbé. (Je vous prie de noter ici que je n’ai, cela dit, aucune sympathie particulière pour François Bayrou).
Il y a quatre jours, par exemple (vendredi 15 septembre) Le Parisien a publié, sur une pleine page, deux photos, l’une de Sarkozy, l’autre de Royal, sous ce titre : "Ce qu’ils ont en commun". Avec ce commentaire : "Ce n’est peut-être pas par hasard que Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal se retrouvent en tête dans tous les sondages, à sept mois de la présidentielle. Car au-delà de leur opposition droite-gauche, ils présentent aux Français un profil, un discours et une posture où les points communs sont plus nombreux qu’on pourrait le croire".

Et, avant hier (dimanche 17 septembre) encore, ce gros titre barrait la une du Parisien : "Ségolène et les autres".

Il va de soi que les autres quotidiens ne sont pas en reste : le 12 septembre, Le Monde consacrait sa page 3 aux Françai(se)s qui "ont voté jusque-là à droite et envisagent de choisir Ségolène Royal" ou qui "se pensaient à gauche et pourraient voter pour Nicolas Sarkozy", et ce matin encore Libération offrait sa une à "Royal souveraine". (etc, etc.)

Il va également de soi que les médias vont tranquillement continuer à orchestrer le duel Nicolas/Pimprenelle, sans la moindre considération pour les nerfs de François Bayrou (et de quelques autres).

C’est en cela que le numéro d’équilibrisme auquel se livre ce matin Le Parisien est intéressant, et rappelle, toutes proportions gardées, les contorsions auxquelles ce journal s’était livré après l’affaire dite du bagagiste d’Orly, Abderazak Besseghir, faussement accusé de terrorisme - affaire dans laquelle les nombreuses révélations du Parisien devaient finalement apparaître pour ce qu’elles étaient : quelque chose comme l’expression journalistique d’un ahurissant délire éthylique - enrichi, c’est vrai, de quelques divertissantes fuites policières...

Le Parisien, une fois l’innocence du bagagiste parfaitement établie, avait consacré une pleine page, non plus à Besseghir-le-terroriste, mais à Besseghir-la-victime-d’une-tragique-erreur-judiciaire, en oubliant soigneusement de mentionner ses propres divagations.

Ce matin, Le Parisien nous refait le même coup, sur un sujet certes moins grave : le même journal, qui vient encore de consacrer il y a trois jours une pleine page à Ségolène Royal et à Nicolas Sarkozy, découvre soudain, avec semble-t-il un début d’effroi, que ces deux-là "confisquent le débat" !

C’est, bien évidemment, un bobard, dans la mesure où les deux candidats qui "se retrouvent en tête dans tous les sondages" n’ont, de fait, ni les moyens, ni sans doute la volonté de "confisquer" un débat que la presse tourne si bien à leur seul avantage.

Cependant, relisez bien ce que disent Hennen et Montvalon : à aucun moment ils n’envisagent leur propre responsabilité dans une situation dont les uniques responsables seraient, en vrac, les "sondages", les "oracles", les "avis autorisés" - bref le "petit monde de ceux qui, à Paris, donnent le ton", et dans lequel on ne trouve, apparemment, pas l’ombre du plus minuscule journaliste.

Aplomb ? Cynisme ? Nos deux analystes écrivent, sans trembler, que "les Français, naturellement frondeurs, ne supportent pas qu’on leur confisque un débat démocratique majeur". (Avis aux "sondages", "oracles", etc.)

Sont-ce les mêmes qui, régulièrement, se désolent de la perte de crédibilité des journalistes, et de l’érosion de leur lectorat ?


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