Péages urbains : l’environnement a bon dos...

par Rage
mardi 14 novembre 2006

J’en avais rêvé, Dominique de Villepin l’a fait : oser proposer le péage urbain en France comme solution pour préserver l’environnement. Même le prétendu antivoitures Denis Baupin de la Mairie de Paris n’avait pas osé ; et il avait bien raison.

Cela fait déjà plusieurs années que cette mauvaise idée turlupine les esprits des savants économistes du Laboratoire d’économie des transports (LET) de Lyon, à savoir mettre en place un péage urbain qui aurait évidemment toutes les vertus pour repousser ces « saletés » de voitures loin de leur terrain de jeu qu’est le centre ville, le tout sous prétexte évidemment de préserver l’air et de limiter la congestion.

Connecté avec Yves Crozet, directeur du LET, Dominique de Villepin avait déjà cédé l’an passé aux sirènes de la cession des autoroutes parce que, d’après les modèles économiques entre autres, c’était le meilleur moment pour les céder.

En effet, d’après ces modèles économiques dont on sait tous qu’ils ne prennent jamais en compte toutes les variables, nous sommes proches du « Pic Oil  », et par conséquent le renchérissement du pétrole va limiter les velléités de déplacements, réduire le trafic, donc réduire les péages, les recettes des autoroutes et par conséquent finalement leur valeur. Le tout bien évidemment dans un monde économique où l’exploitation coûte de plus en plus cher alors que l’infrastructure existe d’ores et déjà. Il fallait donc vendre, paraît-il.

Ce type d’argumentation, digne des experts nationaux des transports que j’ai déjà côtoyés, m’a toujours laissé sceptique, voire de marbre : parier sur une baisse de trafic routier significative pour faire baisser les recettes des autoroutes à horizon moins de dix ans, c’était déjà osé (l’avenir nous le dira, et surtout les cours des actions Vinci ou Eiffage) mais pas assez énorme apparemment. Il fallait tenter plus « lourd » à l’heure du désengagement de l’Etat des transports publics et de la mixité sociale affichée.

Cette fois-ci, forts de notre « modèle social français », de nos puissants groupes automobiles en pleine euphorie (les ventes stagnent ou baissent) et de notre société durable où chacun est bien chez soi (ironie), voici l’arme ultime pour « karchériser la pollution » en centre ville : le péage urbain.

Incohérents avec eux-mêmes - puisque le trafic baisse et qu’il faut vendre les autoroutes - ils veulent donc limiter l’afflux de véhicules en centre ville, puisque celui-ci ne fait qu’augmenter malgré les alternatives transports en commun (TC) et modes doux (marche à pied, vélos...).

Bien évidemment, ne jamais taxer les véhicules polluants (4x4), les véhicules encombrants ou même limiter les places physiques de stationnement qu’ils sont les premiers à truster lorsqu’ils se rendent au travail, et pour les ministres, avec chauffeur.

Je me rappelle encore cette phrase mythique qu’un membre du LET m’avait exprimée lorsque je lui avais demandé s’il était pour ou contre le péage urbain et s’il venait en voiture au travail : « Oui, je viens en voiture tous les jours, car non seulement l’offre TC est insuffisante sur mon secteur mais en plus j’ai une place attitrée. Je ne vois pas pourquoi je me déplacerais autrement et le péage urbain ne me dérange pas, au contraire. »

Imparable. Surtout quand on gagne plus de 4000 euros par mois.

« Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. »

Un péage urbain est un dispositif -le plus souvent en cordon- qui encercle ou jalonne l’hypercentre des grandes agglomérations où l’afflux de véhicules occasionne des congestions (embouteillages) monstrueux. Plusieurs villes ont adopté ce modèle dans le monde, Londres (10 millions d’habitants et un péage à 30€/jour de moyenne), Singapour (une île sous régime totalitaire), Trondheim (pour financer des lignes de transports en commun et des ponts)...

Dans tous les cas les péages urbains correspondent à des configurations urbaines particulières et à des villes qui génèrent des activités à forte plus-value (City de Londres). L’installation d’un péage urbain est amorti en quelques années mais comporte de nombreuses exceptions et effets pervers.

Tout d’abord, les modalités de péage (cordon, zone, badges, ponts, usages au kilomètre) puis les temporalités (heure de pointe, nuit), les effets inattendus (esquive, hausse de l’immobilier, localisation « bordure ») et surtout une flopée d’exceptions. De l’exception évidente des pompiers-ambulances-police aux exceptions de niches telles que les médecins, les commerçants, les enseignants, les élus, etc.

Autant dire que le péage urbain est et sera une machine à discrimination, utilisée comme moyen de ségrégation sociale et spatiale fondée sur l’argent et la capacité où non à payer.

Tout cela ne serait pas si contestable s’il n’existait pas déjà d’autres solutions.

Alors je vois déjà certains lever les bras, y compris des formateurs transports me disant : « Si on ne limite pas les excès d’usage par l’argent, la ville sera toujours noyée sous la pollution, c’est la "moins pire" des solutions ». Certes, mais je ne suis pas de ceux qui aiment choisir « le moins pire ».

Surtout pas avec un levier qui génère de ghettos de riches, et encore moins pour compléter l’envolée de l’immobilier dans des secteurs où se concentre l’action publique, et donc ses financements. En bref, pour favoriser un peu toujours les mêmes populations au détriment des autres (ceux dans le périmètre et ceux « hors-périmètre »).

Dois-je ajouter que dans les villes dotées de péage urbain, le centre est un Central Business District (CBD) voué à l’économie alors qu’en France les centres villes sont hybrides (habitat-économie) ?

Le péage urbain « soft » existe pourtant déjà, c’est le stationnement.

En jouant sur le prix du stationnement des usagers tout en préservant les résidents, il est déjà possible de dégager des marges de manœuvre pour investir dans les transports publics. Ensuite, en ne vendant pas les autoroutes comme des imbéciles, on aurait également pu dégager des marges. Ensuite encore, en ne laissant pas des groupes comme Vinci, Lyon Parc Auto et autres construire des parkings de 500 places en plein centre-ville alors qu’en même temps on s’étonne que les usagers ne prennent pas les TC. Ensuite encore et encore, en laissant les autorités organisatrices (AO) disposer de financements (assiette du versement transports (VT), autofinancements, création de la vignette « 4x4 ») pour proposer de nouvelles lignes fortes plutôt que de leur sucrer leur marge de manœuvre quand il n’y a pas de financement pour réaliser les parcs relais périurbains ou les pôles d’échanges multimodaux. Enfin, et pour ne pas en ajouter encore, en cessant de laisser des entreprises jouir ou se doter de parkings gratuits pour les cadres et personnels alors que pour les autres, c’est le stationnement payant ou l’amende.

Dans la droite lignée du chèque transports, inapplicable, impossible à mettre en place pour tous (donc distorsion entre ceux qui auront et les autres) et existant surtout déjà pour bon nombre d’entreprises (participation à 50% des abonnements TC ou carte orange), le péage urbain est la troisième bourde transports à ne pas faire.

- D’une part, cela va pénaliser les actifs. Qu’il s’agisse des livreurs, des commerçants, des salariés et globalement de tous ceux qui se déplacent aujourd’hui en voiture non pas par choix mais par nécessité (temps), voilà un bel impôt indirect qui se profile.

- D’autre part, sans s’attaquer à la source du problème à savoir les véhicules polluants, les excès d’usage de la VP et la faiblesse de l’alternative modale hors Paris et Lyon-Est, le péage urbain contourne les leviers vertueux - mais plus intelligents- d’action pour encore et toujours sélectionner par l’argent.

Alors, à l’heure de la mixité sociale, de la connexion des espaces marginalisés socialement et spatialement avec le cœur urbain, voici « notre mur à la française » fait de barrières et d’horodateurs automatiques qui sanctionneront en pleine figure les citoyens de délit de pauvreté : « pas assez riche, mon fils ».

Ce qui se passera est assez prévisible : baisse du trafic au centre ville, augmentation du reste du trafic autour, sanctuarisation du centre (donc hausse de l’immobilier), activation de la pompe de la périurbanisation, déclins de certains commerces, extension des centres commerciaux en périphérie, hausse relative de la fréquentation TC... Moi aussi, je peux me lancer dans des prédictions économiques et faire de jolies courbes en x et y.


Mais finalement, est-ce que tout cela est rationnel ?

Je ne dis pas qu’il ne soit pas nécessaire de lutter contre la pollution automobile- bien au contraire- mais est-ce que l’on s’attaque aux bonnes cibles, particulièrement lorsque la croissance économique est molle et que le pouvoir d’achat s’effondre ?

N’y a-t-il pas mieux à faire, principalement en taxant les véhicules polluants (vignette intelligente), en supprimant les indemnités kilométriques pour les véhicules de plus de 6CV fiscaux, en réduisant les déplacements inutiles (visioconférence), en soutenant les plans de déplacement entreprises, en octroyant des marges de manœuvre aux urbanistes pour proposer des plateaux piétonniers au partage modal de voirie, en laissant des marges de manœuvre financières aux AO pour tirer de nouvelles lignes TC, en cessant de produire de la place de stationnement, en mettant en place des assurances au pro rata temporisfavorables aux TC , en « densifiant » l’urbanisme, en contrôlant l’étalement urbain, en cessant d’affecter 90% des crédits transports pour faire de la route, en limitant les ministres dans leurs déplacements multiples et variés...

Les solutions existent, de nombreux mémoires le prouvent chaque année.

Faut-il encore ne pas attendre l’idée divine le matin en se levant, mais aller sur le terrain constater qu’il y a des gens qui vivent tous les jours et qui ont des idées à proposer.

Ah ! J’oubliais : peut-être que M. de Villepin est resté au péage, et qu’en raison d’un trop grand nombre d’appels, nos demandes ne peuvent aboutir !


Lire l'article complet, et les commentaires