De communiste à collabo : Jacques Doriot, l’énigmatique « petit Führer Français »

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 26 mai 2025

Sous le ciel gris de Saint-Denis, où l’odeur des forges se mêle aux cris des ouvriers, Jacques Doriot, jeune métallurgiste aux mains calleuses, rêve d’un monde nouveau. Dans les années 1920, il gravit les échelons du Parti communiste français (PCF), porté par une fougue révolutionnaire. Pourtant, en 1945, c’est dans une voiture criblée de balles, sur une route d’Allemagne, que s’achève son destin, celui d’un homme devenu l’incarnation du collaborationnisme. Comment ce tribun prolétaire talentueux a-t-il basculé dans l’ombre du nazisme ?

 

Les années rouges : un ouvrier au cœur du PCF

Dans les ruelles de Saint-Denis où les cheminées crachent une fumée noire, Jacques Doriot naît en 1898 dans une famille modeste. Fils d’un forgeron, il quitte l’école à 13 ans pour manier le marteau dans les ateliers bruyants. La Première Guerre mondiale marque un tournant : mobilisé, il brave les tranchées et sauve un camarade blessé, geste qui lui vaut la Croix de guerre. Ce courage, mêlé d’une colère contre l’injustice sociale, le pousse vers le socialisme, puis vers le PCF en 1920. À 22 ans, il est déjà à Moscou, serrant la main de Lénine, ses yeux brillant d’un idéal révolutionnaire.

 

 

Sa fougue et son charisme le propulsent rapidement. En 1923, il devient secrétaire général des Jeunesses communistes, puis député de Saint-Denis en 1924, porté par les voix des ouvriers. Une lettre de 1923, adressée au Komintern, révèle son ambition : "Je veux faire de Saint-Denis le fer de lance de la révolution française". Élu maire en 1931, il transforme la ville en bastion rouge, organisant soupes populaires et meetings enflammés. Mais des tensions émergent : Doriot s’oppose à la ligne stalinienne "classe contre classe", incarnée par Maurice Thorez, qui rejette toute alliance avec les socialistes. En 1929, lors du congrès du PCF, il clame : "Refuser l’unité avec la SFIO, c’est livrer la France au fascisme !". Cette dissidence lui vaut une humiliation publique : forcé de se rétracter, il ravale son orgueil, mais la rancune s’installe.

 

 

Cette fracture s’aggrave en 1934. Doriot, convaincu qu’un front uni est vital face à la montée du fascisme, crée un comité d’unité avec les socialistes à Saint-Denis. Le Komintern, furieux, le convoque à Moscou. Il refuse, un acte de rébellion impardonnable. Exclu du PCF en juin 1934, il écrit dans une lettre amère : "Ils m’ont trahi, mais je ne trahirai pas les ouvriers". Ce rejet marque le début de sa dérive, un mélange de vengeance personnelle et de profonde désillusion idéologique.

 

La naissance du PPF : un fascisme à la française

Exclu, Doriot ne s’effondre pas. Dans le tumulte des grèves de 1936, alors que les usines s’arrêtent et que les drapeaux rouges flottent, il fonde le Parti populaire français (PPF) à Saint-Denis. Ce parti, loin d’être un simple avatar communiste, attire un mélange hétéroclite : anciens camarades du PCF, bourgeois effrayés par le Front populaire, et même intellectuels comme Drieu La Rochelle. Le PPF prône un nationalisme virulent, anticommuniste, mais rejette initialement l’antisémitisme. Une affiche de 1936 proclame : "France, libère-toi !", un cri qui séduit les déçus des gauches comme les nationalistes.

 

 

Le PPF, financé par le patronat – notamment le Comité des forges et la banque Worms – prospère rapidement. Une note interne du parti, datée de 1937, montre l’ambition de Doriot : "Nous serons le parti de l’ordre nouveau, un pont entre les classes ». Pourtant, son discours glisse vers l’extrême droite. En 1938, il salue les accords de Munich, voyant dans la paix avec Adolf Hitler une victoire. Cette position aliène des figures comme Drieu La Rochelle, qui quitte le parti, mais Doriot persiste, attiré par le modèle autoritaire de Mussolini. D'ailleurs, il aurait reçu 300 000 francs des fascistes italiens via son lieutenant Victor Arrighi.

À Saint-Denis, Doriot perd du terrain. En 1937, destitué de sa mairie par le gouvernement Blum, il est battu aux élections par un communiste orthodoxe, Fernand Grenier. Cette défaite, vécue comme une gifle, alimente sa radicalisation. Dans un discours au Vélodrome d’Hiver, il hurle : "Le Front populaire est une farce, la France doit être forte !". Le PPF, désormais marqué par une rhétorique fascisante, devient un aimant pour les ligues d’extrême droite dissoutes, mais reste marginalisé par la méfiance des élites conservatrices.

 

 

La collaboration : l’ombre du IIIe Reich

L’invasion allemande de 1940 offre à Doriot une nouvelle scène. Alors que la France s’effondre, il voit dans l’Occupation une opportunité. Installé à Paris, il relance le PPF et lance Le Cri du Peuple, un journal qui, profitant de l’interdiction de L’Humanité, cible les ouvriers. "La France doit s’allier à l’Allemagne pour écraser le bolchevisme", écrit-il en 1940. Il s’éloigne de Vichy, jugé trop timoré et se rapproche des Allemands, qui le financent mais se méfient de ses ambitions. Une directive d’Adolf Hitler à Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne en France, datée du 3 août 1940, ordonne : "La France doit rester faible, divisez ses forces collaborationnistes" 

 

 

En 1941, l’invasion de l’URSS par Hitler galvanise Doriot. Il fonde la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), s’engageant personnellement sur le front de l’Est, en uniforme allemand. Une lettre à un camarade du PPF, écrite en 1942, révèle son exaltation : "Sur ces plaines glacées, je combats pour une Europe nouvelle". Récompensé de la Croix de fer en 1943, il devient une figure du collaborationnisme radical. À Paris, le PPF participe à la répression, notamment lors de la rafle du Vél’ d’Hiv, où ses miliciens assistent les Allemands. Un témoin anonyme rapporte : "Doriot paradait, comme un coq, fier de servir ses nouveaux maîtres".

 

 

Pourtant, Doriot reste à la marge du pouvoir. Les Allemands privilégient Pierre Laval, plus docile. En 1942, lors d’un congrès du PPF, il s’écrie : "Je veux un parti fasciste, totalitaire !", un cri qui trahit sa frustration. Sa soif de pouvoir le pousse à des surenchères : il prône la guerre contre les Alliés, soutient le Service du travail obligatoire (STO) et s’en prend aux Juifs avec une violence croissante. Une note interne allemande de 1942 note : "Doriot pourrait unifier les Français, ce qui est dangereux".

 

 

La chute et la fin mystérieuse

En 1944, alors que les Alliés avancent, Doriot fuit à Sigmaringen, enclave des collaborateurs en Allemagne. Là, dans un château glacial, entouré de figures comme Marcel Déat et Fernand de Brinon, il tente de ressusciter son rêve d’un « État populaire français ». En décembre 1944, il rencontre Hitler, qui, selon un témoin, lui dit : "Doriot, je crois en votre réussit. Le 6 janvier 1945, il proclame la création d’un "Comité de libération française", parodie collaborationniste du projet gaulliste. Mais ses rivaux, Déat et Darnand, restent réticents et le projet s’enlise.

 

 

Le 22 février 1945, Doriot monte dans une voiture prêtée, la sienne étant en panne, pour rencontrer Déat à Mengen. Sur une route enneigée, deux avions surgissent, mitraillant le véhicule. Doriot, 47 ans, périt avec son chauffeur et une secrétaire. Était-ce un avion allié, comme le prétendent certains rapports ? Ou allemand, comme l’affirme Maurice-Yvan Sicard, cadre du PPF, suggérant un règlement de comptes ? Une rumeur murmure que les Allemands, lassés de ses ambitions, auraient orchestré sa mort. Les archives restent muettes, laissant planer le mystère.

Le destin de Doriot, du tribun rouge au "petit Führer français", incarne une tragédie d’ambition et de trahison. Son parcours, pavé de rancunes et d’opportunisme, reflète une époque où les idéaux s’effondrent sous le poids des compromissions. Dans Le Cri du Peuple, il écrivait en 1944 : "La France renaîtra par notre sacrifice". Ironie amère : son sacrifice ne fut qu’un murmure perdu dans les ruines du IIIe Reich agonisant.

 

 

"Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme."

 

Thierry Wolton


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