Soldat américain immolé à Washington : très forte symbolique

par MAYIFILUA N’DONGO
vendredi 17 mai 2024

Introduction

Les images qui sont passées en boucle sur la toile du cas du militaire américain, Aaron Bushnell, 25 ans, qui s’est immolé devant l’ambassade d’Israël à Washington, pour protester contre le soutien des Etats-Unis à Israël dans la guerre qui oppose ce dernier avec le Hamas. 

Cette guerre qui a débuté le 7 octobre 2023, par l’attaque du Hamas en Israël et qui a fait 1100 morts, côté israélien, des nombreux blessés ainsi que des otages dont certains avaient été libérés dernièrement et d’autres, par contre, sont malheureusement morts en détention. 

Israël, de la bouches de son premier ministre, Benyamin Netanyahou, déclara la guerre contre le Hamas et jura d’en finir avec celui-ci.

L’armée israélienne se mit à pilonner les positions du Hamas par le bombardement des localités de l’enclave de Gaza où les civils n’étaient nullement épargnés : enfants, femmes, jeunes, vieillards et handicapés étaient fauchés et même les hôpitaux étaient touchés de plein fouet, situation que le jeune militaire américain qualifia de « génocide » du peuple palestinien.

Prise de position aux antipodes de son pays, qui est l’allié naturel de l’Etat hébreux. Curieusement, cette situation de guerre lancée par Israël, en représailles à l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, ne suscita aucune réaction de réprobation de la part des puissances occidentales.

Tout s’est passé comme si on voulait en finir avec le peuple palestinien étant donné que la Cisjordanie est déjà dans une situation d’occupation de fait et que seul Gaza, sous contrôle du Hamas et sous blocus israélien, semblait résister aux injonctions des puissances occidentales, les Etats-Unis en tête.

En effet, ces puissances occidentales ayant déjà réussi à mettre au pas les autres pays arabes y compris l’autorité palestinienne en leur demandant d’être beaucoup plus réaliste dans leurs relations avec l’Etat hébreux, voyaient d’un mauvais œil la position de Hamas, qui était contraire à leur politique et dont la fermeté et l’intransigeance commençaient déjà à agacer par sa position sur la création d’un Etat palestinien. 

Quant au président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dont la marge de manouvre dans les négociations avec Israël était considérablement réduite contrairement au Hamas, et devenu par ailleurs l’ombre de lui-même après avoir passé plus de 15 ans au pouvoir, à la tête de l’autorité palestinienne en Cisjordanie, donne déjà des signes d’essoufflement dans sa gestion, jugée de laxiste et fortement gangrenée par la corruption, allant même jusqu’à adopter les méthodes répressives et dictatoriales en emprisonnant pratiquement tous ses adversaires politiques.

Dès lors, le Fatah de Mahmoud Abbas, une fois « mis en quarantaine » par l’Occident, ce dernier ne voyait pas d’inconvénient qu’on en arrive à faire taire aussi le Hamas, une bonne fois pour toutes, d’autant qu’il ne se montre pas « coopératif », et encore moins « raisonnable » [1]à l’instar d’autres puissances arabes de la région vis-à-vis d’Israël et l’attaque du 7 octobre dernier, a donné, peut-être, à Israël et aux puissances occidentales l’ « occasion » tant rêvée. 

Bien qu’en baisse de popularité, le Hamas semble tenir encore le flambeau de la résistance de par son exigence et intransigeance sur la création d’un Etat palestinien telle que prévue par les accords d’Oslo et de faire de la ville de Jérusalem-Est, la capitale du futur Etat palestinien.

Prise de position difficilement acceptable par les puissances occidentales, à commencer par les Etats-Unis.

D’ailleurs, le contexte international, tournant à leur désavantage avec notamment la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale de l’Etat hébreux, le 6 décembre 2017, par le président Trump, ne pouvait qu’exacerber les rancœurs et autres ressentiments de la part des palestiniens.

D’après Akram Belkaïd et Olivier Pironet[2], ce contexte était caractérisé par « l’alignement de Washington aux positions israéliennes, l’attentisme de l’Europe et le désengagement de plusieurs pays arabes » mais également par les nombreuses et incessantes humiliations[3] subies par les palestiniens.

Tous ces faits réunis, ont certainement constitué une des raisons pour lesquelles le Hamas, maintenant toujours sa posture et se sentant « abandonné et lâché » par ses frères arabes et la communauté internationale, décida alors de passer à l’action en organisant cette attaque d’une ampleur inédite par le nombre de victimes en Israël, le 7 octobre 2024. 

On parle de 1200 morts, côté israélien, principalement des civils avec une quarantaine d’enfants, 7500 blessés et environ 250 otages dont 86 qui ont été libérés lors du cessez-le-feu intervenu au mois de novembre 2023.

Cette trêve n’a duré que 6 jours et les bombardements israéliens ont repris de plus belle faisant des milliers de morts. D’ailleurs, la barre de 30000 morts a été dépassée côté palestinien et comme toujours, ce sont surtout les enfants qui payent un lourd tribut.

 

De la symbolique et de l’héroïsme de l’acte

L’acte de protestation posé par ce jeune militaire est à la fois très symbolique et héroïque de sa part, de la situation qui prévaut actuellement à Gaza sans que le monde occidental ne s’en émeuve et que, à la longue, par une sorte de lassitude, l’on commence à trouver la situation que vivent les 2,3 millions des palestiniens de Gaza de « normale » dans un monde où le nombre de conflits et de tensions ne cesse d’augmenter (RD Congo, Soudan, Soudan sud, Ukraine, Arménie, Proche Orient, etc.).

Situation qui fait la part belle à l’industrie d’armement occidentale qui a vu sa production augmenter de manière régulière et progressive.

En effet, les dépenses militaires mondiales sont en hausse en 2022, pour la huitième année consécutive et représente 2,2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit 2,055 milliards d’euros (Philippe Leymarie, 2024).

Pendant ce temps, tout un peuple est en errance dans son propre pays exactement comme à l’est de la RD Congo où l’on dénombre déjà plus de 5 millions de déplacés internes, sans que l’Occident ne fasse preuve de son éternelle et habituelle compassion vis-à-vis de ce pauvre peuple congolais et encore moins pour les palestiniens. On comprend car, cela se passe très loin de l’Occident…

De toute façon, l’Europe est déjà occupée avec sa « propre » guerre et que le temps lui fait « cruellement » défaut pour s’occuper encore des « autres ». 

L’acte de ce jeune militaire rappelle à bien des égards, celui posé par un bonze[4] vietnamien, Tich Quang Duc devant une base américaine à Saïgon, capitale du Viêtnam, il y a plus d’un demi-siècle, exactement en 1963, pour protester contre l’invasion de son pays par les américains et que son peuple était soumis à un déluge de feu sans pareil des avions bombardiers américains, les fameux B 52, de triste mémoire.

Comme si cela n’était pas suffisant, les américains sont allés même jusqu’à utiliser des bombes au napalm pour en finir, une fois pour toutes, avec ces Viêt-Cong réputés communistes alors que l’utilisation des armes chimiques était prohibée. Ces « pestiférés » vietnamiens, à la solde de Moscou et donc « dangereux » pour le monde occidental, ne pouvaient mériter que pareil traitement.

Il faut souligner qu’il y a eu encore d’autres cas similaires à travers le monde où des personnes se sont faits immoler par le feu en guise de protestation d’une situation ou d’une politique donnée, notamment le tchèque Jan Polach en 1969, pour protester contre l’invasion de son pays par les russes et plus près de nous, en 2011, le jeune tunisien Mohamed Bouazizi, pour protester contre la situation sociale des tunisiens qui devenait de plus en plus insupportable sous le régime Ben Ali.

Son sacrifice est devenu l’élément déclencheur de la chute et de la fuite de l’ancien président tunisien Ben Ali et donc de la révolution tunisienne, qui commence déjà à présenter, elle aussi, des signes d’essoufflement voire de déviation.

Cette liste n’est pas exhaustive car, même en RD Congo, il y a eu deux jeunes qui se sont immolés par le feu, l’un à Kinshasa et l’autre, à Lubumbashi. Si celui de Lubumbashi est malheureusement décédé, par contre celui de Kinshasa a eu la vie sauve grâce à l’intervention des gens qui l’en ont empêché. Ces deux cas ont eu lieu sous le gouvernement du premier ministre Matata Ponyo (2012-2016).

Si l’acte posé par les deux personnes (le vietnamien et l’américain) est similaire, c’est-à-dire se faire immoler pour une cause que l’on défend, la différence se situe à deux niveaux.

La première est que le bonze fut un religieux, donc plus spirituel, par contre le second est un militaire, jeune, homme de terrain, donc plus physique, issu de la très célèbre unité de l’aviation américaine, qui compte parmi les militaires les mieux entrainés et équipés du monde.

La seconde est que le bonze vietnamien défendait la cause de son propre pays alors que le militaire américain défendait plutôt la cause d’un autre peuple estimant surement que c’en était un peu trop pour ce peuple déjà meurtri, que de voir cette communauté internationale faire preuve d’un mutisme inouï face à ce drame humanitaire sans précédent, qui se déroule sous nos yeux. Peuple à qui l’on refuse même que l’aide alimentaire ne lui parvienne suite au blocus imposé par Israël. 

C’est également le cas pour la RD Congo, où l’aide arrive quand même et que les besoins des personnes déplacées vivant dans des conditions infrahumaines dans la ville de Goma et ses alentours, environ 1,3 millions, sont tellement immenses et que l’aide ne parvient pas à couvrir totalement.

A cela, il faut ajouter les cas des viols signalés dans les abris de fortune où sont logés les déplacés, dans lesquels les femmes et les jeunes filles sont les premières victimes et qu’il faut prendre en charge. 

En effet, sur les 250 millions de dollars nécessaires, le Haut-Commissariat aux Réfugiés, « HCR » en sigle, n’a reçu que 14 % (ONU Info, 2024).

Comme pour dire qu’il y a des peuples qui « valent plus que les autres » dans ce monde que nous voulons et souhaitons, pourtant, tous « juste ».

 

Donner sa vie pour les autres

Aaron Bushnell était jeune et avait toute la vie devant lui mais a préféré donné sa vie pour le combat du peuple palestinien alors que la politique de son pays est visiblement et profondément pour le soutien à Israël.

La question qui vient naturellement à l’esprit est celle de savoir les mobiles qui peuvent avoir poussé ce jeune homme faisant partie du corps d’élite de l’armée américaine, à pouvoir sacrifier sa vie pour un peuple aussi lointain que le peuple palestinien et, arabe de surcroit ?

Répondre à cette question est très difficile car tout ce que l’on sait sur ce jeune homme, en revoyant les images de son « sacrifice », sont des propos qu’il a tenus où visiblement, il parlait du martyr de ce peuple dont il défendait la cause au travers des images télévisées qu’il a certainement suivies, comme ses compatriotes, sur les différentes chaines de télévision et autres médias de son pays.

Ces images montraient le calvaire voire le supplice d’un peuple meurtri, « errant » et cherchant un endroit pour s’abriter sous l’avalanche des obus qui tombaient sur Gaza. Personne n’était épargné par ces bombardements : hommes et femmes, jeunes et vieux sans compter les pauvres enfants.

Mais en essayant de scruter la personnalité de ce jeune militaire, on découvre qu’il est né dans une famille modeste avec un esprit conservateur et qu’il était membre d’une église locale appelée « Community of Jesus », à Orléans dans le Massachussetts, église qu’il quitta après.

On rapporte également qu’il avait été profondément choqué et marqué par le meurtre de Georges Floyd par un policier blanc à Minneapolis dans le Minnesota, le 25 mai 2020, Derek Chauvin, jugé et condamné à 22 ans de prison depuis.

En outre, issu de la jeune génération, Aaron Bushnell, devrait être au courant du sort réservé aux vétérans américains du Vietnam, de l’Afghanistan et de l’Irak et qui finissent leurs vies soit comme SDF, soit tombent dans la dépression ou carrément, finissent par se suicider[5]. Le taux de suicide des vétérans de 18-34 ans était de 25,5 pour 100.000 en 2005[6].

D’ailleurs, face à ces nombreux problèmes qu’ils connaissent après la guerre et ayant certainement appris et compris « l’inutilité » de ces guerres que mène leur pays à l’étranger, certains vétérans ont choisi de rendre leurs médailles lors du sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Chicago, le 6 décembre 2023, au cours duquel ils ont organisé une marche avec des slogans tels que : « non à l’OTAN, non à la guerre », « nous ne tuerons plus pour vous » ou encore, « nous ne travaillerons plus pour vous ».

De toute façon, le sacrifice d’Aaron Bushnell, risque de faire des émules pour la nouvelle génération et va certainement donner matière à réflexion pour les grands stratèges de la politique étrangère américaine et de l’Europe. Déjà, les campus des prestigieuses universités américaines sont en ébullition et même Sciences Po et Sorbonne, en France. 

 

Nouvelle génération, nouvelle vision du monde

Il y a manifestement un conflit intergénérationnel qui se déroule sous nos yeux et dans un certain nombre de pays, sans que le monde ne puisse s’en rendre compte. Conflit qui oppose la vieille génération, issue du partage du monde selon Yalta ou de la fin de la deuxième guerre mondiale et la nouvelle génération, issue quant à elle de la chute du Mur de Berlin, dont fait partie ce jeune militaire. Génération moulue, en plus, à l’école de la digitalisation et du numérique, qui suit les informations du monde en temps réel et qui a une autre conception du monde, du rapport entre les peuples, entre les Etats et voire de la géopolitique mondiale, aux antipodes de celle de leurs parents issue de la vieille génération.

Cette nouvelle vision de la jeunesse risque de remettre en cause certaines théories réputées « universelles » pour la simple raison qu’elles furent, en réalité, élaborées pour le besoin de la cause, comme l’histoire du monde quand elle est écrite ou racontée par les vainqueurs.

Ce qui est sûr et certain, est qu’il faut s’attendre à des nombreuses remises en question de certaines grandes théories et donc forcément à des grands bouleversements mondiaux dans les années à venir malgré les « poches » de résistance que ceux-ci pourront susciter car, le monde sera dirigé bientôt par cette jeune génération « décomplexée », qui a une autre lecture des évènements mondiaux, lecture tout à fait différente de celle des « vieux ». Génération qu’Abou Axelle (1991) appelle la génération à la « dent dure ».

La série des coups d’Etat que certains pays du Sahel, comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée, ont connus récemment sont révélateurs de ce conflit entre les générations qui se posent actuellement, non sans une certaine acuité, même si leur mode d’accession au pouvoir a heurté certaines consciences. 

En effet, leur discours, de manière générale, plaide pour la rupture avec l’ordre ancien, ordre révolu selon eux, et qu’il faille repartir sur des nouvelles bases dans les relations internationales, relations qui tiennent comptent des intérêts des uns et des autres et surtout, débarrassées de tout esprit « paternaliste ».  

A ce sujet, la position de la France qui s’est même portée garante pour prêter main forte aux troupes de la communauté économique d’Afrique de l’Ouest, « CEDEAO » en sigle, en vue de ramener l’ordre constitutionnel dans ces pays, a été mal perçue par la population de ces pays.

C’est ce qui a fait naître le sentiment anti français non seulement dans ces pays mais aussi à travers l’Afrique subsaharienne, sentiment qui rappelle l’époque de la Françafrique, époque où l’Afrique restait la « chasse gardée » de la France et donc de l’Europe et personne ne pouvait, en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, quitter le giron français ou occidental sous peine d’être évincée ou carrément « neutralisée ».

Il faut reconnaitre que ces putschistes qui font partie de la jeune génération, ont tous pratiquement connu et vécu la politique d’ajustement structurel du FMI et de la BM des années 1980 avec ses conséquences sur le plan social dans leur pays respectif et sont donc, en complet déphasage avec la génération de Yalta[7] ou d’après les indépendances africaines, notamment sur la façon dont le monde est gouverné et même sur les relations entre les peuples, toutes races confondues.

 

Le mutisme et l’impartialité de l'Occident

Par ailleurs, le mutisme dont la communauté occidentale fait montre depuis le début de cette guerre de Gaza, ainsi que certaines déclarations d’hommes politiques occidentaux sur cette guerre, dénotent, pour beaucoup d’observateurs, un certain parti pris face à cette guerre de nouveau type où « tout est rasé », qui se déroule en plein 21ème siècle, réputé pourtant être le siècle du « respect des droits humains et de l’environnement ».

Cette attitude des responsables politiques occidentaux étonnent plus d’une personne alors que l’opinion publique occidentale organisait déjà dans certaines villes européennes des manifestations de soutien en faveur du peuple palestinien.

Seule l’Afrique du Sud, face à ce silence assourdissant des occidentaux, a eu « l’audace » de porter cette affaire devant la Cour internationale de justice, le 29 décembre 2023, en parlant carrément de « génocide » du peuple palestinien, bousculant ainsi les puissances occidentales dans leur conformisme béat, perdant ainsi de vue que le monde est en train de se « dérober » sous leur pied pour la simple raison que le contexte a considérablement changé, évolué depuis.

En effet, cette guerre de Gaza se déroule dans un contexte particulièrement nouveau où le monde est entrain de « basculer » passant du monde unipolaire à un monde multipolaire et ce, sur tous les plans.

Tout se passe comme si les autres pays ne veulent plus entendre parler d’un certain « hégémonisme » du monde occidental, d’une seule puissance mondiale sur le plan militaire, économique et sociale, depuis la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Situation que l’Occident feint d’ignorer ou plutôt, ne veut tout simplement pas admettre par orgueil, peut-être.

Ainsi, des nouvelles puissances cherchent à sortir du lot et viennent bousculer le classement de la « hiérarchie » mondiale, appelé communément le « Top 10 », telle que préconisée et voulue par les puissances occidentales entrainant avec elles dans ce mouvement d’autres pays, notamment les pays émergents et sous-développés, qui veulent également en « finir », à tout prix, avec l’ordre mondial ancien qui semble être devenu « obsolète » compte tenu des nouveaux enjeux et défis du monde actuel.

Au nombre de celles-ci, il y a le Brésil, la Russie, la Chine et l’Afrique du sud, par BRICS interposé, qui veulent aussi être comptés parmi les nations fortes et puissantes du monde ou en voie de l’être, au même titre que les autres grandes puissances mais à la seule différence, qu’elles veulent avoir la latitude et la liberté de faire une lecture différente des évènements ou des problèmes mondiaux et de ne pas être sous la coupe d’aucune puissance.

Car, ce que l’histoire des vainqueurs a délibérément occulté pour des raisons évidentes pendant des siècles, la même histoire, cette fois-ci, écrite par d’autres personnes lesquelles sont traitées « d’illuminés », par les penseurs acquis à la cause de l’idéologie dominante, semble lever le voile sur des pans entiers de l’histoire jusque-là « oubliée ». 

Ce qui est certain, est que cette guerre de Gaza va sûrement élargir encore le fossé entre l’Occident et les autres pays, dans la lecture ou l’interprétation des évènements mondiaux comme c’est le cas pour la guerre de l’Ukraine avec des incidences notables sur la géopolitique mondiale.

 

Coût élevé de la transhumance

Après plus de 6 mois de guerre, le coût humain du côté palestinien semble être élevé dépassant déjà plus de 30.000 morts parmi lesquels des nombreux enfants et quelques 6.000 combattants du Hamas sans compter des millions de personnes déplacées, qu’on estime à plus de deux millions, soit environ 85% de la population Gazaouis, et privées de tout.

Le monde assiste impuissant devant un phénomène de transhumance d’une telle ampleur. Cette fois-ci, il s’agit bel et bien des humains et non des « gnous » se faisant happer sur le chemin par des crocodiles ou autres prédateurs, comme nous avons l’habitude de le suivre à la télévision dans les documentaires.

En matière de transhumance « humaine », c’est la RD Congo qui détient la palme car on y dénombre plus de six millions de déplacés suite à la guerre qui sévit à l’est exactement trente ans durant, guerre qui commence à livrer présentement ses secrets sur ses origines lointaines et proches.

Ainsi, les véritables commanditaires de cette guerre se trouvent être parmi les principaux partenaires de la RD Congo au nombre desquels l’Union européenne qui est nommément citée, la France de Sarkozy et de Macron, et bien évidemment les Etats-Unis avec Clinton (Charles Onana, 2023) et la Grande Bretagne de Tony Blair.

D’ailleurs, son épouse Madame Hillary Rodham Clinton visita la RD Congo en août 2009, en sa qualité de secrétaire d’Etat du président Obama, visite qui l’a conduite jusqu’à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu où 36 femmes sont violées chaque jour et qu’elle a eu l’occasion de rendre visite (Hillary Clinton, 2014).

Elle est venue, en quelque sorte, voir de visu les « dommages collatéraux » d’une situation dont son époux est cité parmi les commanditaires !

C’est ce que Naomi Klein (2013) appelle le « capitalisme du désastre » où les guerres, pandémies et autres catastrophes naturelles sont utilisées comme moyen par les capitalistes pour étendre leur tentacule dans le monde telle une pieuvre. Deux noms sont cités dans la mise en place de cette thérapie de choc : Dick Cheney, vice-président de Georges W. Bush junior et secrétaire d’Etat à la Défense sous Georges Bush père et Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense, sous Georges W. Bush junior.

En 2004, l’ancien premier ministre israélien, Ariel Sharon, déclarait que « la capacité de souffrance des Palestiniens demeure supérieure à la faculté de nuisance de son armée » (Ignacio Ramonet, 2004).

 

La capacité de résistance des Palestiniens...

Près de vingt ans après, que dirait –t-il de la situation actuelle s’il était encore en vie ?

Cette guerre de type nouveau, avec utilisation par l’armée israélienne des nouvelles technologies dont les drones et même l’intelligence artificielle (IA) selon certains, fait des nombreuses victimes parmi les civils et les différents appels à un cessez le feu et même des familles des otages israéliens n’ont pas abouti mettant ainsi la vie des otages en danger, chaque jour qui passe.

D’ailleurs, certains otages ont déjà été déclarés morts mais cela n’entame nullement la détermination et la hargne du premier ministre israélien Netanyahou, avec son gouvernement d’extrême droite, ainsi que son armée d’en finir définitivement avec ces résistants palestiniens. Mais curieusement, cela fait plus de six mois maintenant que cela dure.

Malgré leur puissance de feu et leur supériorité technologique, l’armée israélienne, qui est parmi les mieux entrainées et équipées du monde, rencontre une sérieuse et farouche résistance de la part des combattants du Hamas lors des combats au sol. D’ailleurs, d’après certains observateurs et contrairement aux habitudes, la résistance palestienne est telle que l’armée israélienne a perdu un nombre élevé de militaires lors des différents combats au sol.

De la manière dont Israël conduit la guerre de Gaza, avec l’utilisation des dernières technologies électroniques, il ne serait pas étonnant d’apprendre dans les jours à venir que cette guerre était en partie « privatisée » en confiant certains problèmes logistiques de l’armée israélienne aux entreprises privées, l’essai ayant été concluant aux Balkans (1991-2001) avec l’armée américaine (Naomi Klein, 2013). 

Lors de l’invasion du Liban par l’armée israélienne en 1982, Yasser Arafat, le dirigeant palestinien disait ceci : « Ne trouvez-vous pas que résister héroïquement, pendant trois mois, à l’une des armées les plus puissantes du monde est en soi une victoire ? » (Eric Rouleau, 2004).

A Gaza, la résistance palestinienne est déjà à plus de trois mois !

L’impartialité, la duplicité voire la complicité dont fait montre l’Occident, avec les Etats-Unis en tête, face à ce qui se passe à Gaza, le monde étant devenu un village planétaire, va certainement et énormément « inspirer » la nouvelle génération, toutes races confondues et chacune à sa manière. Alors, il ne faudra pas s’en étonner désormais sur la remise en question récurrente de cet ordre mondial, voulu et imposé par les plus riches, parce que ne tenant pas compte des aspirations des masses laborieuses du monde. 

Ce qui certain, est que le monde ne sera plus dirigé comme avant.

 

La « décadence » de l’Occident

Face à tous ces évènements que le monde connait depuis ce premier quart de siècle, à savoir la crise financière de 2008, la pandémie de la Covid 19, la guerre de l’Ukraine et actuellement, la guerre de Gaza, il est clair que le monde va subir les contrecoups de ces événements et il va falloir s’attendre à des « remue-ménages » pour le reste de ce siècle. 

Or, tout se passe comme si l’Occident fait preuve d’une telle cécité dans ses relations avec le reste du monde qu’il semble ne pas tirer les enseignements face à ses erreurs et errements passés et récents, au nom d’un libéralisme écervelé.

En effet, les trois crises que nous venons d’évoquer ont entrainé des bouleversements importants dans le monde ainsi que dans la lecture que les autres peuples, surtout ceux des pays émergents et pauvres, ont sur ces évènements.

Que l’on veuille ou non, ces crises ont creusé, à coup sûr, un profond fossé dans les relations entre le Nord et le Sud mais aussi avec certaines organisations internationales dans la conduite des affaires du monde, notamment avec l’Organisation des Nations-Unies, « ONU » en sigle, où ces puissances émergentes demandent, depuis, le changement dans le mode de fonctionnement de cette institution qui est considérée actuellement comme une institution au « service des grandes puissances du monde uniquement » (Monique Chemillier-Gendreau, 1999).

Nonobstant ce changement qui s’opère dans le monde, au vu et au su de tout le monde, l’Occident semble toujours maintenir son cap, sa posture alors que certains esprits lucides ont déjà décelé des failles dans la géopolitique mondiale allant même jusqu’à prédire qu’il faut s’attendre à des grands changements dans les années à venir, avec le changement climatique, qui n’est plus un secret pour personne (Al Gore, 2007).

D’ailleurs, sur le plan économique, la Chine vient de dépasser les Etats-Unis comme première puissance économique mondiale. Même la Russie, qu’on croyait « mettre à genoux » suite à la guerre de l’Ukraine, avec la batterie des sanctions prises contre elle, fait preuve d’une résilience étonnante et actuellement, certains spécialistes rapportent même que l’économie russe se porte nettement mieux malgré les sanctions.  

En effet, pour nombre d’observateurs, cette situation peut être attribuée au fait que la lecture que l’Europe fait de tous ces évènements mondiaux est différente des autres nations croyant toujours être dans sa position de « leader » alors que les faits démontrent le contraire avec la montée en puissance des nouvelles puissances émergentes regroupées au sein du BRICS. Déjà, des nombreux pays se bousculent au portillon pour en faire partie. Cette liste des puissantes émergentes peut être allongée avec des pays comme l’Iran, le Pakistan, le Viêtnam et le Nigéria.

L’Occident donne l’impression d’être en déphasage par rapport à son temps croyant toujours que le temps joue en sa faveur alors que tous les indicateurs semblent être déjà au « rouge » dans plusieurs parties du monde ainsi que dans un certain nombre de domaines, notamment la géopolitique mondiale qui ne cesse de se mouvoir entrainant avec elle l’apparition des nouveaux facteurs ou des nouvelles contraintes qui échappent à l’Europe (E. Todd, 2024).

Todd parle même de la « solitude idéologique de l’Occident et l’ignorance où il était de son propre isolement » étant donné qu’elle est « habituée à édicter les valeurs auxquelles le monde doit souscrire » oubliant que le temps et le contexte ont changé depuis.

En effet, la guerre de l’Ukraine et celle de Gaza viennent de montrer, et de manière crue, à la face du monde que « toutes les vies de ne se valent pas » (Benoît Bréville, 2024) et que l'Occident fait montre d’une impartialité déconcertante selon qu’il s’agit de l’Ukraine, de Gaza, et encore de l’est de la RD Congo, avec un conflit qui totalise déjà 30 ans avec plus de 10 millions de morts. Conflit que les spécialistes occidentaux classent certainement parmi les conflits de « basse intensité » et, à ce titre, ne peut pas ébranler la géopolitique mondiale.

Pour l’Ukraine, les aides se chiffrent en termes des milliards de dollars pour l’achat des armes et autres équipements pour combattre la Russie.

Tandis que pour Gaza, on parle plutôt de quelques centaines de milliers de dollars composés des convois d’aide alimentaire bloqués à la frontière égyptienne par Israël empêchant ainsi aux humanitaires et même à la presse de faire leur travail d’apporter assistance aux affamés et autres malnutris palestiniens pour les premiers, et de couvrir l’actualité, pour les seconds. Cette situation n’est rien d’autre qu’une violation du droit humanitaire international (Anne Cécile-Robert, 2023).

Ce châtiment collectif (Benoît Bréville, 2024) des palestiniens se poursuit également jusqu’au bombardement des hôpitaux considérés par les israéliens comme refuge des militants du Hamas et le monde occidental est divisé quant à la position à prendre face à ce drame palestinien alors que ce peuple est en train de payer les conséquences du partage de la Palestine en 1948 tel que décidé par les puissances occidentales, l’Angleterre en tête.

Face à ce châtiment collectif, l’Occident semble faire la sourde oreille et tout porte à croire, vu les différentes réactions des responsables occidentaux, qu’ils seraient d’accord pour que Gaza soit « rasé » complètement pour qu’on ne parle plus du Hamas qui est, ironie de l’histoire, le produit de sa propre création.

Par contre, l’Ukraine, pays européen par excellence, ne pouvait que bénéficier d’un traitement différent de celui de Gaza. Tout le monde occidental était mobilisé comme un « seul homme » pour défendre la cause ukrainienne parce que certainement faisant partie de l’Europe, alors que les palestiniens considérés à la limite, comme « quantité négligeable », pouvaient encore supporter ce calvaire afin « d’augmenter » encore, peut-être, leur « capacité » de souffrance.

En outre, s’agissant de l’Ukraine, environ plus de 8 millions d’ukrainiens sont passés à l’Ouest par la Pologne depuis février 2022 (Christian Coloma, 2024) sans que l’extrême droite ou la droite tout court ne pipe mot (Benoît Bréville et Gregory Rzepski, 2024).

En d’autres termes, la théorie du « grand remplacement » est atténuée, petit à petit, par celle du « grand déplacement » et cela ne peut que réjouir les adeptes de cette théorie du grand remplacement.

Il va sans dire que le phénomène migratoire prend une coloration différente selon qu’il s’agit des européens et cela doit certainement réjouir Eric Zemmour pour qui la France court le risque de « devenir un pays à moitié islamique dans trente ans » (E. Girard, 2021), si rien n’est fait. 

Par ailleurs, le célèbre journal américain « The Washington Post », vient de faire une révélation dans un article publié récemment dans ses colonnes selon laquelle les Etats-Unis fourniraient à Israël les équipements, armes et munitions nécessaires pour mener cette guerre contre le Hamas, mettant ainsi à mal l’administration démocrate à l’approche des élections présidentielles qui auront lieu le 5 novembre 2024, aux Etats-Unis. .

En d’autres termes, l’Ukraine et Israël bénéficient de la clause des « nations les plus favorisées » et cela s’appelle en langage simple : « deux poids, deux mesures ».

Quant à la Palestine, elle peut encore se contenter de l’aumône qu’elle reçoit de l'Occident tout en attendant que celui-ci ne décide sur son sort définitif. Cette politique discriminatoire de l’Occident fait le lit des sentiments anti sémites qu’on observe en Europe et ailleurs dans le monde ces derniers temps.

D’ailleurs, les récentes déclarations de Monsieur André Flahaut, homme politique socialiste belge, en dit long quand il se permet de dire ouvertement à qui voulait l’entendre : « on dirait vraiment que dans ce monde, Israël et le Rwanda peuvent faire ce qu’ils veulent, au mépris des décisions de l’ONU  » (afriquactu. net du 24 avril 2024). Il a simplement dit tout haut ce que le monde pense tout bas.

Dès lors, il ne faut pas s’étonner qu’on en vienne à parler de la « cécité » dont fait montre l’Occident avec sa posture de « donneur des leçons » face aux nouveaux enjeux et défis qui pèsent sur le monde actuel vu le contexte de plus en plus évolutif du moment. 

Le 5 novembre 2004, Elie Wiesel[8], Prix Nobel, déclara que « Yasser Arafat était le plus grand obstacle à la paix entre Israël et les Palestiniens. Avec la sortie de Yasser Arafat, disparait le plus grand obstacle à la paix entre Israël et les Palestiniens. Sa disparition marque le début d’une nouvelle ère d’espérance au Proche-Orient ».

Vingt ans après la disparition de Yasser Arafat, la paix est toujours loin, alors très loin d’être établie entre Israël et les Palestiniens et le Proche-Orient est devenu une poudrière…

 

 MAYIFILUA N’DONGO I.

Chercheur au Centre de Recherche en Sciences Humaines (CRESH)

Bibliographie

  1. AL GORE. (2007). « Urgence Planète Terre ». L’esprit humain face à la crise écologique. 389 p. Editions Alphée. Paris, 2007.
  2. GIRARD E. (2021). « Le radicalisé ». enquête sur Eric Zemmour. 219 p. Editions du Seuil. Paris, 2021.
  3. HILLARY CLINTON. (2014). « Le temps des décisions ». 2008-2013. 721 p. Editions Fayard. Paris, 2014.
  4. KLEIN N. (2013). « La stratégie du choc ». La montée en puissance du capitalisme du désastre. 861 p. Editions Leméac. Actes Sud.
  5. ONANA C. (2023). « Holocauste au Congo ». L’omerta de la communauté internationale : la France complice ? ». L’Artilleur. 488 p.
  6. TODD O. (2024). « La défaite de l’Occident ». 40 p. Gallimard. Paris, 2024.
  7. BREVILLE B. « Si les vies se valaient… ». Monde diplomatique, n° 888. Janvier 2024.
  8. BREVILLE B. « Punitions collectives ». Monde diplomatique, n° 840. mars 2024.
  9. BREVILLE B. et RZEPSKI G. « Le grand déplacement ». Manière de voir, n° 194. Avril-mai 2024.
  10. BREVILLE B. « Punitions collectives ». Monde diplomatique, n° 840. Mars 2024.
  11. CHEMILLIER GENDREAU. « L’ONU confisquée par les grandes puissances ». Manière de voir, n° 45. Mai-juin 1999.
  12. HALIMI S. « Barbara à Gaza ». Monde diplomatique, n° 840. Mars 2024.
  13. KABOU A. (1991). « Et si l’Afrique refusait le développement ? ». 212 p. Editions L’Harmattan. Paris, 1991.
  14. Manière de voir. « Palestine-un peuple, une colonisation ». n° 157, février-mars 2018.
  15. RAMONET I. « Bush ». Monde diplomatique, n° 609. Décembre 2004.
  16. ROBERT A.C. « Tournant historique ». Manière de voir, n° 192. Décembre 2023-janvier 2024.
  17. ROULEAU E. « Mes rencontres avec Yasser ARAFAT ». Monde diplomatique, n° 609. Décembre 2004.
 

[1] Manière de voir. N° 157, février-mars 2018.

[2] Manière de voir, op. cit.

[3] Lire « La cérémonie de l’humiliation » d’Abaher el Sakka, dans Manière de voir. N° 157, février-mars 2018.

[4] Prêtre ou moine bouddhiste de l’Asie du Sud et du Sud-Est.

[5] Newsweek, du 7 mai 2007.

[6] Le Devoir, du 25 octobre 2021.

[7] Ville jadis ukrainienne et qui est passée sous contrôle russe, après l’annexion de la Crimée par la Russie, où fut signée les Accords de Yalta du 4 au 11 février 1945, entre les dirigeants du Royaume Uni, Winston Churchill, des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt et de la Russie, Joseph Staline, sur le partage du monde.

[8] Le Monde diplomatique, n° 609. Décembre 2004.


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