Biélorussie : l’indépendance par inadvertance

par Euros du Village
lundi 27 mars 2006

Alors que le Conseil européen des 23 et 24 mars a très clairement critiqué les autorités biélorusses pour avoir arrêté de nombreux manifestants et opposants politiques à Minsk et annoncé des sanctions à l’égard de Minsk, la population biélorusse, elle, dans sa majorité, soutient le président Loukachenko. Pourquoi le mouvement populaire semble-t-il si faible en Biélorussie, malgré toutes les révolutions « colorées » dans d’autres anciennes républiques soviétiques ? La Biélorussie peut-elle suivre les traces de l’Ukraine ? Pour trouver des éléments de réponse, les Euros du Village vous plongent dans un moment de l’histoire de la « Russie blanche »...

Un autoritarisme peut en cacher un autre


Le territoire qui correspond à la Biélorussie actuelle n’a jamais été indépendant avant 1991. Pendant pratiquement toute son histoire, la Biélorussie était sous domination étrangère. Au temps des tsars, elle faisait partie de la Russie. Puis elle fut divisée entre la Pologne et la Russie, après la guerre russo-polonaise de 1921, avant d’être réunifiée et intégrée à l’URSS en juillet 1944 en tant que République socialiste soviétique de Biélorussie.
Ainsi, pour l’essentiel, les Biélorusses sont passés directement du système tsariste au système soviétique, c’est-à-dire d’un autoritarisme à un autre. Contrairement à la Pologne ou aux Etats baltes, la Biélorussie n’a pas eu les vingt ans de l’entre-deux guerres comme période d’indépendance plus ou moins démocratique. Et, contrairement à l’Ukraine et à ses Cosaques, la Biélorussie n’a aucune tradition historique qu’elle peut réanimer pour renforcer sa propre identité nationale, encore très floue. Et c’est là tout le drame de la Biélorussie.
Jusqu’en 1986, la Biélorussie ne connaît aucune opposition significative, qu’elle soit politique, culturelle ou économique. Elle est en effet une des républiques les plus prospères d’URSS : très fortement industrialisée, elle ne connaît aucune difficulté économique majeure, même pendant la crise économique des années 1980 qui touche pourtant tout le bloc de l’Est.
Dans les années 1980, l’opposition politique est composée essentiellement de quelques intellectuels isolés et «  inoffensifs » pour le régime. Le régime les craint si peu qu’ils ne sont, pour la plupart, pas même emprisonnés, mais « seulement » mutés de force dans d’autres régions et forcés d’y travailler dans des métiers manuels.

L’opposition stimulée par l’écologie

Le premier réel mouvement de protestation apparaît en 1986, mais il est essentiellement écologique et sanitaire. Comme dans les Etats baltes et en Ukraine, les citoyens soviétiques sont inquiets de l’absence totale d’information sur l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl. L’inquiétude se transforme en choc quand la rumeur se répand qu’aucun secours n’a été dépêché sur les lieux pour aider les victimes de l’accident, et qu’aucune mesure de sécurité n’est mise en place pour éviter les retombées radioactives du « nuage » de Tchernobyl. Le 15 décembre, une pétition, dite la Lettre des 28, est adressée au Premier secrétaire du Parti communiste d’Union soviétique, Michail Gorbatchev.
L’année suivante, la contestation prend une tournure plus politique. Le 1er novembre 1987, une manifestation massive dans le centre de Minsk demande que la lumière soit faite sur les crimes de l’époque stalinienne. Les revendications concernent essentiellement les déportations massives entreprises en Biélorussie (ainsi que dans toute l’Europe centrale et orientale) dès la fin de la Seconde Guerre mondiale par le NKVD, ancêtre du KGB. En juin 1988, les manifestations reprennent, mais les revendications ne concernent toujours pas des sujets tels que la démocratie, l’indépendance ou l’identité nationale, alors que des demandes similaires furent formulées en Europe centrale dès 1956 et la condamnation de Staline par Khrouchtchev.
1987 est le moment où le mouvement culturel biélorusse apparaît. En octobre, le mouvement « Renaissance » (« Adradzennie ») est créé et, à l’époque, essentiellement composé de groupes représentant la jeunesse biélorusse instruite. Premier mouvement semi-légal de ce genre en Biélorussie Renaissance demande essentiellement une libéralisation culturelle du régime ainsi qu’une participation aux élections. C’est le moment où la contestation prend une tournure culturelle et politique. Les autorités répriment assez durement ce mouvement naissant. Ainsi, en janvier 1989, Renaissance doit tenir son congrès annuel à Vilnius (Lituanie) car les autorités biélorusses lui refusent, jusqu’en juin, le droit de se réunir en Biélorussie.

Le casse-tête de l’identité biélorusse

Les membres de Renaissance cherchent à établir une définition de la culture et de l’identité biélorusses. Cela relève du casse-tête et les progrès sont lents, tant il est difficile de distinguer la spécificité biélorusse. De fait, ce débat est toujours en cours aujourd’hui.
L’histoire biélorusse ne fournit aucun événement ou personnage qui pourrait symboliser l’indépendance de la nation biélorusse, comme c’est le cas, par exemple, avec les Cosaques d’Ukraine. Religieusement, les Biélorusses sont orthodoxes dans leur écrasante majorité, ce qui ne les distingue pas des Russes. Contrairement à l’Europe centrale et aux Etats baltes, ils ne peuvent pas se référer à leur propre langue, le biélorusse étant très proche du russe (comme le moldave est très proche du roumain). Et les deux langues utilisent l’alphabet cyrillique.
Cependant, à cette époque, les premiers symboles nationaux biélorusses font leur apparition : blason biélorusse, drapeau biélorusse... Ces symboles sont utilisés pour manifester non pas une opposition à l’URSS, mais seulement la spécificité de la Biélorussie comme membre de l’URSS. De manière générale, l’affirmation de l’autonomie biélorusse se fait très lentement. Au cours de l’année 1990, le Soviet suprême adopte plusieurs lois sur l’identité nationale, toutes assorties de longues périodes de transition. La loi du 27 janvier, par exemple, instituant le biélorusse comme langue officielle (aux côtés du russe), est assortie d’une période de transition de trois à dix ans.
Malgré tout, politiquement, rien ou presque ne bouge. Les mouvements populaires concernent encore et toujours essentiellement les conséquences de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl ainsi que quelques revendications culturelles. Même la déclaration de souveraineté du 27 juillet 1990 par le Soviet suprême est liée à la catastrophe de Tchernobyl : elle proclame essentiellement un Etat biélorusse « sans énergie nucléaire ». Le 17 mars 1991, 83% des Biélorusses se prononcent pour le maintien de la Biélorussie dans l’Union soviétique. (Les historiens considèrent ce référendum comme ayant eu lieu dans des conditions plutôt satisfaisantes, ce qui rend le résultat crédible.)

Un geste irréfléchi

Moins de six mois plus tard, le 25 août 1991, la Biélorussie déclare son indépendance en urgence, après l’échec de coup d’Etat militaire contre Gorbatchev. L’indépendance est proclamée sans que personne en Biélorussie n’ait une idée claire des conséquences de cette déclaration ou un projet politique pour l’avenir du pays. En effet, pour la Biélorussie, l’indépendance ne signifie ni démocratisation ni passage à l’économie de marché. Le modèle soviétique, un peu adouci il est vrai, y subsiste encore aujourd’hui.
L’impression que l’indépendance fut déclarée dans un moment de panique se renforce quand on considère que la Biélorussie fait, depuis lors, de son mieux pour rester « attachée » à la Russie. Elle fut en effet un des acteurs principaux de la création de la Communauté des Etats indépendants (CEI) en décembre 1991. Les économies russe et biélorusse sont, héritage de l’époque soviétique, toujours très étroitement liées. Beaucoup d’industries de transformation situées en Biélorussie reçoivent leurs matières premières de Russie et y exportent l’essentiel de leurs produits finis ou semi-finis. Une rupture des liens commerciaux avec la Russie serait une catastrophe économique pour la Biélorussie. Par ailleurs, il fallut attendre juin 1992 pour que la Biélorussie introduise sa propre monnaie (le rouble biélorusse) et décembre de la même année pour que les forces armées biélorusses (issues de la dislocation de l’Armée rouge) prêtent serment.

Le paradis soviétique perdu

La situation en Biélorussie aujourd’hui est essentiellement la même qu’en 1992. Certes, elle est indépendante et s’est débarrassée des «  cryptocommunistes », mais elle reste essentiellement un Etat soviétique, aussi bien dans ses structures que dans sa culture politique : un Etat qui ne sait toujours pas comment survivre ni comment s’adapter à un monde dans lequel l’URSS n’existe plus.
Quant aux Biélorusses, ils sont, selon la formule du Dr. Jakub Basista (de l’Université Jagellone de Cracovie) « reconnaissants à Lukachenko de leur apporter la stabilité. Ils ne sont pas libres, mais les prix sont stables. Ils ne sont pas d’accès aux médias indépendants, mais ils ont du travail. Ils ne peuvent pas voyager, mais ils ont l’eau courante et chaude ».

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