Hans Modrow et la transition démocratique de l’Allemagne communiste

par Sylvain Rakotoarison
samedi 18 février 2023

« En janvier 1989, j'ai écrit un rapport au secrétaire général, qu'il n'a tellement pas aimé que j'ai été immédiatement convoqué au bureau politique et Günter Mittag a inspecté mon district avec 100 personnes. Je n'étais pas un héros à l'époque, mais je n'étais pas non plus un lâche. » (2019).

Cela fait toujours drôle d'écrire "démocratique" tellement le communisme international a utilisé des mots pour dire leur contraire, à l'instar de George Orwell. Le "démocratique" de transition était vraiment démocratique et il s'agissait de transformer la République démocratique d'Allemagne, RDA (DDR auf Deutsch), dont le "démocratique" ne valait pas un clou car réellement communiste, en une véritable démocratie. Éphémère.

Et Hans Modrow, membre du parti communiste est-allemand (SED) depuis 1949, qui est mort à Berlin le vendredi 10 février 2023 à l'âge de 95 ans qu'il venait d'atteindre très récemment (il est né le 27 janvier 1928 à Jasenitz, en Poméranie occidentale, actuellement Police, en Pologne), a été le principal homme de cette transition démocratique, au point que certains journalistes l'ont appelé le "Gorbatchev allemand".

Pendant toute la durée de l'Allemagne de l'Est, Hans Modrow a grimpé progressivement sur les échelons de l'appareil du parti communiste (SED, parti socialiste unifié d'Allemagne), d'abord à Berlin à partir de 1954, puis, il est devenu le patron du parti communiste à Dresde du 3 octobre 1973 au 15 novembre 1989. Il a par ailleurs soutenu une thèse de doctorat en économie en 1966 à l'Université Humboldt de Berlin-Est. Sa carrière comme apparatchik lui a permis d'entrer au comité central du SED en 1967 (jusqu'en 1989), d'être élu député à la Chambre du peuple (la seule assemblée parlementaire de la RDA) à partir de 1958 (jusqu'en 1990), et d'être responsable de la propagande communiste du SED à Berlin de 1967 à 1973.

Il a vu l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir à Moscou d'un œil sympathique, voyant une opportunité pour le système communiste de se regénérer. La crise de la fuite des Allemands de l'Est vers l'Ouest en été et automne 1989 a rendu la situation politique très tendue. Pendant cette crise historique qui a secoué toute l'Europe centrale et orientale sous le joug soviétique (en Pologne, les premières élections libres ont été organisées en juin 1989), le dirigeant de la RDA, Erich Honecker, Secrétaire Général du SED depuis le 3 mai 1971 et Président du Conseil d'État de la RDA (chef d'État) depuis le 29 octobre 1976 (succédant à la tête du parti et du pays au leader historique Walter Ulbricht) était partisan de l'ordre ancien et souhaitait le maintenir par la répression si nécessaire.

L'autre homme fort de la RDA depuis plusieurs décennies était Willi Stoph, Président du Conseil des ministres (chef du gouvernement) depuis le 21 septembre 1964, à l'exception de la période entre le 3 octobre 1973 et le 29 octobre 1976 où il a succédé à Walter Ulbricht (mort le 1er août 1973) à la Présidence du Conseil d'État (depuis le 13 juillet 1967, il était le Vice-Président du Conseil d'État). Ainsi, Erich Honecker (numéro un) et Willy Stoph (numéro deux) ont dirigé la RDA depuis le milieu des années 1960 et présentaient un pouvoir usé, vieux, anachronique. Les deux furent jugés après 1990.

Mais le grand frère de Moscou a refusé d'aider l'Allemagne de l'Est en cas de répression. Par voie de conséquence, Mikhaïl Gorbatchev laissait libre cours à la décommunisation de la RDA. Dès le 8 octobre 1989, Hans Modrow (chef du SED de Dresde) et Wolfgang Berghofer (maire de Dresde) ont commencé les consultations avec l'opposition. Lors du bureau politique du SED du 17 octobre 1989, le Ministre de la Sécurité d'État Erich Mielke a contraint Erich Honecker à la démission de tous ses mandats, qui a été officialisée le lendemain. Au bureau politique, Egon Krenz, Hans Modrow et Günter Schabowski étaient les partisans de l'ouverture, en bonne connivence avec Mikhaïl Gorbatchev.

Egon Krenz a pris la relève, vingt-cinq ans plus jeune : dès le 18 octobre 1989, ce dernier fut désigné Secrétaire Général du SED, puis, le 24 octobre 1989, Président du Conseil d'État. Le 7 novembre 1989, le chef du gouvernement Willy Stoph a annoncé sa démission et ne voulait qu'expédier les affaires courantes. Il a reconnu devant les députés est-allemands l'échec de la RDA dû principalement à Erich Honecker. Le 8 novembre 1989, l'ensemble du bureau politique du SED a démissionné, mais cela allait devenir effectif le 3 décembre 1989.

L'histoire a été bien plus vite que les dirigeants est-allemands : car, finalement, c'était en pleine crise politique et vacance du pouvoir que, le 9 novembre 1989, date historique qui comptera dans l'histoire de l'après-guerre autant que le 11 septembre 2001 (et probablement le 24 février 2022), ce qui restait de gouvernement est-allemand, renonçant à la répression sanglante, a ouvert le mur de Berlin et a permis aux habitants est-allemands de se rendre en Allemagne de l'Ouest (en République Fédérale d'Allemagne, RFA ou BDR). Ce fut la chute du mur de Berlin.



Le 13 novembre 1989, Hans Modrow fut choisi pour former et diriger le nouveau gouvernement est-allemand, comme Président du Conseil des ministres. Il a constitué un gouvernement d'union nationale composé de membres du SED (communistes), de la CDU (le parti du Chancelier ouest-allemand Helmut Kohl), du LDPD (le parti libéral-démocrate d'Allemagne, l'équivalent de la FDP) et du DBD (parti paysan démocratique d'Allemagne), tous les quatre regroupant une alliance de 283 députés sur les 500 que comptait la Chambre du peuple (les 217 autres députés ont, du reste, soutenu le gouvernement Modrow sans participer). Notons que les principaux ministères (Affaires étrangères, Intérieur, Défense, Finances, Éducation, Culture, Industrie, Santé, Justice, etc.) étaient encore tenus par des ministres communistes. Le Ministre des Affaires étrangères, Oskar Fischer, par exemple, était en place depuis le 3 mars 1975. En revanche, Lothar de Maizière (CDU) était nommé Vice-Président du Conseil des ministres (chargé des Affaires religieuses), parmi les trois vice-présidents.

Le 1er décembre 1989, la Chambre du peuple a retiré le rôle dirigeant du SED ; Hans Modrow, à la tête du gouvernement, devenait un homme plus important politiquement qu'Egon Krenz, chef du parti. Après avoir commencé à libéraliser le pays, et l'économie continuant à s'effondrer, Egon Krenz a quitté tous ses mandats le 6 décembre 1989 (Manfred Gerlach lui succéda à la tête de l'État). Le parti communiste (SED) a disparu définitivement le 16 décembre 1989. Il fut remplacé par le PDS (parti du socialisme démocratique) auquel adhéra Hans Modrow et la plupart des anciens communistes (le PDS fut dirigé du 9 décembre 1989 au 31 janvier 1993 par Gregor Gysi, remarqué pour son éloquence le 4 novembre 1989 lors d'un discours devant des manifestants à l'Alexanderplatz à Berlin où il prônait une réforme électorale ; élu à la tête du SED pour succéder à Egon Krenz, Gregor Gysi refusa la dissolution du parti et le transforma en PDS).



Le 5 février 1990, après une table-ronde avec l'opposition, Hans Modrow a accepté le principe d'une dissolution de la RDA au sein de la RFA, après des élections législatives libres organisées le 18 mars 1990 et qui furent gagnées par la CDU. Hans Modrow céda son poste de chef du gouvernement le 12 avril 1990 à Lothar de Maizière qui prit le titre de Ministre-Président, ce qui laissait dire que la RDA était devenu un Land parmi d'autres au sein d'une Allemagne fédérale réunifiée. Par ailleurs, à titre temporaire jusqu'à la fin de la RDA, Sabine Bergmann-Pohl (CDU), élue le 5 avril 1990 Présidente de la Chambre du peuple, fut choisie comme chef de l'État par intérim.



Le 3 octobre 1990 a eu lieu la Réunification de l'Allemagne, moins d'un après la chute du mur de Berlin. Le processus avait été initié par Helmut Kohl dès le 28 novembre 1989 avec l'accord tacite de Mikhaïl Gorbatchev. Non seulement l'Allemagne de l'Est fusionnait avec l'Allemagne de l'Ouest, mais elle intégrait en même temps l'Union Européenne (et l'OTAN) et adoptait le Deutsch Mark avec le même taux de change, ce qui a handicapé économiquement l'Allemagne de l'Ouest pendant une dizaine d'années. Dans ce processus, Hans Modrow a été l'homme de la transition démocratique, celle qui a abouti aux premières (et dernières) élections libres en RDA, puis Lothar de Maizière l'homme qui a négocié en pratique la Réunification avec son homologue ouest-allemand. Le traité d'unification a été signé le 21 août 1990. Un second traité, correspondant aux conséquences internationales de la Réunification, a été signé le 12 septembre 1990 par les deux Allemagnes, l'Union Soviétique, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.

Après la Réunification, Hans Modrow fut élu député au Bundestag en octobre 1990 (jusqu'en 1994), puis député européen en juin 1999 (jusqu'en juin 2004), sous l'étiquette du PDS dont il était le président d'honneur. Allié avec le parti d'Oskar Lafontaine (qui avait quitté le SPD) aux élections fédérales du 18 septembre 2005, le PDS s'est dissous dans le nouveau parti Die Linke (la gauche) le 16 juin 2007. Hans Modrow était depuis le 12 décembre 2007 le président du conseil des anciens de Die Linke. Depuis 1990, cette mouvance reste une force politique non négligeable dans les Länder de l'ancienne RDA où le chômage et l'insécurité ont longtemps régné.

En retrait de la vie politique, Hans Modrow a écrit plusieurs livres de témoignage sur son expérience politique et ses opinions marxistes. Il a regretté l'effondrement de l'URSS et de sa zone d'influence et a reproché à Mikhaïl Gorbatchev sa politique d'ouverture (qu'il avait pourtant soutenue) qui a précipité l'effondrement du bloc communiste. Et bien plus tard, en 2019, il a regretté l'élargissement de l'OTAN avec l'intégration de l'ancienne RDA.

Ce qui restera de lui, c'est donc qu'il n'avait pas changé d'opinion politique. Il soutenait le régime de la RDA, qu'il considérait comme une "démocratie efficace" : « Pour moi, c'est une tentative de développement socialiste dans laquelle la démocratie était aussi efficace avec des restrictions. ». Il se considérait comme la mémoire vivante de la RDA, celui d'un nostalgie de la RDA, l'ostalgie. Néanmoins, il a accompagné le processus démocratique pour organiser des élections libres. Et c'est cela certainement que l'histoire retiendra.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 février 2023)
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Pour aller plus loin :
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Le mur de Berlin.
La chute du mur de Berlin.
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Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
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