Ukraine : Emmanuel Macron est-il un va-t-en-guerre ?

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 6 mars 2024

« La Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre, nous soutiendrons l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire. » (Emmanuel Macron, le 5 mars 2024 à Prague).

Le Président Emmanuel Macron s'est rendu ce mardi 5 mars 2024 à Prague, en République tchèque, pour signer le Plan d'action du partenariat stratégique 2024-2028 entre la République française et la République tchèque : « Face aux défis globaux, notamment ceux liés à la situation internationale et aux transitions climatique et numérique en cours, ainsi que face aux enjeux de renforcement de la compétitivité européenne, la France et la République tchèque ont un rôle à jouer ensemble pour la construction d’une réponse européenne. Confrontés en Europe aux tentatives de remise en cause des principes démocratiques, de l’État de droit et des libertés qui fondent nos sociétés, nos deux pays doivent également renforcer la défense des valeurs communes qui définissent notre appartenance européenne et transatlantique et s'efforcer d'approfondir la coordination stratégique dans le domaine des activités de communication. ».

Il était bien évidemment question, à Prague, de la guerre en Ukraine et de la défense européenne. Le chef de l'État français a voulu calmer les esprits en affirmant la veille dans une interview au quotidien tchèque "Pravo" : « J'ai toujours été clair sur le cadre qui était le nôtre, nous ne sommes pas en guerre contre le peuple russe et nous refusons d'entrer dans une logique d'escalade ». Au cours de la journée du 5 mars 2024, il s'est montré toutefois un peu donneur de leçon de géopolitique : « Nous avons tendance à trop dire ce que nous allons faire ou ne pas faire, face à quelqu'un qui ne dit rien. ». Et il a voulu insister sur le fait que l'Europe est menacée et doit réagir pour bâtir une défense européenne sans compter sur la protection des États-Unis : « Nous partageons la certitude que nous sommes touchés par cette guerre, que s'y jour une partie de notre avenir. ».

Les dirigeants tchèques se sont ralliés à l'éventualité de troupes au sol en Ukraine émise par Emmanuel Macron. En effet, le Président tchèque Petr Pavel a déclaré à ses côtés : « Je suis favorable à la recherche de nouvelles options, y compris un débat sur une présence potentielle en Ukraine. ». Cela montre bien que le Président français est loin d'être isolé diplomatiquement. Je reviendrai à la fin de cet article sur les déclarations d'Emmanuel Macron à Prague.

Heureusement que la France a Emmanuel Macron comme Président de la République et que l'Europe l'a parmi ses (rares) dirigeants influents et importants. Je suis fier encore une fois d'avoir voté pour lui en 2017 et en 2022 et l'époque mouvementée que nous connaissons, les crises multiples, la fin des habitudes molles imposaient assurément un chef d'État jeune, dynamique, imaginatif, volontariste et audacieux.

La déclaration du Président de la République à l'issue de la clôture de la Conférence de soutien à l'Ukraine à l'Élysée le 26 février 2024 a suscité bien des incompréhensions mais aussi des oppositions hypocrites et politiciennes. Pendant que les opposants franco-français hurlaient par réflexe pavlovien d'un antimacronisme primaire qui est d'autant plus insignifiant qu'il est excessif, Vladimir Poutine, lui, continuait à bombarder l'Ukraine, continuait à massacrer des centaines de milliers d'Ukrainiens et continuait à déplacer des millions d'Ukrainiens... en guise de campagne électorale.
 

Ces mêmes détracteurs professionnels de la France du progrès fustigeaient il y a deux ans les tentatives d'Emmanuel Macron à raisonner Vladimir Poutine, à dialoguer avec lui pour éviter une longue guerre en Ukraine. Ceux-là lui reprochaient sa mollesse, ses tentatives ridicules (qui ont été un échec, c'est vrai, mais il fallait essayer). Et justement, c'est parce que le Président français a fait tout son possible diplomatique pour tenter d'empêcher la guerre qu'il a compris quel était l'état d'esprit de Vladimir Poutine et qu'il n'y a plus rien à attendre d'éventuelles négociations qui, pour la Russie, se résumerait à une capitulation sans condition de l'Ukraine.

Laisser Vladimir Poutine s'emparer d'une partie de l'Ukraine, c'est l'encourager à poursuivre son funeste projet de Grande Russie, en mettant en péril la souveraineté nationale de pays indépendants, en particulier de la Moldavie (on voit bien à quel point Vladimir Poutine prépare les esprits pour une intervention russe en Transnistrie), mais aussi les Pays Baltes, et même la Roumanie et la Pologne ont des raisons historiques de s'inquiéter. On a vu ce que donnait la Grande Allemagne avec l'Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne. Les leçons de l'histoire ne sont-elles donc pas suffisantes ?!

C'est fort de café de dire que ceux qui veulent défendre leur patrie face à un agresseur sans scrupules, ainsi que leurs alliés, sont des va-t-en-guerre, surtout quand les mêmes se prétendent patriotes ! On a déjà connu ce genre de patriotisme entre juin 1940 et août 1944 avec les maurrassiens.

Le 26 février 2024, Emmanuel Macron l'a répété plusieurs fois : « Nous avons la conviction que la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe. ». C'était donc le message ultime d'Emmanuel Macron aux Européens, l'Europe ne serait plus protégée, ne serait plus en sécurité si la Russie ne perdait pas cette guerre en Ukraine, car cela la conforterait dans son expansionnisme territorial anachronique mais bien réel, et plus rien ne l'arrêterait, pas même les États-Unis qui risquent, dans quelques mois, après les élections présidentielles, de se replier dans un isolationnisme particulièrement fatal à l'Europe. C'est pourquoi l'Europe de la Défense n'est pas un vain idéal d'eurobéats, mais une simple nécessité géopolitique dans un monde qui bouge trop vite et qui laisse agir Vladimir Poutine à sa guise.

C'est la version ukrainienne et moderne de la fameuse phrase de François Mitterrand venu dire le 13 octobre 1983 à Bruxelles, en pleine crise des euromissiles (SS20 contre Pershing) : « Je suis, moi aussi, contre les euromissiles. Seulement, je constate des choses tout à fait simples, dans le débat actuel, le pacifisme et tout ce qu’il recouvre, il est à l’Ouest et les euromissiles, ils sont à l’Est ; et je pense qu’il s’agit là d'un rapport inégal. ».





On peut aussi retrouver des déclarations de De Gaulle, contre ce qu'il appelait l'impérialisme soviétique. Dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, en pleine construction du mur de Berlin, il affirmait ainsi : « Si ceux-ci veulent, par la force, réduire les positions et couper les communications des Alliés à Berlin, les Alliés doivent, par la force, maintenir leurs positions et maintenir leurs communications. Assurément, de fil en aiguille, comme on dit, et si tout cela fait multiplier les actes hostiles des Soviets, actes auxquels il faudrait répondre, on pourrait en venir à la guerre générale. Mais alors, c'est que les Soviets l'auraient délibérément voulu. Et dans ce cas, tout recul préalable de l'Occident n'aurait servi qu'à l'affaiblir et à le diviser. Et sans empêcher l'échéance, à un certain point de menace de la part d'un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l'agresseur, de le pousser à redoubler sa pression et finalement, facilite et hâte son assaut. Au total, actuellement, les puissances occidentales n'ont pas de meilleur moyen de servir la paix du monde que de rester droites et fermes. Est-ce que ça veut dire que pour toujours les deux camps devront s'opposer ? Ce n'est pas du tout ce que pense la France, parce que ce serait vraiment très bête et que ce serait vraiment très cher. Si le conflit mondial doit éclater, alors, le progrès mécanique moderne aura abouti à la mort. Sinon, c'est la paix qu'il faut tenter de faire. Que les Soviets cessent de menacer ! Qu'ils aident la détente à s'établir au lieu de l'empêcher ! Qu'il favorisent une atmosphère internationale pacifique, tandis qu'ils la rendent étouffante ! Alors il sera possible aux trois puissances de l'Occident d'étudier, avec eux, tous les problèmes du monde, et notamment celui de l'Allemagne. ».





Emmanuel Macron n'a pas dit autre chose que De Gaulle en 1961. Il a parlé de la possibilité de mettre des troupes au sol pour créer une incertitude qui est la première étape de la dissuasion. Et faire prendre conscience à Vladimir Poutine que l'Europe ne se laisserait pas faire, et aux Européens, que la situation est très grave et menaçante. Visiblement, cela a marché puisque le débat public s'est porté justement sur cette hypothèse. Et que, quelques heures plus tard, Vladimir Poutin a rappelé la menace nucléaire. Cela montre bien que le message est bien reçu par Moscou.

De plus, les réactions des autres pays, un peu trop timorés, prêts à se coucher devant Vladimir Poutine, en disent long sur les relations d'amitié et de loyauté, car tous ces pays avaient été avertis dès la semaine précédente de cette déclaration importante d'Emmanuel Macron, en particulier l'Allemagne et les États-Unis. Ils n'ont pas été pris au dépourvu et leur étonnement est très hypocrite. Le temps où l'Europe déléguait sa défense aux États-Unis est bien terminé. Cela devrait même réjouir les antiaméricains primaires.



L'Allemagne a épargné en plusieurs décennies des centaines de milliards d'euros de son budget en ne finançant pas sa propre défense et sa propre armée, pas étonnant alors d'avoir un budget à l'équilibre, mais un jour, il va bien falloir se poser la question de la défense européenne et de son financement. Les menaces répétées de Vladimir Poutine ont montré qu'elles n'étaient pas que du bluff, puisqu'il a tenté d'envahir l'Ukraine il y a deux ans à un moment où quasiment aucune chancellerie n'imaginait cette information crédible !

Les déclarations d'Emmanuel Macron sont donc stratégiques. L'ancien ministre Clément Beaune l'a confirmé le 1er mars 2024 sur France Info : « C’est aussi un message à la Russie pour dire : ne croyez pas que nous arrêterons notre effort et que nous ne sommes pas prêts à aller plus loin. ». Un peu plus tard, Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine, a déclaré : « Il est temps de prendre conscience que nous avons affaire à un pouvoir qui ne recule devant rien. ».

Dès le lendemain de la Conférence de l'Élysée, le 27 février 2024 sur LCI, l'éditorialiste Caroline Fourest tenait des propos très clairs sur le sujet : « Réaffirmer le fait qu'être démocrate, ce n'est pas être faible, et que la démocratie a du muscle, et qu'elle est capable justement de ce sens du sacrifice quand l'essentiel est en jeu, ça, c'est le rétablissement d'une dissuasion absolument indispensable, d'autant que, et là, c'est la même chose que pour l'islamisme, on a toujours du retard, parce que justement, nous, démocrates, nous ne sommes pas va-t-en-guerre, nous n'avons pas envie d'être en guerre, et donc, nous sommes toujours en retard sur ceux qui nous la font. Mais de même que sur l'islamisme, pendant des années, moi, j'ai eu des conversations avec des gens qui disaient "mais si on ne fait pas des provocations, mais si on ne fait pas des caricatures, ça va bien se passer, on ne va pas se faire attaquer". Non, ça ne se passe pas bien quand des gens vous déclarent à longueur de discours qu'ils en veulent à vos valeurs, ils finissent toujours par passer à l'acte. Ils sont passés à l'acte. Mais avec la Russie, tout le monde ne l'a pas encore réalisé, mais je pense que c'est en train de progresser, c'est exactement ce qui se passe, nous sommes déjà en guerre. Les opérations sur notre sol sont déjà commencées, que ce soit l'assassinat d'opposants russes sur notre sol, mais jusqu'à la déstabilisation de nos élections. (…) On sait qu'il y a un nombre de boîtes à trolls et de robots russes faits pour amplifier toutes nos crises, qui sont considérables, mais on sait aussi tirer les leçons de ce qui se passe aux États-Unis en ce moment. Alexander Smirnov vient d'être réarrêté, et rappelez-vous, c'est par cet indic du FBI qu'est arrivé le scandale qui a frappé le fils de Biden, ce n'est pas rien. C'est-à-dire que c'est un indic du FBI qui a été manipulé par les services russes pour accréditer une affaire de corruption qui devait nuire à Joe Biden pendant la campagne présidentielle face à qui, face à monsieur Trump, pour faire élire qui ? monsieur Trump, c'est-à-dire quelqu'un dont le Kremlin peut peut-être penser qu'il lui est plus favorable, en tout cas, qu'il lui est plus manipulable. Donc, les Présidents européens, même s'ils ne sont pas d'accord avec ce qu'a dit Emmanuel Macron, doivent bien prendre la mesure de ça. Les États-Unis ne sont pas à l'abri de manipulations sur leurs élections, nous ne le sommes pas non plus. La Russie étudie toute la journée les moyens de faire en sorte de faire élire ses alliés à la tête de la France, de l'Italie, c'est peut-être déjà le cas en dépit des apparences, de l'Allemagne, et j'ajoute ce point (…) qui est le plus triste, en réalité, le plus inquiétant. C'est inquiétant de voir l'Europe désunie là, on aurait préféré voir Meloni, et Scholz, et Emmanuel Macron, aller tous les trois, par exemple, et d'autres pays européens, à Kiev, ensemble, pour annoncer des choses fortes ensemble. C'est l'image qui nous manque. (…) Mais si demain, on a deux, trois pays européens qui ont des marionnettes de monsieur Poutine à leur tête, on n'en sera plus à pouvoir débattre tranquillement au Parlement de s'il faut envoyer des troupes ou pas en Ukraine, effectivement, de toute façon, nos troupes seront du côté de la Russie. ».
 

Le 29 février 2024, toujours sur LCI, le journaliste Jean Quatremer a réagi aux menaces nucléaires de Vladimir Poutine : « Ça montre qu'Emmanuel Macron a parlé juste parce que, pourquoi il a évoqué la possibilité d'envoyer un jour des troupes au sol ? (…) Le but d'Emmanuel Macron, qui n'a pris personne par surprise, hein, tout le monde a été prévenu avant, les Allemands ont été prévenus la semaine dernière, les Américains ont été prévenus la semaine dernière, qu'il allait parler de cette hypothèse d'envoyer des troupes au sol (…), vendredi, Scholz et Macron se sont parlé au téléphone, voilà, il a été averti avant, donc, après, cela a été de la gesticulation. Et quel était le but d'Emmanuel Macron ? C'était de réintroduire de l'incertitude justement stratégique, c'est-à-dire de faire de la dissuasion, de dire à Vladimir Poutine : attention, certes, l'armée ukrainienne est actuellement en difficulté, mais on ne sait pas à quel moment nous allons réagir plus brutalement, on ne peut pas l'exclure. Et le message a parfaitement été compris par Vladimir Poutine qui, comme toute grande puissance, parle le langage de la dissuasion. Il y a quelques puissances qui savent ce que c'est le langage de la dissuasion, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie, qui reste une grande puissance, qui connaît cette grammaire de la dissuasion, et là, c'est de grande puissance à grande puissance. (…) Les Européens, et c'est un véritable problème, ne comprennent pas ce langage de la dissuasion, et notamment l'Allemagne. ».

Le 26 février 2024, il ne s'agissait donc pas d'un coup de politique franco-française d'Emmanuel Macron. Tous les partenaires de la France ont été prévenus longtemps à l'avance avant cette conférence de presse. Il s'agit avant tout de réveiller l'Europe trop habituée à la paix pour être capable de se défendre.

Et Jean Quatremer de poursuivre sur l'Allemagne : « L'Allemagne de Scholz montre aujourd'hui qu'elle a un problème majeur avec ça. Ça fait depuis 1945 qu'elle ne gère plus les affaires de défense, qu'elle n'a aucune idée des enjeux géostratégiques, qu'elle n'a pas voulu s'en occuper, qu'elle a désarmé totalement, les Allemands auraient dû dépenser depuis 2000 pour faire les mêmes efforts que les Français environ 400 milliards d'euros de plus, en tout, en vingt-cinq ans, qu'ils n'ont pas dépensés, c'est pour ça qu'ils ont un budget à l'équilibre et qu'ils donnent des leçons à la Terre entière, mais en réalité, c'est parce qu'ils ont détruit leur armée. Et aujourd'hui, que la France joue son rôle naturel, pour le coup, en Europe, qui n'est pas économique mais qui est politique, qui est diplomatique et qui est militaire, les Allemands montrent qu'ils n'ont pas compris ce changement d'époque. (…) Le changement d'époque, ça veut dire quoi ? Ça veut dire un, qu'il [Scholz] doit apprendre cette grammaire militaire qu'il ne maîtrise pas, et puis deux, que dans ce nouveau monde qui est en train de se dessiner, la France joue un rôle de leadership majeur. En économie, ça reste l'Allemagne, c'est clair, c'est net, personne ne discute, l'Allemagne impose ses priorités, ça, c'est clair, mais sur le plan militaire et géostratégique, c'est la France. ».

Même réflexion sur le nain géopolitique allemand exprimée par la correspondante diplomatique du journal "Le Figaro", Isabelle Lasserre le 5 mars 2024 sur France 5 : « Scholz, c'est l'homme de l'Allemagne d'hier. Le monde change à une telle rapidité, et certains leaders arrivent à suivre la marche et la rapidité des changements du monde, et d'autres n'y arrivent pas. Scholz, il est le prototype de ça, c'est-à-dire qu'en fait, c'est le produit d'un pacifisme des années 1990, d'ailleurs de bien avant, et en fait, il a été incapable de moderniser son logiciel pour le faire coller à ce qui se passe aujourd'hui. Évidemment, la France a un rôle de leader naturel de par son rôle militaire, son rôle de puissance nucléaire, etc. Par contre, aujourd'hui, en fait, aucun pays n'est capable de faire les choses tout seul. Et donc, si la France n'arrive pas à s'allier ses partenaire, et en fait, à établir un consensus sur ce qu'il faut faire, eh bien les efforts risquent d'être vains. (…) Si [Emmanuel Macron] ne fait pas l'éléphant dans le magasin de porcelaines, s'il ne lance pas le gros caillou dans la marre, il ne se passera rien en Europe ! Ce n'est pas Olaf Scholz qui va bouger l'Europe ! Les Pays Baltes, ils peuvent la bouger, mais ils sont beaucoup trop petits. ».

Face aux détracteurs politiques français qui considèrent qu'Emmanuel Macron a jeté de l'huile sur le feu, Elsa Vidal, la rédactrice en chef du service en langue russe de RFI, a répondu, le 27 février 2024 sur France 5, avec une certaine véhémence : « Vous voulez la paix, nous aussi. Avec quels moyens ? Je vous répète que ça fait trente ans qu'on applique votre recette et qu'elle ne marche pas. Donc, si la question c'est : aujourd'hui, on peut avoir une négociation de paix avec Moscou en acceptant pour l'Ukraine à nouveau des pertes territoriales de 20%, c'est la recette qui a été appliquée et elle a mené, je le répète, à cinq autres guerres. Si vous donnez satisfaction à nouveau au régime, alors que nous sommes entrés quand même dans une période de tension, il y a fort à parier que ce régime se réarme, et continue avec la Moldavie, et avec d'autres pays et potentiellement la Pologne, ou potentiellement les États Baltes, à créer des zones de tension, on ne sait pas comment ces États pourront être amenés à réagir s'ils se sentent en insécurité, je ne vois pas ce que vous proposez comme paix, une paix qui se fasse au prix d'une intégrité territoriale de l'Ukraine, c'est ça ma question. Et la paix, je suis désolée de le dire, ça a été la mégacampagne soviétique en Europe pour nous demander de bien vouloir nous calmer. Je ne pense pas que la paix soit un programme politique en soi. Et je suis absolument navrée qu'une phrase, une seule phrase, en presque deux ans de guerre, du Président qui envisage comme potentielle la présence d'hommes, troupes, au sol en Ukraine, potentiellement pour faire de la logistique sur des missiles, vous amène tout de suite à sauter à la conclusion de guerre mondiale et d'irresponsabilité, et de faire de nous des faiseurs de guerre. Objectivement, les guerres aux frontières de l'Europe, c'est Vladimir Poutine qui les a menées. Je ne comprends pas qu'il y ait une telle détestation de la capacité française à réagir quand on est en permanence attaqué par des attaques hybrides, quand il y a un État qui s'immisce dans nos élections présidentielles, qui détourne des éléments d'information contre nous, je ne comprends pas ! ».

De même, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès de l'ONU, se révoltait le 28 février 2024 sur France 2 : « Les Russes font ce qu'ils veulent depuis deux ans, et nous, on se cache sous la table en disant : pourvu qu'ils n'écoutent pas ce qu'on est en train de dire. Eh bien non, il y a un moment... La Russie est forte à cause de nos faiblesses. Il faut bien se rappeler ça. La Russie est forte parce qu'en 2014, on n'a pas réagi à la prise de [la Crimée], et du coup, monsieur Poutine s'est dit en 2022 : bah, je peux y aller. Et les Américains lui ont dit : pas de problème, nous, on n'enverra pas de soldats. Et en plus, on plie notre ambassade… Il faut être fort. Monsieur Poutine ne comprend que le bras de fer. Il sait très bien que face aux Européens, et je ne parle même pas de l'OTAN, il n'a pas les moyens. Il n'est pas capable aujourd'hui de vaincre la petite Ukraine. Que voulez-vous qu'il fasse si on déploie des moyens ? Les Européens ne sont pas prêts. Aujourd'hui, ils doivent augmenter leur potentiel, c'est ce qu'ils font, pour être prêts demain. (…) Je rappelle, article 51 de la Charte des Nations Unies, c'est l'Ukraine qui est agressée. Il ne faut pas inverser les choses. C'est la Russie qui a attaqué. Nous, on n'attaque pas la Russie. Nous, on va aider l'Ukraine qui a été attaquée. Ce n'est pas exactement la même chose. (…) La dissuasion doit être crédible. ».

C'est donc un mauvais procès de croire que, d'une part, Emmanuel Macron est un va-t-en-guerre (c'est le monde à l'envers : c'est Vladimir Poutine l'agresseur, et le seul agresseur dans cette guerre), et que, d'autre part, Emmanuel Macron a voulu faire un coup de politique intérieure. Après ses tentatives de dialogue avec Vladimir Poutine (jusqu'à rappeler un peu à contre-emploi qu'il ne fallait pas humilier la Russie), Emmanuel Macron a compris que seul le langage de la fermeté et de l'incertitude (clef de la dissuasion) pouvaient fonctionner face au cynisme belliqueux du Kremlin.
 

C'est ce même message qu'il a répété lors de son déplacement à Prague ce mardi 5 mars 2024, notamment lorsqu'il s'est exprimé à la conférence de presse commune avec le Président tchèque : « [Mes propos] étaient clairs, assumés et précis. (…) Moi, je veux simplement constater que vingt-sept pays se sont rendus à l'invitation de la France lundi dernier, que nous avons pu en tirer des conséquences opérationnelles. Les vingt-sept étaient d'accord pour investir davantage, c'est un message de mollesse ou de fermeté ? de fermeté. Six avaient déjà signé leurs accords bilatéraux. Nous avons invité tous les autres à le faire, avec l'Ukraine. Et nous avons décidé de faire davantage, c'est lundi dernier à Paris qui a été décidé à la fois de soutenir l'initiative tchèque en matière de munitions, mais la création d'une nouvelle coalition capacitaire pour justement les tirs à haute précision, qui sont nécessaires sur le front aux Ukrainiens, comme vous le savez. Ensuite, nous avons bâti un consensus sur les cinq leviers de coopération avec l'Ukraine que je viens de rappeler. Et ensuite, j'ai dit quel était le cadre. Je n'ai pas dit qu'il y avait consensus encore, mais je considère que c'était important de le faire car nous devons tous être conscients que cette guerre nous touche. Et on n'a jamais envie de voir les choses telles qu'elles sont, mais nous devons être lucides. Cela fait deux ans maintenant, que nous répétons à longueur de conférences de presse : la guerre revient sur le sol européen. Cela fait deux ans, nous avons révélé l'étendue des matériels déjà livrés, les montants déjà livrés. Est-ce notre guerre ou n'est-ce pas notre guerre ? Pouvons-nous nous détourner, considérer que les choses peuvent continuer à se jouer ? Je ne crois pas. Et donc, c'est un sursaut stratégique auquel j'ai appelé et que j'assume pleinement. Il nous faut être lucides sur la réalité de la situation qui se joue en Europe, les risques qui sont à l'œuvre, et ce que nous devons assumer. Je suis convaincu que justement la clarté assumée de ces propos est ce dont l'Europe avait besoin. Mais allez plutôt demander au Président Poutine ce qu'il est prêt à ne pas faire. Qui a lancé la guerre en Ukraine ? Vladimir Poutine. Qui menace, quoi que nous fassions, quoi que nous disions, avec l'arme nucléaire ? Le Président Poutine. Tournez-vous tous vers lui pour savoir quelles sont ses limites stratégiques. Mais si chaque jour, nous expliquons quelles sont nos limites face à quelqu'un qui n'en a aucune et a lancé cette guerre, je peux déjà vous dire que l'esprit de défaite est là qui rode. Pas chez nous. ».

Devant la communauté française à Prague, Emmanuel Macron a confié avec un air grave sa démarche : « En évoquant Milan Kundera, je parlais d'une conscience qui avait vécu dans sa chair une Europe coupée en deux. Elle avait été coupée en deux par, il faut bien le dire, la lâcheté, une volonté, d'une partie de l'Europe, de ne pas voir les difficultés de l'autre, abandonnant en quelque sorte le destin de celle-ci au totalitarisme. Nous abordons à coup sûr un moment de notre Europe où il conviendra de ne pas être lâche. On ne veut jamais voir les drames qui viennent. On ne veut jamais voir ce qui se jour. Et je crois que nos deux pays ont conscience de ce qui est à l'œuvre en Europe. Le fait que la guerre est revenue sur notre sol, que des puissances devenues inarrêtables sont en train d'étendre la menace chaque jour de nous attaquer, et nous-mêmes davantage. Il nous faudra être à la hauteur de l'histoire et du courage qu'elle implique. Ce sera aussi notre responsabilité aux uns et aux autres. ».

C'est dans ce climat que les députés français auront à débattre en séance publique, le 12 mars 2024, de la guerre en Ukraine et de la réaction européenne. Nul doute que les arguments seront à nouveau malaxés avec plus ou moins de bonne foi et d'esprit de responsabilité.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


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