2024 pour l’Afrique

par William Kergroach
jeudi 25 janvier 2024

 De l'Afrique du Sud à la Corne de l'Afrique, en passant par le Nigeria, cette année 2024 sera pleine d'épreuves pour le continent.

 En Afrique du Sud, un pays qui a été gouverné par le Congrès national africain (ANC) pendant trois décennies, 2024 marquera une élection charnière. L'ANC est confronté à la possibilité de perdre sa majorité parlementaire, ce qui pourrait entraîner des changements significatifs dans le paysage politique sud-africain.

 Au Soudan, les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) luttent pour le contrôle du territoire, avec des conséquences potentielles de scission du pays. En Éthiopie, les tensions ethniques donnent lieu à des accès de violence, et la situation reste précaire. La Somalie continue de lutter contre le groupe militant al-Shabab.

 Au Nigeria, le président Bola Tinubu, qui avait suscité des espoirs avec des réformes audacieuses, fait face à des difficultés pour tenir ses promesses de redynamisation de l'économie. La chute du naira et les problèmes liés à la production pétrolière et gazière ont des répercussions sur la stabilité économique du pays. Les manifestations et les tensions sociales augmentent, menaçant l'unité nationale.

 L'Afrique du Sud se prépare pour des élections cruciales en 2024, repoussant la libéralisation des secteurs portuaire et ferroviaire ou le dégroupage de la compagnie nationale d'électricité Eskom à plus tard. Le Congrès national africain (ANC) pourrait perdre sa majorité parlementaire, vieille de 30 ans. Cette élection marque un moment critique pour la démocratie sud-africaine. Le pays a traversé des décennies de déclin politique et social depuis la fin de l'apartheid en 1994 avec l'arrivée au pouvoir de politiciens intrinsèquement corruptibles.

 Le leadership de Cyril Ramaphosa, président corrompu, est en jeu, mais une victoire de l'opposition reste peu probable. L'ANC représente encore 40 % des voix au nom du souvenir de l'Apartheid, elle n'hésitera pas à faire alliance avec d'autres partis, comme les Combattants de la liberté économique (EFF) pour rester au pouvoir. Les conséquences seront le tournant à gauche du gouvernement et une politique étrangère encore plus éloignée de l’Amérique. Avec l'EFF au gouvernement, Ramaphosa démissionnera, peut-être remplacé par le vice-président actuel Paul Mashatile.

 

 Épidémie de coup d’État

 Le Burkina Faso, le Niger, Madagascar, le Congo (Brazzaville), la Guinée-Équatoriale et l’Ouganda font face à une instabilité politique croissante, ce qui augmente le risque de coups d'État. Au Cameroun, le président Paul Biya, 90 ans, est de plus en plus paralysé par les rivalités internes. L'âge du président laissera un vide de pouvoir que les militaires s’empresseront de combler. Au Nigeria, les choses se compliquent pour l’administration de Bola Tinubu. Or, le Nigeria, géant économique de l'Afrique, joue un rôle crucial dans la stabilité régionale. Les défis économiques auxquels le pays est confronté en 2024, tels la baisse du naira et les problèmes de production pétrolière et gazière, ont des implications régionales. L'administration Tinubu navigue dans des eaux tumultueuses pour maintenir la stabilité économique et sociale du pays et de la région. 

 

 La crise du financement 

Les contraintes financières continuent d'être un défi majeur pour de nombreux pays africains en 2024. Les taux d'intérêt élevés aux États-Unis ont un impact sur les coûts d'emprunt, rendant difficile l'accès aux marchés internationaux de la dette pour certains pays. Le ralentissement économique de la Chine et l'évolution des priorités limiteront les prêts d'infrastructure aux pays africains.

 Le défaut de paiement de l'Éthiopie, en décembre 2023, illustre les vulnérabilités financières de la région. La dépréciation du shilling kenyan par rapport au dollar au cours de l’année écoulée a mis à rude épreuve les finances publiques et rendu la dette euro-obligataire relativement plus chère. Bien que l'accès du Kenya au financement multilatéral atténue sa dette, une augmentation rapide des prix du pétrole, l'incapacité à garantir l'approvisionnement alimentaire dans un contexte de chocs climatiques ou l'effondrement des recettes fiscales pourraient empêcher le Kenya de rembourser ses euro-obligations. 

 

 Conflits insolubles dans la Corne de l’Afrique 

La Corne de l'Afrique est confrontée à des défis de sécurité majeurs en 2024, notamment au Soudan, en Éthiopie et en Somalie. Au Soudan, les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) persisteront dans leurs affrontements pour le contrôle du territoire, notamment de la capitale, Khartoum. Ces derniers mois, les RSF ont progressé dans le conflit, repoussant les SAF de la plupart des régions du Darfour et de sites stratégiques à Khartoum. Cette escalade des hostilités accroît la probabilité d'une division du pays, similaire à celle observée en Libye, où les RSF domineraient l'ouest et le sud tandis que les SAF contrôleraient le nord et l'est.

 La situation en Éthiopie, en particulier, est préoccupante, avec des affrontements continus entre le gouvernement et les groupes d'insurgés. Les tensions ethniques en Éthiopie persisteront, alimentant des épisodes de violence continue dans les États régionaux d'Amhara et d'Oromia. Des groupes insurgés continueront de s'affronter avec les forces de sécurité de l'État. Un accord de paix négocié entre les autorités fédérales et les groupes d'insurgés est improbable, maintenant ainsi un environnement sécuritaire instable et préoccupant.


En Somalie, les efforts du gouvernement pour lutter contre le groupe militant islamiste al-Shabab se maintiendront, toutefois, ils seront entravés par des contraintes financières et de capacité alors que la mission de l'Union africaine (UA) prendra fin. De plus, des tensions claniques sous-jacentes éclateront de temps à autre, notamment dans les zones limitrophes du Puntland et du Somaliland, se traduisant par des épisodes sporadiques de violence.

 Les répercussions d'une guerre entre l'Éthiopie et l'Érythrée pourraient être graves, non seulement pour ces deux pays, mais aussi pour la stabilité régionale. Les relations entre l'Éthiopie et l'Érythrée ont connu une détérioration significative ces derniers mois, suite aux déclarations du Premier ministre Abiy Ahmed affirmant la volonté de l'Éthiopie de "se battre" pour accéder au port de la mer Rouge. Une escalade vers un nouveau conflit aura des conséquences dévastatrices pour des régions qui n'ont pas encore récupéré des séquelles du conflit du Tigré de 2020-2022. Une invasion éthiopienne sera mal vue sur la scène internationale et pourrait perturber le financement occidental destiné à la reconstruction et aux négociations en cours sur la restructuration de la dette. Cela accroîtra la pression sur la stabilité du gouvernement éthiopien et aggravera les problèmes d'insécurité existants dans d'autres parties du pays.

Etat Islamique au Sahel 

La région du Sahel continue de faire face à une montée du banditisme djihadiste. Les gouvernements de la région ont du mal à combler le vide sécuritaire laissé par le départ des troupes internationales en 2022. Les opérations militaires brutales intensifient les tensions communautaires et créent un environnement propice au recrutement de militants djihadistes. Le militantisme persistera au Mali, au Niger et au Burkina Faso tout au long de l'année 2024. Les juntes, étant préoccupées par des problèmes internes, ne seront pas en mesure d'endiguer l'expansion continue des groupes armés vers de nouvelles régions, créant ainsi de nouveaux foyers de militantisme, notamment dans le nord du Bénin et du Togo, le sud-ouest du Mali et potentiellement le sud du Niger.
La montée en puissance d'un califat dans le nord entraînera la reprise d'attaques dans les grandes villes. Les groupes militants vont exploiter le vide sécuritaire pour organiser des blocus et s'emparer de métropoles, imposant leur autorité sur de vastes étendues de territoire dans le nord du Mali ou au Burkina Faso. Cette situation va donner lieu à une nouvelle série d'attentats terroristes ciblant des civils et des intérêts occidentaux, rappelant les événements survenus entre 2015 et 2018 à Bamako (Mali), Ouagadougou (Burkina Faso) ou Niamey (Niger). Un Etat Islamique est en train de se constituer au Sahel qui va menacer directement l'Europe.

 
Croissance économique en Tanzanie 

Par contre, la Tanzanie sous la présidence de Samia Suluhu connaît une croissance économique impressionnante en 2024, grâce à des investissements dans des projets d'infrastructure majeurs tels que le port de Dar es Salaam et le chemin de fer à écartement standard (SGR) pour se connecter avec l'Afrique centrale. Cette croissance renforce la position de la Tanzanie en tant que destination d'investissement en Afrique de l'Est.
En cas de finalisation du financement de l'oléoduc d'Afrique de l'Est (EACOP), destiné à transporter le pétrole brut de l'Ouganda via la Tanzanie, la Tanzanie pourrait se diriger vers une position de leadership économique régional qui la placerait en avance sur le Kenya dans les années à venir.

 
Le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS). 

Le lancement du Système panafricain de paiement, en réduisant les coûts de transaction pour les entreprises régionales, favorisera le commerce intra-africain. Cependant, les désaccords au sein de la CEDEAO et la rivalité entre la Tanzanie et le Kenya, peuvent entraver cette intégration. Le lancement du Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), initiative développée par Afreximbank et hébergée par le Kenya, simplifiera les transactions transfrontalières, réduisant ainsi les frais de transaction pour les entreprises régionales en éliminant la nécessité de convertir les devises étrangères. Il est prévu que toutes les banques centrales adhéreront à ce système d'ici la fin de 2024, suivies par les banques commerciales d'ici la fin de 2025.

 Cependant, en Afrique de l'Ouest, la CEDEAO est aux prises avec des désaccords concernant les coups d'État militaires au Sahel, le maintien des sanctions contre la junte au Niger, et la possibilité de perturbations des échanges commerciaux au premier semestre de 2024 en raison des retards probables dans les élections au Burkina Faso et au Mali. Dans la région de l'Afrique de l'Est, la rivalité entre la Tanzanie et le Kenya pour dominer les importations compliquera les relations au sein de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC).

 La possibilité que les pays sahéliens décident de quitter la CEDEAO ou de sortir de la zone monétaire du franc CFA est envisageable. Si les juntes militaires sahéliennes tirent actuellement des avantages économiques de leur appartenance à la CEDEAO et à la zone monétaire du franc CFA, leur rhétorique de plus en plus hostile envers la France et le bloc régional pourrait prendre le dessus sur les considérations économiques et les pousser à poursuivre une politique monétaire indépendante en quittant collectivement la CEDEAO ou en abandonnant la zone monétaire du franc CFA.

Nationalisme des ressources 

Les pays africains cherchent à gérer leurs ressources de manière plus souveraine, mais cela entraîne des tensions avec les entreprises étrangères.
L'intérêt croissant des États-Unis et de l'Union européenne pour la diversification des chaînes d'approvisionnement en minéraux essentiels, en dehors de la Chine, va attirer un financement accru pour les projets miniers et les infrastructures liées à la chaîne d'approvisionnement. L'année 2024 marquera la première année complète d'exploitation du corridor modernisé de Lobito en Angola, un projet ferroviaire soutenu par les États-Unis et l'Union européenne. À terme, le train reliera les gisements de cuivre de la République démocratique du Congo (RDC) et de la Zambie à la côte atlantique.
Conscients de l'importance de leurs ressources minières pour la transition énergétique mondiale, de plus en plus de pays africains revendiquent un rôle actif dans la gestion de leurs ressources naturelles. En 2023, des interventions réglementaires ou contractuelles de la part des gouvernements ont été enregistrées sur huit marchés miniers, comprenant d'importantes renégociations de contrats au Botswana et en RDC, ainsi que de nouvelles réglementations minières au Mali et au Burkina Faso. Ces pressions devraient encore s'intensifier en 2024.

 Au Congo, le gouvernement et la société minière d'État, Gécamines, intensifieront leurs efforts après les élections de décembre 2023 pour améliorer les termes des accords de coentreprise et repositionner la Gécamines en tant qu'acteur majeur du commerce du cuivre et du cobalt. Au Sahel, les projets gouvernementaux visant à renforcer les capacités de raffinage au Burkina Faso et au Mali pourraient entraîner des conflits avec les opérateurs d'exploitation aurifère, qui exportent actuellement leur produit à l'étranger pour y être raffiné.
Un investissement majeur des États-Unis dans un projet minier en RDC pourrait susciter un intérêt accru de la part des grandes sociétés minières, qui ont jusqu'à présent hésité à engager des sommes importantes. Par ailleurs, nous pourrions assister à des investissements stratégiques de la part de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis, qui aspirent à devenir des acteurs majeurs dans le domaine des batteries électriques.

Les liens avec le Brésil, l'Inde, la Turquie et les États du Golfe. 

Les puissances moyennes ont des opportunités en Afrique. Les pays du continent cherchent à renforcer ses relations avec les puissances moyennes que sont le Brésil, l'Inde, la Turquie et les États du Golfe. Cette diversification des partenaires internationaux va contribuer à accroître la présence et l'influence de ces pays en Afrique. 

 L'année 2023 a été marquée par les efforts des dirigeants africains visant à accroître la visibilité du continent dans les débats mondiaux. Cela s'est illustré par des initiatives telles que la mission de paix menée par cinq chefs d'État en Ukraine et en Russie, les arguments convaincants du vice-président Ruto en faveur d'un système financier mondial plus équitable, et l'octroi d'un siège permanent à l'Union africaine au sein du G20. Les principales économies de la région ont continué à résister aux pressions géopolitiques pour s'aligner sur les grandes puissances mondiales.
En 2024, les grandes puissances mondiales accorderont moins d'attention à l'Afrique en raison de préoccupations intérieures, telles que la campagne électorale américaine, ou d'une tension grandissante entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis. 

 Dans ce contexte, les dirigeants africains chercheront de plus en plus à converger politiquement avec des puissances moyennes telles que le Brésil, l'Inde, la Turquie et les États du Golfe. Cette convergence se manifestera par des points de vue alignés sur des questions telles que le financement climatique, les conflits Russie-Ukraine et Israël-Gaza, la réduction de la domination du dollar américain, ou la réforme des institutions financières multilatérales. Ces positions communes fourniront une plate-forme de soutien aux investissements et au commerce en Afrique.
L'émergence du marché africain de la compensation carbone est un scénario possible. Après la COP28 en fin 2023, l'intérêt croissant pour les crédits carbone internationaux pourrait stimuler le développement de projets de conservation des écosystèmes naturels en Afrique. Les pays du Golfe pourraient jouer un rôle actif dans ce développement. Les accords sur le carbone pourraient potentiellement accroître les revenus des pays africains, mais leur manque de transparence et d'intégrité sera un obstacle à la confiance des investisseurs et des partenaires internationaux.

 


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