L’avenir de la France se joue aussi à Gaza !

par Sylvain Rakotoarison
lundi 15 janvier 2024

« "Le Monde" s’est procuré un document confidentiel, élaboré par Abdelaziz Al-Sager, le directeur d’un centre de réflexion saoudien, le Gulf Research Center, qui esquisse un plan de sortie de crise. Le texte a été élaboré dans la foulée d’une rencontre, le 19 novembre à Riyad, entre M. Al-Sager et Anne Grillo, la directrice du département Afrique du Nord et Moyen-Orient au Quai d’Orsay. Il a été ensuite transmis au Ministère des Affaires étrangères français. » (Benjamin Barthe, "Le Monde" du 20 décembre 2023).

En ce début d'année 2024, le gouvernement israélien a averti que l'armée israélienne continuerait la lutte contre le Hamas à Gaza pendant toute l'année qui vient. Selon une déclaration d'Ashraf Al-Qudra, porte-parole du Ministère de la Santé du Hamas, les frappes israéliennes à Gaza auraient provoqué la mort de 23 978 Palestiniens et en auraient blessé plus de 60 582 depuis le 7 octobre 2023, parmi elles, beaucoup de civils, et beaucoup de femmes et d'enfants. En outre, 1,9 million de Palestiniens ont dû quitter leur domicile sur les 2,3 millions que compte Gaza.

Ce 100e jour de guerre entre Israël et le Hamas ne donne aucune perspective d'une paix durable à court ou moyen termes. Les pertes humaines seraient même pires selon l'ancien officier français Guillaume Ancel, interrogé le 19 décembre 2023 par "Ouest France" qui évaluait (à l 'époque) à plus de 30 000 morts les effets des bombardements israéliens, en expliquant ceci : « Si les forces israéliennes ont neutralisé 3 000 à 4 000 miliciens du Hamas, c’est un grand maximum. Le problème, ce n’est pas de tuer des terroristes du Hamas, c’est l’utilisation de munitions extrêmement puissantes au milieu d’un territoire urbanisé et surpeuplé de civils qui ne peuvent fuir nulle part. Israël utilise des bombes de 250 kg ou l’équivalent en salves d’artillerie (soit cinq obus de 45 kg) qui font des victimes collatérales dans un rapport d’un combattant tué pour dix civils. C’est inacceptable. Cela s’appelle un carnage. Je dis bien carnage et pas génocide comme certains l’avancent à tort. Un génocide, c’est quand on décide de détruire un peuple. En revanche, l’armée israélienne, sur ordre du gouvernement Netanyahou, use de moyens totalement disproportionnés avec les objectifs militaires affichés, comme la destruction du Hamas. ».

Ceux qui sont épris des valeurs humanistes, pour qui la vie est un bien sacré qu'il s'agit de protéger, ne peuvent qu'être écœurés par autant de pertes de vies humaines et avoir du ressentiment sur l'absence de "dentelles" des militaires israéliens (on aurait préféré des ciblages plus efficaces pour atteindre les terroristes du Hamas). Pour autant, il ne faut pas considérer ces milliers de victimes comme des victimes d'un génocide, mais comme des tragiques victimes collatérales d'une riposte massive d'Israël qui, aujourd'hui, lutte pour sa survie, mais dont le caractère disproportionné n'aide pas à l'empathie.

En perpétrant le massacre du 7 octobre 2023, le Hamas savait très bien quelle allait être la riposte terrible du gouvernement israélien, dont le peuple a été atteint dans sa chair. Sans ce massacre, il n'y aurait pas eu ces milliers de victimes de Gaza. L'objectif politique du Hamas était simple, remettre en avant le conflit israélo-palestinien et interrompre le processus de normalisation diplomatique entre l'Arabie Saoudite et Israël. À court terme, c'est très réussi, hélas.



En France, les initiatives diplomatiques du Président Emmanuel Macron sont restées lettres mortes voire incomprises, mais surtout, illisibles. Beaucoup de personnes manifestent régulièrement à Paris contre les frappes sur Gaza (mais étaient-ils présents pour s'indigner du massacre du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas ?). Depuis des décennies, le conflit israélo-palestinien est l'objet de débats très clivants, d'oppositions fortes dans un pays, la France, qui ne devrait être concerné que de loin.

Et pourtant, la France est concernée de près, de très près. Déjà, comme l'a rappelé Emmanuel Macron dans ses vœux de nouvelle année, parmi les 1 139 victimes du massacre du 7 octobre, 41 étaient des Français : « 2023 aura été marquée par la poursuite de la guerre en Ukraine, la guerre aujourd’hui au Proche-Orient et les bombardements sur Gaza ; par les attaques terroristes du 7 octobre en Israël où 41 Français ont été assassinés, et je pense ce soir à leurs familles comme je pense aux familles de nos compatriotes encore retenus en otage. » (allocution télévisée du 31 décembre 2023). L'existence d'otages français retenus par le Hamas place la France parmi les nations les plus concernées de ce qui se passe à Gaza.

Mais la France est aussi concernée sur les moyen et long termes. En effet, l'Arabie Saoudite semble avoir une activité diplomatique très intense pour tenter de trouver une solution au Proche-Orient. Cet esprit d'initiative est nécessaire pour garder le leadership de la région face à l'Iran, et elle peut assurément avoir un rôle de médiateur entre les Israéliens et les Palestiniens. Il faut deux solutions, une solution de court terme pour arrêter ce que Guillaume Ancel qualifie de carnage (en d'autres termes, un cessez-le-feu), et une solution de long terme pour envisager une vie paisible entre Israéliens et Palestiniens (mais qui y croit vraiment ?).

Le journal "Le Monde" a révélé à la fin de l'année, le 20 décembre 2023, qu'un premier brouillon de plan de paix aurait été élaboré en Arabie Saoudite. Il s'agirait d'un plan proposé par Abdelaziz Al-Sager, le directeur du Gulf Research Center (ce dernier a d'ailleurs insisté, au lendemain de l'article, pour affirmer que ce plan ne reflétait que ses propres vues et pas du tout celles des autorités saoudiennes). Néanmoins, le document (confidentiel mais qui aurait fuité) aurait été transmis au Quai d'Orsay (à la directrice du département Afrique du Nord et Moyen-Orient, Anne Grillo) à la suite d'une discussion le 19 novembre 2023 à Riyad entre les deux personnalités (Anne Grillo et Abdelaziz Al-Sager).

Le document préciserait : « Il semble que la recherche d’un consensus saoudo-français puisse contribuer à l’élaboration d’une vision commune acceptable par toutes les parties et avoir une influence sur la décision de mettre fin à la guerre. ».



L'article en question (rédigé par le journaliste Benjamin Barthe) présente ainsi une des pistes de ce plan : « Le document suggère des pistes pour arrêter les hostilités à Gaza et stabiliser l’enclave. La plus singulière est l’évacuation vers Alger "des dirigeants militaires et sécuritaires du Hamas", une formule qui désigne probablement Mohammed Deif, le commandant des Brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du mouvement islamiste, et possiblement aussi Yahya Sinouar, le chef du Hamas à Gaza, très proche de l’aile militaire. » (20 décembre 2023).

Il explique le pourquoi d'une installation en l'Algérie, pays qui a de très bonnes relations diplomatiques avec le Qatar et l'Iran, deux États qui soutiennent le Hamas. Ce n'est pas nouveau dans l'histoire des Palestiniens : quand l'armée israélienne a assiégé Beyrouth en 1982, Yasser Arafat et son organisation à l'époque terroriste, l'OLP, ont été transférés (sous protection de l'armée française) à Athènes puis Tunis pour leur sécurité.

Personne d'officiel n'a, à ma connaissance, réagi à ce plan secret, et c'est normal, car tant qu'il n'est pas définitif, toute fuite ou commentaire pourrait le faire échouer dans des négociations très difficiles. Cependant, il faut bien comprendre ce qui se trame pour la France (entre autres).

Si ce plan était mis en œuvre, cela signifierait que les éléments les plus extrémistes du Hamas seraient à Alger. Or, on sait très bien, compte tenu des traités entre l'Algérie et la France, qu'il serait assez facile à ces éléments de se rendre en France et ils pourraient y commettre des attentats, comme des éléments de Daech en ont commis depuis 2015. Cette inquiétude devrait être sérieusement prise en compte par le nouveau gouvernement français.

Cela rappelle l'un des arguments du gouvernement israélien qui disait que son combat contre le Hamas était indispensable aussi pour les Européens. Et puis, disons les choses très crûment : ces terroristes du Hamas, tout le monde préférerait que l'armée israélienne termine elle-même leur élimination plutôt que s'attendre à leur dissémination un peu partout dans le monde.

C'est d'ailleurs assez contradictoire de voir en France que parmi ceux qui protestent contre les frappes israéliennes, certains sont aussi les premiers à rejeter toute immigration, à faire l'amalgame entre immigration et terrorisme (voire, plus généralement, criminalité), sans vraiment comprendre que ce qui se passe à Gaza concerne la France, son avenir et surtout, sa sécurité.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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