La gifle du grand Turc

par William Kergroach
vendredi 5 mai 2023

 « Pour le français que je suis, humilié par des décennies de gouvernements français vassalisés aux intérêts de la finance apatride, la Turquie, patriote et musulmane, impose le respect. » C'est ce que j'osais écrire dans mon essai : « 500 millions de Néo-Ottomans. » J'aurais pu écrire les mêmes lignes à propos de la Russie, de la Chine, de la Serbie, de l'Inde ou de plein d'autres nations qui se réveillent aujourd'hui quand nous sombrons. La Turquie fascine aujourd'hui l'Occident par son histoire, riche et complexe, par sa culture unique et sa position de leader musulman. C'est également par son déploiement de puissance militaire que le pays renaît. L'ambition de la Turquie de recouvrer son statut de nation dominante au sein d'un empire néo-ottoman est soutenue par une armée moderne et bien équipée. Mais ce qui attire le plus nos fiertés émoussées est la persévérante détermination d'Ankara, depuis l'époque d'Atatürk, de recouvrir son statut de nation dominante.

La Turquie d'Erdogan bouscule nos diplomates européens serviles et corrompus. La Turquie parle haut et fort, en son nom. Les Turcs n'hésitent pas à menacer, bousculer, nous faisant revivre des comportements que nous pensions révolus, depuis l'époque des invasions barbares. Il n'y a plus, de nos jours, que l'Oncle Sam à pouvoir agir avec autant de brutalité. Mais ce n'est pas pareil, Washington combat, paraît-il, « l'axe du Mal »...

La position géographique stratégique de la Turquie, entre l'Europe et le Moyen-Orient et sa forte identité musulmane ont contribué à susciter l'intérêt ou l'effroi des Occidentaux. L'ambition de la Turquie, n'en déplaise, est de retrouver son statut de nation dominante au sein d'un empire néo-ottoman. Nous, endoctrinés par « la Fin de l'histoire et le dernier Homme », l'essai du politologue américain Francis Fukuyama, qui prétendait que la démocratie libérale à l'américaine s'était imposée au monde, sommes désarçonnés et secrètement envieux de ces peuples résilients. Mais, peut-être, l'attitude menaçante de la Turquie sert-elle les âmes encore éveillées de l'occident...

 

L'histoire, la culture et l'islam : des influences variées

 

La Turquie a une histoire riche et complexe, qui remonte à l'Antiquité. Des influences culturelles variées ont contribué à la formation de la Turquie telle que nous la connaissons aujourd'hui, notamment les civilisations antiques, l'Empire byzantin et l'Empire ottoman. Ce dernier a laissé une forte empreinte sur la Turquie moderne, comme en témoigne la mosquée bleue d'Istanbul, un joyau emblématique de l'architecture ottomane. La culture turque combine des influences asiatiques et européennes. La cuisine turque s'inspire autant des saveurs de la Méditerranée orientale, du Moyen-Orient que de celles de l'Asie centrale.

C'est L'islam, toutefois, qui a eu le dernier mot sur la Turquie, en particulier sous l'Empire ottoman. Là encore, les dirigeants ottomans ont promu une lecture ottomane de l'islam. Après Sheikh ul-Islam, qui a, au 14e siècle, unifié l'Empire ottoman sous l'islam sunnite, l'un des plus grands théologiens de l'Empire ottoman a été Bediüzzaman Said Nursi. Nursi a mis l'accent sur la participation des musulmans à la vie civique et politique de la société. Sa vision d'un islam compatible avec les valeurs de la laïcité, nourrit encore les dirigeants de la République turque moderne.

 

La Turquie, une nation forte et résiliente

 

Malgré les défis économiques, politiques et sociaux auxquels la Turquie a dû faire face, notamment une inflation élevée et une forte dépendance aux investissements étrangers, exacerbés par la pandémie de COVID-19 obligeamment déclenchée par l'hyper classe mondialiste pour servir son plan apocalyptique, le pays a connu des périodes de croissance économique rapide depuis la fondation de la République turque en 1923. Au cours des 20 dernières années, la Turquie a connu une croissance économique moyenne de 4,7 % par an, ce qui en fait l'une des économies à la croissance la plus rapide au monde. En 2020 encore, malgré la pandémie, la Turquie enregistrait une croissance économique positive de 1,8 %.

Le PIB de la Turquie a augmenté de plus de 700 % depuis 1980, passant de 75 milliards de dollars à plus de 750 milliards de dollars en 2020. Le PIB par habitant de la Turquie a également augmenté considérablement, passant de moins de 3 000 dollars en 2001 à près de 10 000 dollars en 2020. La Turquie est devenue le 13e exportateur de biens au monde et le 7e exportateur de biens vers l'Union européenne.

La Turquie, deuxième puissance de l'OTAN en termes d'effectifs militaires, avec plus de 400 000 soldats actifs et de réservistes, a les moyens de jouer un rôle de plus en plus important dans les affaires régionales. Ankara a, mené, en 2019, une opération militaire d'envergure contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie. Nous découvrons que la Turquie est une importante productrice d'armements, avec des industries de défense développées telles Turkish Aerospace Industries (TAI) ou Aselsan. Le pays a également une stratégie militaire innovante, comme l'ont démontré l'emploi malheureusement déterminant par l'armée azérie, lors du conflit avec l'Arménie dans le Haut-Karabakh, du Bayraktar TB2, le drone de combat turc fabriqué par Baykar Makina. Capables de tirer des missiles de précision, les drones Bayraktar TB2 ont été utilisés par les forces armées azéries pour cibler les positions ennemies. Il y a eu, également, L'Anka, un drone de surveillance développé par Turkish Aerospace Industries. L'Anka a été largement utilisé pour collecter des informations sur les positions arméniennes. Le système de lance-roquettes multiples du T-300 Kasirga a également servi à attaquer les positions de l'armée de Yerevan. Enfin, le missile de précision MAM-L, développé par Roketsan, a pu atteindre des cibles à une distance de 8 km. La Turquie n'a pas seulement fourni du matériel performant, elle a également envoyé de précieux conseillers militaires. Notons, au passage, que ni l'OTAN américaine, ni la Communauté européenne, ni la Russie, n'ont assisté, eux, l'Arménie que l'on a laissé se faire massacrer dans ce combat civilisationnel...

L'ambition d'Atatürk


Ce qui attire donc le plus l'attention de nos esprits occidentaux amollis, est l'affirmation décomplexée de la Turquie de retrouver son statut dominant au sein d'un empire néo-ottoman. Cette vision ambitieuse n'est pas, comme on se plaît à le dire, irréaliste, si l'on s'accorde quelques années de plus de déclin occidental. Comme le souligne l'expert en politique étrangère Cengiz Candar, "la Turquie est une puissance émergente avec une histoire et une géographie stratégique importantes". Cette ambition de devenir une nation dominante n'est pas nouvelle. Elle remonte à l'époque de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur charismatique de la République turque. Pour atteindre cet objectif, Atatürk avait aboli le califat déclinant, créé un alphabet latin et promu l'éducation de son peuple. Ces réformes ont posé les fondations de la Turquie moderne. Atatürk était déterminé à faire de la Turquie une nation forte et moderne, capable de rivaliser avec les grandes puissances occidentales. Comme il l'avait déclaré dans un discours en 1927, "la Turquie doit devenir une nation avancée, une nation qui a sa place parmi les grandes nations du monde".
Cette ambition continue d'être portée par le président actuel Recep Tayyip Erdogan qui bouscule le consensus de nos chancelleries occidentales inutiles et soumises. La Turquie a le potentiel de retrouver son statut de nation dominante au sein d'un empire néo-ottoman, et elle le fait savoir. Elle est soutenue par une armée moderne et un peuple soudé. Ce n'est malheureusement plus notre cas.



L'ambition en héritage de Recep Tayyip Erdogan


De nos jours, la Turquie continue de chercher à s'affirmer parmi les nations, sous la direction du président Recep Tayyip Erdogan. Il a déclaré en 2016, " Nous sommes une grande nation. Nous avons une histoire de 1000 ans, et nous avons une présence géographique et une capacité économique qui nous permettent d'être présents sur la scène mondiale".
Ce ne sont pas des paroles en l'air. Erdogan a effectivement mené une politique étrangère plus assertive quand la nôtre est asservie. Il a investi dans les infrastructures du pays et a modernisé les forces armées. La Turquie a lancé une campagne militaire contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie en 2019, qui a clairement imposé sa présence dans la région.
Le président Erdogan a renforcé la position de la Turquie en signant un accord pour acheter des missiles russes S-400 en 2017, malgré l'opposition des États-Unis. Il a affirmé, ainsi, une indépendance qui nous fait fantasmer. Enfin, la Turquie est devenue un partenaire important de l'initiative chinoise "Belt and Road". Elle s'ouvre ainsi des marchés et réduit sa dépendance vis-à-vis de l'Occident.



La Turquie nous fascine et nous effraie donc par son ambition de retrouver son statut de nation dominante. Clairement, ce pays se donne les moyens de sa puissance et va bouleverser la paix de la région en imposant, bientôt, sa volonté impériale. C'est un drame pour l'Europe et pour de nombreux pays voisins de la Turquie, comme l'infortunée Arménie qui est la première victime. Mais, si les conséquences sont terribles pour nous, elles seront probablement l'occasion de dessiller nos yeux. Notre seule opportunité de nous secouer pour pouvoir fuir un modèle de civilisation suicidaire est, comme dans notre passé chrétien, la gifle que nous donnera le grand Turc.

 

Pour aller plus loin : 500 millions de Néo-Ottomans : Le monde turc au 21e siècle

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