Lénine, le Robespierre des soviets

par Sylvain Rakotoarison
dimanche 21 janvier 2024

« Il est absolument certain que la victoire finale de notre révolution, si elle devait rester isolée, serait sans espoir. » (Lénine).

Il y a exactement 100 ans, le 21 janvier 1924, est mort Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov) à son domicile, après une série d'AVC qui l'ont diminué et dont la cause reste encore bien mystérieuse. Il n'avait que 53 ans, né le 10 avril 1870 à Simbirsk (maintenant, Oulianovsk). Étrange date pour la mort d'un révolutionnaire qui est en même temps la mort du roi de France.

50 000 Russes ont alors défilé devant sa dépouille dans la Maison des syndicats, au centre de Moscou. Créateur de la Tchéka (devenu KGB) pour mater les contre-révolutionnaires, créateur des futurs goulags, régicide, Lénine, féru de culture historique, faisait souvent référence à la Révolution française et on pourrait le comparer à une sorte de Robespierre russe (ou Cromwell russe). Impitoyable, Lénine expliquait en 1918 : « Nous devons encourager l'énergie d'une terreur de masse à grande échelle contre les contre-révolutionnaires. ».

Chef du gouvernement russe puis soviétique depuis le 8 novembre 1917 (jusqu'à sa mort), Lénine est l'un des pires sanguinaires de l'histoire du monde, responsable de la terreur entre 1917 et 1922, qui aurait coûté la vie à un demi-million de Russes. Jusqu'à sa mort, Lénine n'a jamais dévié de sa conception du pouvoir et a toujours prôné l'usage excessif de la violence (alors que certains historiens chercheraient à y déceler une évolution vers un certain humanisme).

Cela faisait depuis 1921 que la santé de Lénine était très fragile et déclinante. Épuisé psychologiquement et physiquement, atteint de troubles cardiaques, d'insomnies etc., il travaillait visiblement beaucoup trop, selon les médecins. Cela ne l'empêchait pas de continuer la politique de terreur, à vouloir l'étendre, voulant condamner à mort le moindre opposant, dans une perspective paranoïaque de maintien au pouvoir du parti communiste.

Craignant d'être diminué voire handicapé par sa santé, il s'est fait fournir par Staline du poison dès le printemps 1922 pour pouvoir se suicider le cas échéant. Lénine céda à Staline le poste crucial de chef du parti (Secrétaire Général du comité central du parti communiste de l'Union Soviétique) le 3 avril 1922. Il le regretta même si c'était Staline, opportuniste, qui allait le visiter et lui rendre des comptes lorsqu'il était malade. À partir du mois de mai 1922, Lénine a fait une série d'AVC qui l'a considérablement diminué, se trouvant paralysé parfois définitivement, jusqu'à ne plus pouvoir parler (il était totalement dépendant à partir du son AVC du 7 mars 1923).

Très vite, Lénine a été isolé par Staline, l'empêchant de transmettre des courriers aux autres dirigeants soviétiques. Il a réussi néanmoins à faire parvenir, par sa sœur, ce qu'on a appelé son testament politique, dicté les 23 décembre 1922, 31 décembre 1922 et 4 janvier 1923, où il évaluait les différents dirigeants soviétiques, craignant la division. Staline, qui avait pris la direction du parti, concentrait à son avis beaucoup trop de pouvoir et qu'il l'usait sans assez de prudence. Il le trouvait également beaucoup trop brutal (jusqu'à ses relations avec sa sœur). Trotski était, pour Lénine, le plus capable, mais il avait une vision trop bureaucratique du pouvoir (il y a eu une chasse à la bureaucratie, à l'époque). Il évoquait aussi Grigori Zinoviev, Lev Kamenev, Nikolaï Boukharine et Gueorgui Piatakov (ces quatre dirigeants ont fini exécutés par Staline entre 1936 et 1938). Il finissait par la proposition de limoger Staline au profit d'une personnalité plus tolérante, plus loyale, plus polie et plus attentive envers ses autres camarades dirigeants. Mais cette lettre était lettre morte, elle n'a été vraiment connue qu'après la mort de Staline, utilisée par Nikita Khrouchtchev lors de la déstalinisation.



On connaît la suite de l'histoire : en quelques années, Staline s'est arrogé tous les pouvoirs et sa rivalité avec Trotski s'est terminée par l'exil puis l'assassinat de ce dernier (en 1940). Certains pensent encore que le communisme à la sauce trotskiste aurait été plus humain et plus tolérant qu'à la sauce stalinienne. La réalité, c'est que Trotski était aussi violent que les autres dirigeants soviétique qui n'ont eu de légitimité au pouvoir que par leur violence dissuasive.

Dans la "Revue des Deux Mondes", l'essayiste Thierry Wolton, auteur d'une "Histoire mondiale du communisme" (chez Grasset), a évoqué Lénine le 6 octobre 2017 en ces termes : « [Son rôle] est capital. Lénine est le penseur et l’organisateur, c’est-à-dire le personnage le plus important de l’histoire du communisme. Ceux qui lui succéderont ne feront que mettre en scène ce qu’il avait prévu. Il a donné les instruments, le cap, le parti unique, etc. Il avait compris que le déterminisme historique tel que l’avait prévu Marx ne pouvait pas fonctionner, car le prolétariat n’avait aucune envie, à la fin du XIXe siècle, de prendre le pouvoir. Il voulait simplement s’enrichir, s’embourgeoiser. Lénine a donc pensé qu’il fallait faire la révolution à la place du prolétariat, d’où son idée de créer un parti de révolutionnaires professionnels, formalisée dans son livre "Que faire ?" en 1902. Grâce à ces révolutionnaires prêts à prendre le pouvoir quelles que soient les conditions, on n’avait plus besoin du prolétariat. (…) La seule chose qui intéressait Lénine était le pouvoir parce qu’il était convaincu que lui seul était capable de faire la révolution et d’apporter le bonheur au peuple, malgré lui ! ».

D'ailleurs, Thierry Wolton récusait l'idée même de la Révolution d'octobre : « En vérité, le fameux palais d’Hiver de Petrograd était défendu par un bataillon de jeunes femmes et d’hommes apeurés. Il n’a donc pas fallu plusieurs milliers de personnes pour prendre le bâtiment, mais une simple escouade de gardes rouges et quelques coups de feu. On est loin de l’image véhiculée par le film "Octobre" de Sergueï Eisenstein diffusé à partir de 1927, dans lequel une foule de révolutionnaires prend d’assaut le palais d’Hiver. Tout cela est mensonger. (…) La notion même de coup d’État l’a emporté aujourd’hui. Très peu d’historiens sérieux et honnêtes oseraient encore dire que Lénine a pris le pouvoir grâce à une révolution populaire. Son parti s’est contenté de s’’emparer des communications et de quelques lieux de pouvoir… Lénine le dit lui-même lorsqu’il confie à Trotski, le jour-même du coup d’État, que cela a été plus facile que de "soulever une plume". Un an après, en octobre 1918, lorsque la "Pravda", journal des bolcheviks, fête l’événement, il parle lui aussi de "coup d’État" et non de révolution. ».



Le sentiment de Vladimir Poutine sur cette révolution donne plutôt le beau rôle à Staline : « La Russie de Vladimir Poutine n’a pas le quart de l’aura que pouvait avoir l’Union soviétique, même si le président russe fait en sorte que son pays revienne sur la scène internationale. (…) Le régime poutinien a une approche assez ambiguë sur le sujet. Vladimir Poutine n’aime pas Lénine et lui préfère Staline. Il estime que Lénine pensait plus à la révolution mondiale qu’à la Russie elle-même. Staline est mis en avant dans les livres d’Histoire, instrumentalisé par le pouvoir actuel, en tant que communiste nationaliste. À l’inverse, Lénine est minoré par l’historiographie officielle. Dans la Russie poutinienne, on pourrait parler d’une résurgence du stalinisme mais certainement pas du léninisme. » (Thierry Wolton).

L'historien britannique Anthony Read évoquait en 2008 un Lénine minoritaire en 1903, au congrès du parti, et qu'il a fait appeler son groupe "bolchevik" (qui veut dire "majorité") pour faire illusion : « Lénine ne manquait jamais une occasion de favoriser l’illusion du pouvoir. Par conséquent, dès ses tout débuts, le bolchevisme fut fondé sur un mensonge, créant un précédent qui allait être suivi pour les quatre-vingt-dix années à venir. (…) Lénine n’avait pas le temps pour la démocratie, n’avait aucune confiance dans les masses et aucun scrupule dans l’usage de la violence. ».

Aujourd'hui, un siècle plus tard, le cadavre de Lénine est encore visible, ce qui est assez morbide. Beaucoup pensent qu'il serait temps de l'enterrer définitivement, mais, malgré son peu d'intérêt porté à Lénine, Vladimir Poutine a toujours refusé cette inhumation finale. Un budget d'environ 200 000 euros par an est actuellement consacré au maintien de la momie dans le mausolée, avec remplacement des tissus usés par une peau artificielle. Dans les années fastes de l'Union Soviétique, plus de 200 employés étaient affectés au maintien du corps de Lénine. À l'origine, Staline, qui, bien que sur le point d'être limogé par Lénine, a récupéré la forte émotion populaire en proposant de ne pas l'enterrer et de le maintenir embaumé, en état d'être visible par l'ensemble du peuple, au plein milieu de la Place rouge à Moscou, comme un dieu vivant.



Staline, qui s'amusait à effacer sur les photos les hommes disgraciés au fil de ses purges politique, connaissait bien la civilisation de l'Égypte antique qui effaçait toute marque des anciens souverains et qui embaumait ses souverains du moment pour en faire des divinités. Lénine, dieu du communisme international : combien de morts ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Lénine.
Tchaïkovsky.
Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique.
La France Unie soutient l'Ukraine !
Condoléances cyniques.
Mort d'Evgueni Prigojine.
Hélène Carrère d'Encausse.
Sergueï Kirienko.
Victoria Amelina.
Alexandre Adler.
L'effondrement du pouvoir de Poutine.
Putsch en Russie : faut-il sauver le soldat Poutine ?
Poutine en état d'arrestation !
Aeroflot.
Staline : combien de morts sur la conscience ?
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Les 70 ans de Vladimir Poutine.
Le centenaire de l'URSS.
Kherson libéré, mais menace nucléaire ?
Volodymyr Zelensky demande l'adhésion accélérée de l'Ukraine à l'OTAN.
Ravil Maganov.
Mikhaïl Gorbatchev.
6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
Les massacres de Boutcha.
Le naufrage du croiseur russe Moskva.
L’assassinat de Daria Douguina.
Dmitri Vrubel.
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
L'avis de François Hollande.
Volodymyr Zelensky.
Poutine paiera pour les morts et la destruction de l’Ukraine.
Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
Klim Tchourioumov.
Après Vostok 1, Sputnik V.
Evgueni Primakov.
Irina Slavina, le cauchemar par le feu.
Trotski.
Vladimir Poutine au pouvoir jusqu'en 2036 ?
Anatoli Tchoubaïs.
Vladimir Poutine : comment rester au pouvoir après 2024 ?


 


Lire l'article complet, et les commentaires