Amélie Oudéa-Castéra pourra-t-elle rester au Ministère de l’Éducation nationale ?

par Sylvain Rakotoarison
mardi 16 janvier 2024

« Mon message pour la communauté éducative, c'est que je serai une ministre à fond, une ministre à fond avec eux, une ministre à fond derrière eux, absolument déterminée, mais ça ne veut pas dire être H24 derrière le dos de chacun. Il y a une confiance, il y a des expertises, il y a des expériences, il y a des projets qui sont engagés, il y a toute cette énergie au cœur du service public de l'enseignement auquel je vais m'appuyer pour aller vite, faire bien les choses. Et je démontrerai à chacun de ces acteurs ma disponibilité auprès d'eux. » (Amélie Oudéa-Castéra, le 12 janvier 2024 à Andrésy).

Il y a eu trop peu de femmes nommées à des postes ministériels importants pour ne pas saluer le 11 janvier 2024 la nomination de la Ministre des Sports du précédent gouvernement, à savoir Amélie Oudéa-Castéra (45 ans) comme super Ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques (ouf). Depuis 2017, la Jeunesse a été rattachée à l'Éducation nationale (le service civique par exemple), et depuis 2024, donc, les deux ministères ont été collés (dans le passé, les Sports et la Jeunesse ont souvent été associés). L'objectif déclaré était de réduire le nombre de ministres (c'est sans précédent sous la Cinquième République, seulement onze ministres de plein exercice), et c'est très pertinent d'associer le sport à l'école dans une société qui bouge de moins en moins à cause des écrans.

On présentait généralement Amélie Oudéa-Castéra comme une ancienne championne (de tennis) lorsqu'elle est arrivée au Ministère des Sports en 2022 (déjà pressentie en 2017 et 2018), parce que c'est assez fréquent, depuis Georges Pompidou, de nommer des sportifs de haut niveau à cette fonction (on peut citer Pierre Mazeaud, Alain Calmat, Roger Bambuck, Guy Drut, Jean-François Lamour, Bernard Laporte, Chantal Jouanno, David Douillet, Laura Flessel, Roxana Maracineanu, etc.).

Pourtant, la carrière sportive d'Amélie Oudéa-Castéra a été très courte, de 1992 à 1996 (elle a arrêté à l'âge de 18 ans pour faire des études), et son meilleur niveau au tennis fut la 251e place mondiale en mai 1995. En revanche, elle n'est pas "que cela" ! Elle a suivi par la suite des études brillantes : Sorbonne, IEP Paris, ESSEC et ENA (même promotion qu'un certain Emmanuel Macron), et elle n'est pas n'importe quelle énarque, elle est sortie dans la botte, à la Cour des Comptes. C'est donc avant tout une magistrate de la Cour des Comptes (conseillère référendaire depuis avril 2007), en d'autres termes, une haut fonctionnaire, et donc, diriger un ministère, quel qu'il soit, est une fonction à laquelle elle était préparée.

Toutefois, elle a définitivement démissionné de la fonction publique en juin 2018 pour se consacrer à des activités dans le privé au sein du groupe Axa (notamment directrice de la planification stratégique). En 2018, elle a refusé la proposition d'être nommée directrice générale de l'Agence national du sport par un autre magistrat de la Cour des Comptes, un certain Jean Castex, alors président de cette agence. Elle a pris des responsabilités dans le groupe Carrefour, également Plastic Omnium, a été nommée directrice générale de la Fédération française de tennis en février 2021. Elle est l'une des rares au gouvernement qui a pu dire qu'en y entrant, elle divisait par dix sa rémunération.

En outre, Amélie Oudéa-Castéra est dans un environnement CSP++, à savoir, qu'elle est la nièce des deux éditorialistes Alain Duhamel et Patrice Duhamel, cousine du journaliste Benjamin Duhamel, et son second mari (depuis juillet 2006),, Frédéric Oudéa, polytechnicien et énarque, était le président-directeur général de la Société Générale de mai 2008 à mai 2023 (président en fait seulement entre mai 2009 et mai 2015), désigné à la suite de l'affaire Jérôme Kerviel, et maintenant, il est président de Sanofi.

Son premier déplacement comme Ministre de l'Éducation nationale, qui était aussi le premier déplacement du Premier Ministre Gabriel Attal (et ancien Ministre de l'Éducation nationale) après la nomination de son gouvernement, a été dans le collège Saint-Exupéry, à Andrésy, dans les Yvelines, le vendredi 12 janvier 2024 après-midi, après le premier conseil des ministres. C'était l'occasion, pour ces deux dirigeants politiques, de réaffirmer que l'école était la première priorité du gouvernement.

Toutefois, Amélie Oudéa-Castéra, qui a montré pourtant son sens politique dans le précédent gouvernement dirigé par Élisabeth Borne, a commis une maladresse qui risque de devenir comme le sparadrap du capitaine Haddock. À la question de ses enfants (elle en a trois) qui sont scolarisés dans une école privée (le lycée Stanislas), au lieu de répondre que c'était de l'ordre de sa vie privée et que cela ne regardait pas les journalistes, elle a commencé à se justifier et à s'enfoncer en disant que son aîné avait été dans une école publique (qu'elle va visiter ce mardi 16 janvier 2024), et que par manque de remplacement, elle a préféré opter pour l'école privée, laissant entendre que l'école publique avait beaucoup de dysfonctionnements (remplacement des professeurs absents, etc.).



Le problème, c'est que des témoignages, loin de confirmer ce qu'elle a raconté, au contraire, les infirmaient en disant qu'il n'y a pas eu d'absence cette année-là. Résultat, on soupçonne la ministre d'avoir menti. Pour tenter de clore l'affaire, ce lundi 15 janvier 2024, Amélie Oudéa-Castéra, en déplacement à Saint-Denis avec son collègue Gérald Darmanin, s'est encore enfoncée un peu plus en disant que dans tous les cas, comme tous les parents, ils n'avaient pris leur décision que dans l'intérêt des enfants, laissant entendre que l'intérêt de leurs enfants étaient de ne pas être scolarisés dans une école publique.

La maladresse d'origine a été de vouloir se justifier et de suivre les journalistes dans cette voie hasardeuse, alors que le sort de sa famille ne concerne qu'elle seule. Certains enseignants ont déjà avancé l'idée d'une grève pour cette raison, ce qui est particulièrement stupide puisque la ministre n'a encore présenté aucune mesure et qu'elle a répété qu'elle voudrait aider toute la communauté éducative.

Cela rappelle ainsi que le sujet est ultrasensible, alimenté par une ultragauche sectaire et revendicative qui voudrait réanimer la guerre scolaire (comme en 1984), comme si les Français pouvaient encore se permettre de perdre leur temps dans des querelles de clocher. Polémiques inutiles seulement nourries par des esprits politiciens chagrin qui souhaitent que rien ne marche, que rien ne bouge, que rien ne s'améliore, pour permettre de critiquer et de dénigrer, comme d'habitude.

Un exemple de journaliste qui alimente ce genre de polémique, Daniel Schneidermann le 15 janvier 2024 : « Comment a-t-elle pu penser qu'il faudrait davantage que 48 heures pour dévoiler le mensonge ? (…) Amélie Oudéa-Castéra fait incontestablement partie de l'élite, politique, économique, médiatique. Dans l'acception générale, l'élite est peut-être cynique, cupide, prévaricatrice, mais elle est au moins créditée d'intelligence et d'efficacité dans la défense de ses intérêts. Rien de plus faux. L'élite peut être aveugle et bornée. (…) Le glissement de la haute bourgeoisie libérale, celle des 0,01%, de l'Alsacienne vers Stanislas, dix minutes à pied entre les deux, selon Google Maps, comme un symbole du racornissement du recrutement des élites à un micro-quartier de la capitale. La désinvolture décomplexée. Dix fois de quoi déclencher une révolution. ».



Sur le fond, le fait que des gens sont indignés par la scolarisation des enfants de la ministre (et d'un ancien président d'une grande banque française, ne l'oublions) dans un établissement privé m'étonne et m'est incompréhensible. Ils ne sont pas les seuls : 18% des élèves sont scolarisés dans un établissement privé sous contrat. C'est le droit de toute chaque de France de scolariser ses enfants dans les établissements de leur choix, du moins ceux qui les acceptent. Au même titre qu'elle peut se faire soigner dans des hôpitaux publics ou privés.

Je me sens un peu connaisseur du sujet car mes deux parents étaient des profs, mais l'un dans le public et l'autre dans le privé. La vraie différence n'est pas entre privé ou public, mais entre public et privé sous contrat et privé hors contrat. La plupart des établissements scolaires privés sont sous contrat avec l'État, c'est-à-dire que les professeurs sont payés par l'État (moins bien que dans le public, car la retraite est dans le régime général du privé), et le projet éducatif doit suivre les programmes scolaires du public. Du privé sous contrat, c'est donc un public par délégation, les deux sont des écoles de la République, avec les mêmes programmes, les mêmes exigences (par exemple de mixité).



Il est faux de dire que le privé est réservé à l'élite. Certes, l'élite y va, soit par effet de mode, soit par intérêt pour les activités hors programme (par exemple, Gabriel Attal, scolarisé à l'École alsacienne, a expliqué qu'il avait du théâtre), etc. mais le privé sauve aussi beaucoup de "cancres" rejetés par l'école publique (et ces boîtes privées ont alors une très mauvaise réputation). Il est faux aussi de dire que l'école privée serait plus sûre, en termes de sécurité. Le premier attentat islamiste en France, perpétré en mars 2012 par Merah, fut dans une école juive en assassinant des petits enfants. Les réputations des établissements ne dépendent souvent pas du caractère privé ou public, mais bien de la qualité des enseignants et de celle de l'administration associée. C'est donc établissement par établissement qu'il s'agit de distinguer.

Ce qui était amusant, c'est que la jeunesse peut apporter son (in)expertise : mon premier emploi fut comme opérateur pupitreur pour une grande banque, un job d'été alors que j'étais encore étudiant (j'avais 19 ans). Mon boulot, la nuit, était d'installer de grandes bandes magnétiques dans des lecteurs géants pour enregistrer toutes les opérations nocturnes (des distributeurs automatiques de billets, par exemple). Il fallait prendre la bande de la bonne couleur, chaque couleur indiquant la durée de stockage (un jour, un mois, etc.). Un travail, je dois bien l'avouer, pas très fatigant (entre deux changements de bandes !) à part le décalage horaire (très intéressant pour les primes). Cela conduisait souvent à de bonne discussion, car je n'étais jamais seul. J'avais un collègue, un vrai, qui travaillait là depuis quelque temps, la trentaine, jeune père de famille, qui devait scolariser son fils à la rentrée et qui s'interrogeait sur le mettre dans le privé ou dans le public. À ma grande surprise, il m'a demandé ce que j'en pensais (malgré ma totale inexpérience professionnelle et même de la vie !), et je lui ai simplement répondu que ce n'était pas le critère ; le critère, c'était la qualité de l'établissement choisi, privé ou public (je vivais dans une région où il y avait beaucoup d'écoles privées). J'appréciais la question, en dehors de tout dogmatisme, avec la recherche du seul intérêt des enfants.

Pour l'anecdote, j'ai moi-même suivi toute ma scolarité dans le privé car j'y trouvais mon compte, tandis que mon frère a préféré, au lycée, être dans le public qui lui convenait mieux. A priori, nous restons avec les mêmes valeurs, celles que la République nous a léguées (qui du reste sont assez proches de la morale chrétienne : tu ne voleras point, tu ne tueras point, etc.).

Ah... j'ai oublié de répondre à ma question initiale : pour sa maladresse, Amélie Oudéa-Castéra doit-elle démissionner immédiatement comme le réclament déjà quelques enragés de l'opposition ? À mon sens, non, évidemment. Le sort de ses enfants ne regarde qu'elle et sa famille et n'a aucune légitimité à sortir du cadre personnel. Si c'est la seule chose qu'on reproche à une Ministre de l'Éducation nationale, on doit alors être dans un monde idéal où tout va bien ! Amélie Oudéa-Castéra est volontaire, dynamique, ouverte, elle a la ferme détermination d'améliorer un système qui, depuis des années, semblent se scléroser, non pas par une absence de crédit (nous sommes une des nations qui consacre le plus gros budget par habitant pour l'éducation), mais par un manque d'efficacité et d'organisation probablement. C'est une chance pour les élèves, les enseignants et les parents d'élève d'avoir cette détermination. Et avant tout, la moindre des corrections, c'est de la juger aux actes. Aux seuls actes !


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Sylvain Rakotoarison (15 janvier 2024)
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