L’IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?

par Sylvain Rakotoarison
lundi 11 mars 2024

« Aux armes citoyens, citoyennes ! Formons nos bataillons ! Marchons, et chantons cette loi pure dans la Constitution ! » (Catherine Ringer, le 8 mars 2024 à Paris).

Le Président de la République Emmanuel Macron a célébré ce vendredi 8 mars 2024, la Journée internationale de la femme, avec grandes pompes, la promulgation de la réforme visant à inscrire la liberté garantie à la femme de recourir à l'IVG dans la Constitution. Sur la place Vendôme à Paris, devant le Ministère de la Justice, pour le scellement de la révision de la Constitution par le garde des sceaux. C'est désormais une loi de la République, la loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse dont le texte est publiée au Journal Officiel de la République française du 9 mars 2024. D'hommages à rappels de la mémoire, Emmanuel Macron est un habitué de ces cérémonials qui honorent autant les personnalités du passé et la République que les personnalités du présent avec parfois d'évidentes arrière-pensées politiques. Des grandes messes qui peuvent lasser un certain nombre de concitoyens (personne n'est obligé d'y assister ou de les regarder à la télévision) mais qui s'avèrent souvent utiles sinon indispensables.

Tout ce faste pour l'IVG, on pourrait même y voir une certaine forme d'indécence. L'avortement est un acte grave, terrible, traumatisant, pas de quoi le glorifier. Quant à son inscription dans la Constitution, c'est un acte purement symbolique en France, à visée d'exemplarité internationale, qui, pour l'instant, ne change pas fondamentalement les choses. On pourrait dire que puisque c'est symbolique, il convient justement de l'honorer comme tel. Comme un symbole nouveau de la République.
 

Pourtant, Emmanuel Macron n'en était pas l'instigateur et, au départ, y était plutôt défavorable. Il a avant tout répondu à une demande sociétale, à une évolution pressante qui répondait aux nombreuses angoisses internationales après des remises en cause de la liberté de l'IVG dans certains pays, en particulier en Argentine, aux États-Unis mais aussi en Pologne et dans d'autres encore. Des remises en cause d'ailleurs peu prévisibles quelques années auparavant. Il a d'ailleurs été très honnête et consensuel : le Président de la République a cité tous les parlementaires présents qui ont contribué de près ou de loin à ce travail institutionnel, y compris Mathilde Panot qui s'en est trouvée fière même si elle va quand même avoir du mal à continuer encore à se comparer à Simone Veil dans ses affiches sans provoquer d'hilarité, d'ironie ou de moqueries justifiées.

Il y a eu beaucoup d'invités à cette cérémonie, j'écrirais plutôt, beaucoup d'invitées, au féminin, dont l'actrice Catherine Deneuve (entre autres). Il y avait aussi l'ancienne Première Ministre Élisabeth Borne qui a initié le projet de loi en décembre 2023, tout comme son successeur Gabriel Attal, et évidemment la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, grande ordonnatrice du vote au Congrès lundi 4 mars 2024. On note d'ailleurs l'absence prévisible du Président de Sénat Gérard Larcher, bien obligé d'être présent à Versailles mais pas place Vendôme (il s'était abstenu au moment du vote). Accompagné de plusieurs ministres, dont Aurore Bergé, il y avait évidemment l'hôte des lieux, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti qui faisait tout le boulot !
 

Le sens de cette cérémonie n'a échappé à personne : il s'agit de la présenter comme une étape supplémentaire dans la longue histoire du combat des femmes pour plus de liberté et plus d'égalité. Des visages géants s'affichaient de femmes devant les murs du ministère, on reconnaissait notamment Simone Veil, aussi Françoise Giroud à sa droite. La vérité, c'est que dès lors que l'IVG est autorisée en France, il n'y avait aucun argument opposable pour empêcher son inscription dans la Constitution. Si cela peut réduire l'angoisse pour l'avenir de certaines femmes, ou pour leurs filles et petites-filles, tant mieux. En ce sens, cela n'a rien à voir avec le mariage pour tous : dans tous les cas, une fois qu'on est mariés, on le reste, quelle que soit l'évolution de la loi. Pour l'avortement, le risque d'un retour en arrière était toujours là.
 

Pourtant, d'une cérémonie prévue comme assez creuse et faite de spectacle, il en est venu un acte diplomatique fort. Emmanuel Macron a en effet annoncé qu'il allait proposer à nos partenaires européens d'inscrire l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne. Annonce suivie d'une très forte approbation de la foule. Rappelons qu'au-delà des invités et personnes qualifiées, la cérémonie était ouverte au grand public qui a approuvé le chef de l'État. De même, Emmanuel Macron a confirmé que la France défendrait ce droit partout où il est mis en cause ou mis en difficulté, reprenant ainsi le destin universaliste de la France des Lumières, au risque d'une certaine arrogance.
 

Mais le clou de la cérémonie n'a pas été le discours du Président de la République (qui a joui d'un extravagant ciel bleu et ensoleillé). Il l'a été lors de La Marseillaise chantée par la divine Catherine Ringer et c'est sans doute cette prestation qui restera dans les annales. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai tout de suite eu un doute : je ne la voyais pas du tout chanter « Qu'un sang impur abreuve nos sillons » qui me paraissait à la fois morbide, dérangeant et surtout inadéquat pour les femmes et l'IVG, imaginant les règles et les fausses couches.
 

Et ma pensée était vaguement prémonitoire quand j'ai entendu qu'elle avait rajouté, sans que cela ne choquât musicalement, un « citoyenne » après « Aux armes, citoyens ! ». Et effectivement, les paroles ont été revisitées (voir au début de l'article), j'ai trouvé cela à la fois amusant et plaisant, et je trouve stupide que de vieux grincheux viennent vomir leur bile sénile pour cela parce qu'un hymne national doit être vivant (surtout quand il est révolutionnaire) et les versions différentes, voire les parodies me semblent au contraire les bienvenues. Qui oserait aujourd'hui censurer la version des Beatles ou de Serge Gainsbourg (ou même de Claude Bolling) ?

Ce n'est pas manquer de respect à la République et à la patrie que de faire vivre nos valeurs et les attributs de notre patrie. Même si leur critique viennent d'une mauvaise interprétation, j'aime peu les paroles originelles de La Marseillaise mais je conviens qu'il ne faut pas les changer car ce serait ouvrir la boîte de Pandore et risquerait d'aboutir à des paroles qui ne seraient plus consensuelles et acceptées par tous les Français.

Ceux qui détestent Emmanuel Macron ou ceux qui ne supportent plus de le voir en peinture devraient pourtant réjouir de cette version de La Marseillaise de Catherine Ringer, car, comme je viens de l'écrire, c'est sans doute ce qu'on retiendra de cette journée de la femme exceptionnelle, volant la vedette à un Président qui était bien content de s'effacer derrière les femmes.
 

Quand Catherine Ringer est partie, seule, de la place Vendôme, elle a été ovationnée spontanément par le peuple de Paris venu pour l'occasion, bravo à elle et à son interprétation qui marquera les mémoires au même titre que l'interprétation de Jessye Norman le soir du 14 juillet 1989 qui m'avait fait vibrer (j'étais présent aux Champs-Élysées) ! Le 1er juillet 2018, lors du transfert de Simone Veil (et de son mari) au Panthéon, devant Emmanuel Macron, une autre chanteuse célébrissime, Barbara Hendricks avait, elle aussi, entonné La Marseillaise accompagnée du Chœur de l'armée française... mais dans son jus originel.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 mars 2024)
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Pour aller plus loin :
L'IVG dans la Constitution (3) : Emmanuel Macron en fait-il trop ?
Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mars 2024, place Vendôme à Paris, sur l'IVG (texte intégral et vidéo).
L'IVG dans la Constitution (2) : haute tenue !
L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
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