Belgique : psychologues cherchent psys

par Guillaume Ribeaucourt
vendredi 13 janvier 2006

Les psychologues universitaires ne sauront bientôt plus se payer un psy, c’est le constat douloureux qu’on doit faire aujourd’hui. Dans une société où l’excellence de la santé publique devrait être le fleuron des décisions politiques, il semblerait que le gouvernement belge ne soit pas décidé à légiférer là où il y a urgence. Des psys réceptionnistes ou laveurs de vitres : en Belgique, vous pourrez bientôt vous faire analyser en allant acheter votre kilo de raisins. Des psys, il y en a partout ! Et tous, universitaires...

Il est loin le temps où les psychologues étaient cités dans les débats scientifiques en matière de santé mentale, il est loin le temps où les psychologues étaient considérés comme des professionnels compétents, à même de mettre en perspective des problématiques complexes. Aujourd’hui, la pléthore de psychologues en Belgique remet en question et la compétence et le sérieux de ces thérapeutes. D’autant plus que la polémique s’installe autour d’un projet du ministre Demotte (affaires sociales et santé publique) qui vise à « sortir de l’ombre les thérapeutes ne bénéficiant pas du titre de psychologue ou de psychiatre ». Car la législation est claire à ce sujet, est psychiatre tout médecin ayant une spécialisation en psychiatrie ; est psychologue toute personne ayant effectué un cycle complet (5 ans) dans une faculté de psychologie. Mais la législation reste floue au sujet de la pratique de la psychothérapie. Si le titre de psychologue est bel et bien protégé, la pratique ne l’est pas.


Aujourd’hui, les psychologues au chômage ne se comptent plus, tant ils sont nombreux. Ils se retrouvent dans des situations de précarité telle qu’ils sont contraints de se tourner vers d’autres professions qui ne nécessitent que peu de qualifications (on citera réceptionnistes, vendeurs, magasiniers...). C’est un scandale, crieront certains ... C’est le résultat d’une mauvaise gestion des études, diront d’autres ... Ils n’ont que ce qu’ils méritent, diront les plus cruels.
Il n’en reste pas moins que la situation est inquiétante, et que la visite de quelques forums « psys » bien connus du web nous éclaire. En effet, les langues se délient facilement, mais les intéressés (les psys, ceux qui ont le titre) préfèrent garder l’anonymat car « on ne sait jamais », nous dit Marc B. Au chômage depuis 8 ans, ce psy travaille comme magasinier, comme beaucoup de ses confrères qui doivent bien nourrir leur progéniture ou encore payer leur voiture. Il ne désespère pas de trouver un emploi dans ce domaine, « mais la concurrence est rude et complètement déloyale, la quantité phénoménale de psys sur le marché du travail rend les choses complexes et nous pousse à mentir sur nos compétences et à séduire le moindre employeur potentiel ; personnellement, je ne veux pas entrer dans ce jeu ». Pour appâter le client, certains psys n’hésitent pas à recourir à des techniques thérapeutiques à la mode, qui sonnent le glas de la rigueur et du sérieux qu’on peut attendre d’un professionnel de la santé.

Catherine M., au chômage depuis 10 ans : « Mon boucher est devenu psychothérapeute, profession non réglementée. Il reçoit ses clients le soir, après journée. D’après ce qu’on m’a dit, il exerce une technique orientaliste dont le nom m’échappe maintenant. Ce qui me rend dingue, c’est que rien n’est fait du côté des universités pour diminuer le nombre d’étudiants dans les facultés de psychologie. Chaque année, des centaines de psychologues sortent des facultés, et tout le monde sait qu’ils ne trouveront pas de travail ou qu’ils se tourneront vers toutes sortes de pratiques dont ils ne maîtrisent pas les techniques. On se demande à qui tout cela sert. Pour moi, ce sont les universités qui sont responsables de ce chaos ».

D’autres psychologues, qui, eux, travaillent, relèvent le manque de suivi et de cohérence au niveau des fédérations, qui ressemblent plus à des chapelles qu’à de réels organes soucieux de suivre leurs affiliés. « Demain, nous rapporte un psychologue, n’importe qui peut placer une plaque sur sa façade et indiquer "psychothérapeute ". C’est une concurrence déloyale, et ça nuit à notre travail ; peut-on imaginer un médecin exerçant dans les mêmes conditions que nous ? personne ne l’accepterait ! ».


Dans les propositions de réformes, on notera le projet de loi du Mmnistre Demotte qui vise à réglementer le titre de psychothérapeute, mais qui ne parle en rien de la pléthore de psychologues sur le marché de l’emploi. Le projet le plus sérieux est probablement celui du Français Jean-Pierre Bouchard, docteur en psychologie, qui propose que le titre de psychologue et l’accès à la psychothérapie soit lié à la concrétisation d’un doctorat en science psychologique. Ce parcours d’étude garantirait un suivi des futurs psychologues par une équipe universitaire pluri-disciplinaire, dans la tradition des internes en médecine. Ramenant le nombre d’années d’études à 8 ans, ce projet aurait un effet rétroactif, et permettrait donc aux psychologues déjà en exercice de garder leur titre, sans faire ce doctorat.
Les professions de la santé, si on veut qu’elles gardent un semblant de déontologie, doivent probablement faire exception sur le marché de la concurrence. Mettre les psys en concurrence, c’est comme mettre les médecins en concurrence. Les risques de dérives sont grands, trop dangereux et trop risqués pour les citoyens, qui sont souvent mal informés et en souffrance psychologique.


Tout ce qui nous reste à espérer, c’est que notre boulanger ne soit pas un psy, analysant notre consommation quotidienne de pains au chocolat ; mais c’est loin d’être gagné.


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