Deux drames : faits-divers ou faits de société ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 7 septembre 2023

« Ce ne sont pas des personnes évidemment que je veux mettre en cause, c’est la réponse de l’institution Éducation nationale face à l’urgence du harcèlement scolaire qu’il nous faut continuer à profondément changer. » (Gabriel Attal, le 6 septembre 2023 à l'AFP, à propos du suicide d'un adolescent).



Il est dans l'actualité des drames auxquels on ne voudrait pas être confronté. Étaient-ils évitables ? La perpétuelle question à cent balles qui ne fera pas revenir à la vie ceux qui l'ont déjà perdue, mais qui pourrait en sauver peut-être d'autres. Ces deux derniers jours, deux adolescents sont morts, chacun dans des conditions très différentes, et le choix même d'en évoquer un plutôt qu'un autre pourrait presque être "politique".

Deux drames très différents, qui pourraient être de simples faits-divers, expression horrible pour les parents et les amis des victimes, mais qui se renouvellent tellement fréquemment qu'on pourrait y voir des faits de société.

D'autres drames ont eu lieu aussi, des actes de délinquance voire de criminalité, des viols, des meurtres, etc. souvent exploités lorsque l'auteur est d'une "certaine catégorie" ou la victime d'une "autre catégorie", j'utilise exprès le mot très vague de "catégorie" (on y mettra ce qu'on veut, religion, nationalité, ethnie, âge, sexe, niveau de formation, niveau de vie, etc.) car vouloir généraliser, catégoriser des faits, souvent monstrueux mais surtout singuliers, est à mon avis une erreur intellectuelle et une facilité politicienne : l'homme (dans le sens d'humain) est parfois un loup et il n'y a pas besoin d'appartenir à une "catégorie" pour péter les plombs, plus ou moins volontairement. Et depuis plus d'une dizaine d'années (depuis mars 2012), on se posera toujours la question du terrorisme, si c'était un crime terroriste ou de droit commun.

Mais les deux drames dont je veux parler sont, en revanche, exclus de ce type de "catégorisation", car ils sont scandaleux au-delà du propre scandale constitutif du drame : ils font référence à des autorités publiques et celles-ci, malgré leur bonne volonté, leurs compétences, leur courage, etc., ont peut-être failli pour en arriver là (les enquêtes judiciaires en diront plus).

Deux drames et deux adolescents. Ils ne sont malheureusement pas les seuls mais l'actualité, une coïncidence chronologique, les fait se croiser dans la réflexion politique : comment les éviter ? Stupeur, tristesse, colère. Et réflexion.

Le premier drame, c'est le suicide de Nicolas, un adolescent de 15 ans, qui s'est pendu à son domicile, aux barreaux de son lit en mezzanine, le mardi 5 septembre 2023 à Poissy, dans les Yvelines. Sa mère l'a découvert en fin de journée, en ouvrant la porte de sa chambre. Au-delà de l'enquête policière, une enquête administrative a été ouverte et une cellule d'écoute et de soutien psychologique ouverte dans les lycées de l'enfant (qui avait changé de lycée cette année).

Selon les premiers éléments à la connaissance publique, il aurait été victime du harcèlement scolaire. Selon le Ministre de l'Éducation nationale Gabriel Attal, toujours très présent dans la communication politique, « il était fait état de brimades et d'injures répétées de la part de plusieurs élèves nommément désignés ».

Ce harcèlement fut signalé dès décembre 2022. Les parents avaient prévenu l'établissement scolaire et avaient été entendus en mars 2023 ainsi que l'adolescent et les élèves mis en cause, mais face à la passivité de la direction dénoncée par la famille, l'adolescent lui-même a fait la démarche de déposer une main-courante au commissariat (ou à la gendarmerie ?) en avril 2023.

Tout le monde était donc averti, l'établissement scolaire a déclaré avoir agi en conséquences en prenant certaines dispositions (lesquelles ?)... mais certainement de manière insuffisante car le "résultat" est hélas que l'enfant s'est quand même suicidé. Où est la faille ? Une mauvaise prise en compte de l'établissement scolaire ? Un manque de moyen (notamment pour faire des suivis psychologiques) ? Comment réagir vraiment alors que pour les auteurs du harcèlement, souvent des camarades qui se liguent contre un "bouc émissaire", n'imaginent pas la cruauté de leur comportement ? Nicolas, hélas, n'est pas le seul adolescent à avoir mis fin à ses jours pour cette raison. La liste est maintenant longue.

Pourtant, cela fait plusieurs années que ce danger, renforcé par les réseaux sociaux (en ceci que les harcèlements sont permanents et pas seulement pendant le temps scolaire), a été identifié et pris en compte à l'Éducation nationale et que des communications vers les enseignants et personnels éducatifs, vers les élèves et vers les parents sont régulièrement faites pour les prévenir. Un décret d'ailleurs s'applique à partir de cette rentrée scolaire pour permettre l'exclusion des élèves harceleurs et éviter que l'élève victime du harcèlement doive changer d'établissement. La situation existe aussi dans le milieu professionnel (et pas seulement du harcèlement sexuel) et c'est toujours assez délicat de le définir et de faire la part entre une surestimation et une sous-estimation des faits.

Le second drame, c'est la mort cérébrale d'un adolescent de 16 ans ce mercredi 6 septembre 2023 dans la soirée. Conduisant un deux-roues, il aurait été percuté à Élancourt, dans les Yvelines, par une voiture de police (ou inversement, l'enquête le déterminera). Il aurait été accusé d'un refus d'obtempérer et suivi à distance par une voiture de police, et à un croisement, une autre voiture de police l'aurait percuté vers 18 heures 40, selon plusieurs sources policières. Les secours ont pu réanimer sur place l'adolescent en arrêt cardiaque respiratoire mais après son transfert à l'hôpital, il a succombé à ses blessures. Un escadron de gendarmes mobiles a été immédiatement envoyé à Élancourt pour empêcher tout éventuel débordement. La mort de Nahel, 17 ans, le 27 juin 2023 et la semaine d'émeutes qui a suivi restent dans toutes les mémoires.



Si la mort de Nahel a suscité autant d'indignation, c'était parce que celle-ci a été filmée, montrant un comportement inadapté des forces de l'ordre, mais aussi parce que la première version des policiers en cause ne correspondait pas à la réalité manifeste. Le parquet de Versailles a ouvert deux enquêtes judiciaires, l'une pour "refus d'obtempérer" confiée à la sûreté territoriale des Yvelines, et l'autre pour "homicide involontaire par conducteur" confiée à l'IGPN (la police des polices) dans le cadre de laquelle deux policiers ont été placés en garde-à-vue afin d'y faire la lumière.



Connaître les circonstances exactes de la collision est essentiel pour déterminer les responsabilités. Il peut s'agir d'un "simple" et malheureux accident de la circulation comme il en existe tout le temps (plus de 3 000 personnes meurent ainsi chaque année, les deux-roues sont de plus en plus touchés), comme cela peut être la conséquence d'une suite logique après course poursuite et pression de la part des forces de l'ordre ou encore la conséquence d'une conduite défaillante de l'adolescent (d'une moto-cross ou d'un scooter sans casque, par exemple ?).

Il reste inacceptable qu'un nouvel adolescent, aussi sauvageon soit-il, meurt encore des conséquences de son refus d'obtempérer. Il n'est pas question ici de prôner le laxisme, tout le monde doit respecter la loi et le premier respect est dû aux forces de l'ordre à qui il faut obéir, mais dès lors que celles-ci s'occupent d'une personne, cette personne est en quelque sorte sous leur responsabilité, aussi sous leur protection.

Le travail des forces de l'ordre n'est pas facile. Le délit de refus d'obtempérer, défini par l'article L.233-1 du code de la route ainsi que par l'article L.435-1 du code de la sécurité intérieure, à la suite de l'adoption de la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, est commis plus de 22 000 fois chaque année en moyenne (quasiment 3 fois par heure !). Il faut bien que force reste à la loi.

Entre janvier 2021 et juin 2023, dix-huit personnes ont été tuées et trente-neuf blessées par des tirs de policiers après un refus d'obtempérer, dont treize en 2022 (selon la direction générale de la police nationale). L'Inspection générale de la police nationale a été saisie 71 fois pour des enquêtes sur des ouvertures de feu consécutives à des refus d'obtempérer, dont 57 ont entraîné des blessures ou un décès (rappelons que pour l'adolescent blessé mortellement le 6 septembre 2023 à Élancourt, il ne s'agit pas de tirs de policiers mais d'une collision).

Même si leur nombre est, dans l'absolu et à mon sens, énorme, elles sont toujours de trop et à déplorer, les morts dans ces circonstances restent rares et ne correspondent qu'à 0,06% des délits, elles restent des exceptions, la police ne tue pas, je dois l'écrire puisque certains pensent le contraire et veulent généraliser avec des arrière-pensées politiciennes, mais des faits de société, assurément ils le sont, ces délits de refus d'obtempérer qui sont bien trop souvent commis et qui sapent l'autorité même de l'État de droit. C'est justement ce que veut rappeler le Président Emmanuel Macron dans les écoles à cette rentrée scolaire...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


(Première illustration : chambre d'enfant, catalogue sur Internet, deco.fr).


Pour aller plus loin :
Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
Création du délit d'homicide routier.
Bœuf carottes et blanquette de Veaux.
Le Sénat s'inquiète de l'avenir de la gendarmerie.
Violences urbaines : à quoi s'attendre pour la fête nationale ?
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Mort de Nahel : la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et l'huile sur le feu...
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