Frichti

par C’est Nabum
jeudi 29 février 2024

 

À table …

 

« Passez donc nous voir, nous ferons un petit frichti ! ».

 

« Mais qu'est-ce donc que cette chose ? Qu'entendez-vous faire avec nous ? La morale y trouvera-t-elle son compte ? »

 

Prenez garde désormais à n'user que d'un vocabulaire aseptisé, si possible tiré de ces anglicismes que tout le monde comprend. Préférez donc un brunch ou bien un lunch, vous aurez bien plus de succès. On vous trouvera résolument moderne et vous pourrez même attirer du monde à la simple évocation de ces deux termes, attrape-nigauds.

Oubliez, je vous en supplie d'inviter un quidam à un casse-croûte, il en ferait une crise d'urticaire, vous regarderait avec des yeux de merlan frit sans savoir du reste ce qu'est cet étrange poisson et plus encore ce que signifie cette ancestrale expression. User ainsi de la langue de chez nous décoiffe bien des individus, dont certains se vantent parfois d'être français de souche mais plus jamais de langue.

Revenons justement à la bonne bouche et à notre frichti qui laisse sur leur faim vos convives. À ce propos, évitez aussi de les nommer de la sorte, la formulation pourrait leur rester sur l'estomac. Il pourrait vous en faire tout un plat ou s'il accepte votre invite, ne pas se sentir dans leur assiette à la simple pensée que vous puissiez les désigner de la sorte.

Si vous leur proposez un petit en-cas, vous risqueriez une fois encore de n'être pas compris. Le terme peut désormais prêter à confusion dans le cas le plus courant. Les termes vernaculaires filent un mauvais coton tout comme du reste notre bonne gastronomie. Ne vous aventurez pas à préparer un bœuf mode ou un pot au feu, vous auriez des exclamations horrifiées et des griefs de nature diététique.

Par contre, plongez allègrement dans les plats exotiques, vous contenterez votre monde à la condition de ne pas prétendre à un gueuleton ou un mangement, un graillou ou bien une pitance. La langue et la bouche ne font plus bon ménage, du reste vous n'avez qu'à voir la profusion de restaurants exotiques et le peu de fréquentation de nos gargotes et autres cantines, estaminets ou petits bouchons.

Il faut se faire une raison, avaler ses mots et ne pas chercher à comprendre la relation entre la monté de la xénophobie et la gourmandise des cuisines lointaines allant de pair avec le dégoût de notre patrimoine culinaire. Servez des abats et l'on vous fusille du regard, osez les escargots et vos invités sortent de leurs gongs à défaut de leur coquille, prenez-les par-dessus la jambe en leur présentant des cuisses de grenouilles et ils feront des bonds sur leur chaise.

Ne vous pensez pas à l'abri des remarques ou des réactions hostiles en vous contentant de légumes. Le salsifis les fera bouillir, le rutabaga les horrifiera, les topinambours provoqueront un tonnerre de protestation, le cardon vous vaudra la lippe… Quant à l'épinard, il a laissé tellement de mauvais souvenirs en collectivité qu'il est hors de question de le proposer.

Alors votre frichti tournera à l'aigre voir au vinaigre à moins que vous ne vous contentiez d'un apéro dînatoire où il vous sera permis de servir toutes les saloperies de la grande distribution et pourquoi pas – soyez fou – accompagnées de l’infâme rosé pamplemousse.

Vous n'aurez plus qu'à faire comme nombre de vos contemporains - ceux-là même qui rêvent d'expulser les étrangers – vous commanderez des plats à la convenance de vos invités en les faisant livrer par des presque esclaves : livreurs cyclistes sans papier, taillables et corvéables à merci à toute heure du jour comme de la nuit.

Tableaux

Pieter Brueghel le Jeune

Nicolas TOURNIER

James TISSOT

Diego VELASQUEZ

 


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