Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon : pluie et émotion !

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 22 février 2024

« Il pleut sans respect aucun pour la pompe républicaine et les millimétrages mémoriels des spin doctors et c'est elle, la pluie, qui rafle en rafales la savante cérémonie. Il pleut sur les portraits des Vingt et trois quand les fusils fleurirent (…). » (Daniel Schneidermann, le 22 février 2024).

Comme l'expliquait un chroniqueur le lendemain matin, il y a eu de la grosse pluie ce mercredi 21 février 2024, en début de soirée à Paris, pour la cérémonie d'hommage et de transfert des cendres des résistants Missak Manouchian et Mélinée Manouchian au Panthéon. C'était une grande cérémonie présidée par Emmanuel Macron, mais on aurait pu croire que c'était l'une de ces cérémonies de François Hollande, le Président pluvieux, qui d'ailleurs était présent dans l'ancienne église.

Beaucoup d'émotion, d'évocations, de chants, de recueillement pour non seulement les époux Manouchian mais aussi leurs camarades résistants qui furent torturés et fusillés par les nazis peu avant la victoire des Alliés. Beaucoup de personnalités politiques furent présentes, et on note en particulier la présence de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, parti dont étaient adhérents les Manouchian dès 1934 afin de lutter contre le fascisme (eux n'ont pas attendu la rupture du Pacte germano-soviétique pour s'engager dans la Résistance). Ils n'ont pas non plus attendu d'être naturalisés français pour défendre le pays qu'ils aimaient le plus au monde, la France (eux qui avaient été rejetés par l'empire ottoman étant enfants).

Les dénigreurs professionnels pourraient toujours dire : encore une cérémonie mémorielle, encore un hommage ! Oui, la République n'a pas entendu Emmanuel Macron pour commémorer les grands noms de son histoire, et Emmanuel Macron ne fait pas "que" cela, il bosse aussi à côté. Rien que son emploi du temps dans les derniers jours donne le tournis. 21 février : conseil des ministres, entretien avec Nikolaï Denkov, Premier Ministre de Bulgarie (et conférence de presse commune), entretien avec Nikol Pachinian, Premier Ministre d'Arménie (et conférence de presse commune). 20 février : entretien avec Umaro Sissoco Embalo, Président de la République de Guinée-Bissau (et conférence de presse commune). 19 février : entretien avec Bernardo Arevalo, Président de la République du Guatemala (et conférence de presse commune), etc.



Cet hommage était attendu depuis longtemps et cette reconnaissance était émouvante parce que le groupe Manouchian aurait pu sombrer de l'oubli de ses actions héroïques. Ils ont donné leur vie pour notre liberté aujourd'hui et les dénigreurs professionnels se comportent comme des gosses gâtés aussi ingrats qu'irresponsables et ignorants des racines historiques qui fondent notre République d'aujourd'hui. J'ai évoqué la valeur symbolique multiple très forte de la reconnaissance des époux Manouchian : étrangers, apatrides, arméniens, communistes, ouvriers et dans son groupe, beaucoup étaient juifs et en tant que tels étaient réprimés par les nazis mais aussi par les Français collabos.

J'ai appris l'existence de ce groupe dans les années 1980, c'était à l'époque une découverte pour pas mal de monde en France même si leur mémoire a été perpétuée par Louis Aragon dès 1955 (et par Léo Ferré également). C'est donc en quelque sorte un aboutissement que cette cérémonie mémorielle au Panthéon en honneur des Manouchian : « Aujourd’hui, ce n’est plus le soleil d’hiver sur la colline ; il pleut sur Paris et la France, reconnaissante, vous accueille. Missak et Mélinée, destins d’Arménie et de France, amour enfin retrouvé. Missak, les Vingt et trois, et avec eux tous les autres, enfin célébrés. L’amour et la liberté, pour l’éternité. ».

Dans ce qu'on pourrait appeler son homélie (c'était un peu le ton), le Président de la République a insisté sur ce qui devrait unir tous les Français, l'amour de la France : « Missak Manouchian, vous entrez ici avec Mélinée. En poète qui dit l’amour heureux. Amour de la Liberté malgré les prisons, la torture et la mort ; amour de la France, malgré les refus, les trahisons ; amour des Hommes, de ceux qui sont morts et de ceux qui sont à naître. ».

Le discours proclamait le choix présidentiel, complètement assumé : « Entrent aujourd’hui au Panthéon vingt-quatre visages parmi ceux des FTP-MOI. Vingt-quatre visages parmi les centaines de combattants et otages, fusillés comme eux dans la clairière du Mont-Valérien, que j’ai décidé de tous reconnaître comme morts pour la France. Oui, la France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent vingt-quatre fois la France. Les honorer dans nos cœurs, dans notre recueillement, dans l’esprit des jeunes Français venus ici pour songer à cette autre jeunesse passée avant elle, étrangère, juive, communiste, résistante, jeunesse de France, gardienne d’une part de la noblesse du monde. (…) Missak Manouchian, vous entrez ici toujours ivre de vos rêves : l’Arménie délivrée du chagrin, l’Europe fraternelle, l’idéal communiste, la justice, la dignité, l’humanité, rêves français, rêves universels. ».



Emmanuel Macron a bien sûr fait de la politique et a rappelé que par deux fois, Missak Manouchian s'était vu refuser la nationalité française : « Libres en France, ce pays que Missak a choisi adolescent, qui lui a offert des mots pour rêver, un refuge pour se relever, une culture pour s’émanciper. Alors, Missak Manouchian hisse haut notre drapeau tricolore, lors des 150 ans de la Révolution, en 1939, quand il défile dans le stade de Montrouge. Alors, pour servir ce drapeau, Missak Manouchian demande par deux fois à devenir Français. En vain, car la France avait oublié sa vocation d’asile aux persécutés. Alors, quand la guerre éclate, Missak Manouchian veut s’engager. Ivre de liberté, enivré de courage, enragé de défendre le pays qui lui a tout donné. (…) Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Oui, au prix du choix délibéré, déterminé, répété de la liberté. Car dans Paris occupé, Missak Manouchian rejoint la résistance communiste, au sein de la main-d’œuvre immigrée, la MOI. Il se voulait poète, il devient soldat de l’ombre, plongé dans l’enfer d’une vie clandestine, une vie vouée à faire de Paris un enfer pour les soldats allemands. Guerre psychologique pour signifier à l’occupant que les Français n’ont rien abdiqué de leur liberté. ».

Qui est le plus Français, celui qui sacrifie sa vie ou les collabos qui pourchassent les combattants de la liberté ? C'est un peu la question du Président en évoquant la fin héroïque du groupe Manouchian : « À l’automne 1943, devenu dirigeant militaire des FTP-MOI parisiens, Missak Manouchian le pressent : la fin approche. Pour alerter ses camarades, il se rend au rendez-vous fixé avec son supérieur Joseph Epstein, un matin de novembre. Missak Manouchian avait vu juste : lui et ses camarades sont pris, torturés, jugés dans un procès de propagande organisé par les nazis en février 1944. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? S’ils sont résolument libres, oui. À la barre du tribunal, ils endossent fièrement ce dont leurs juges nazis les accablent, leurs actes, leur communisme, leur vie de Juifs, d’étrangers, insolents, tranquilles, libres. "Vous avez hérité de la nationalité française" lance Missak Manouchian aux policiers collaborateurs. "Nous, nous l’avons méritée". ».



Le chef de l'État a choisi l'expression de "Français d'espérance" quand d'autres, dans la classe politique actuelle, osent parler de "Français de papier" : « Étrangers et nos frères pourtant, Français de préférence, Français d’espérance. Comme les pêcheurs de l’Île de Sein, comme d’autres jeunes de 16 ans, de 20 ans, de 30 ans, comme les ombres des maquis de Corrèze, les combattants de Koufra ou les assiégés du Vercors. Français de naissance, Français d’espérance. Ceux qui croyaient au ciel, ceux qui n’y croyaient pas, ceux qui défendaient les Lumières et ne se dérobèrent pas. Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Ce 21 février 1944, ceux-là affrontent la mort. Dans la clairière du Mont-Valérien, Missak Manouchian a le cœur qui se fend. Le lendemain, c’est l’anniversaire de son mariage avec Mélinée. Ils n’auront pas d’enfants mais elle aura la vie devant elle. Il vient de tracer ses mots d’amour sur le papier, amour d’une femme jusqu’au don de l’avenir, amour de la France jusqu’au don de sa vie, amour des peuples jusqu’au don du pardon. ».

En d'autres termes, la France reconnaît par cette cérémonie la part de tous les étrangers, de tous les résistants de l'ombre, de tous ceux qui, ne tergiversant pas, se sont jetés au péril de leur vie pour défendre la France, soixante ans après l'entrée légendaire de Jean Moulin au Panthéon : « Des dernières heures, dans la clairière du Mont-Valérien, à cette Montagne Sainte-Geneviève, une odyssée du vingtième siècle s’achève, celle d’un destin de liberté qui, depuis Adyiaman, survivant au génocide de 1915, de famille arménienne en famille kurde, trouvant refuge au Liban avant de rejoindre la France, décide de mourir pour notre Nation qui, pourtant, avait refusé de l’adopter pleinement. Reconnaissance en ce jour d’un destin européen, du Caucase au Panthéon, et avec lui, de cette Internationale de la liberté et du courage. Oui, cette odyssée, celle de Manouchian et de tous ses compagnons d’armes, est aussi la nôtre, odyssée de la Liberté, et de sa part ineffaçable dans le cœur de notre Nation. Reconnaissance, en cette heure, de leur part de Résistance, six décennies après Jean Moulin. ».

Dans un tel pays qui honore ainsi ses combattants sans lesquels je ne pourrais pas aujourd'hui m'exprimer librement et ouvertement, c'est bien la fierté qui m'étreint, pas la mienne, mais celle du pays qui a su être juste avec ses défenseurs. Et conscient de cette histoire tragique, j'ose bien l'écrire ici. Merci à ces combattants, leur combat n'a jamais été vain.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 février 2024)
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Pour aller plus loin :
Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon : pluie et émotion !
Hommage du Président Emmanuel Macron à Missak Manouchian au Panthéon le 21 février 2024 (texte intégral et vidéo).
Les Manouchian mercredi au Panthéon.
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