Les déboires du musicien

par C’est Nabum
dimanche 25 juin 2023

 

Un métier pourtant à sa portée

 

Il advint que Gaspard, un gars de la terre, se mit en tête de se faire embaucher sur un bateau, par la seule grâce de ses compétences artistiques, lui qui n'avait jamais mis les pieds sur une quelconque embarcation. Musicien dans l'âme, il avait chevillé au corps la certitude que la musique peut venir en aide au dur métier des mariniers de Loire en adoucissant leurs mœurs tout en donnant le tempo lors des manœuvres.

Idée saugrenue pour cet homme ayant toujours eu les pieds dans la glaise, influencé sans aucun doute par le mythique Hortator des galères romaines. Il faisait fausse route, ramant à contre-courant d'une marine qui depuis belle lurette avait abandonné ce mode de propulsion. N'empêche, le musicien voulait embarquer et convaincre un capitaine des bienfaits de sa présence pour la bonne marche d'un navire…

C'est en Orléans que débuta sa quête. Voyant ce merveilleux ballet des voiles carrées remontant le courant, gonflées d'un vent de Galerne qui venait de l'Océan qu'il se convainquit de se présenter à un voiturier avec un pipeau. L'homme, éberlué, lui demanda ce qu'il entendait faire avec un instrument qui n'était pas de navigation et notre bon Gaspard de lui affirmer que grâce à lui, Éole soufflerait toujours du bon côté.

Le capitaine n'en croyait pas ses oreilles. Soit ce quémandeur le prenait pour un imbécile, soit le malheureux avait du vent dans sa tête. Il lui tapa affectueusement sur l'épaule et l'invita à rester à terre. Il y garderait un troupeau de moutons plus utilement que venir encombrer un Chaland lourdement chargé. Le marin de conclure que jamais dans la marine de Loire, les joueurs de pipeau n'y auraient leur place, l'avenir apporta un terrible démenti à cette prophétie caduque.

Gaspard changea de port et d'instrument. Ayant observé un mousse dans le port de la Creuzilles à Blois, qui rangeait toutes les cordes qui encombraient le pont et que l'équipage désignait sous le terme de bouts, il se dit qu'un instrument éponyme sera idéal pour remettre de l'ordre sur le pont. Il franchit la planche de rive avec une viole de gambe.

Quelle ne fut pas la surprise du capitaine de voir surgir ce personnage en si curieux équipage. Que lui voulait donc cet hurluberlu alors qu'un chargement devait se faire. Gaspard de lui répondre qu'au son de son instrument, les hommes travailleraient avec plus d'entrain. Un terme qui sema l'effroi parmi les marins sans qu'ils en devinent encore les véritables raisons. Quant à cette gambe, elle leur faisait une belle jambe et c'est à coup de pied au séant que l'infortuné musicien comprit qu'il ne pourrait s'accorder à ces rustres.

Ses pas le menèrent à Tours, bien décidé à répercuter ces deux échecs précédents pour en tirer la quintessence. Son inspiration initiale lui revint à l'esprit. Il se munit donc de timbales constituées d'un fût en cuivre couvert d'une peau. Il retrouvait là l'esprit de son cher Hortator. Il lui restait qu'à trouver le biais pour se faire accepter.

Il trouva un chef d'équipage plus aimable que les précédents. La Touraine a des vertus qui influencent ceux qui y séjournent. Il lui confia son désir de se rendre utile à bord par le truchement de ses timbales. Le capitaine s'en amusa d'autant plus que son chaland était chargé de tonneaux de vin de Loire. Puis il se ravisa se souvenant que la couleur cuivrée n'est pas à franchement parlé, celle des vins d'ici. Le toutier ajouta que le cuivre était un catalyseur d'oxydation ce qui n'est pas fameux pour nos barriques. C'est ainsi qu'une fois encore, notre percussionniste se retrouva sur le quai.

Il médita sur son triste destin en faisant le tour des instruments qui pourraient emporter l'adhésion d'un équipage. Tout en se rendant à Saumur, il en vint à la conclusion qu'un clavier lui ouvrirait le cœurs de ces hommes rudes. Il sollicita un engagement, cette fois avec une épinette dont l'encombrement était réduit. Il était certain de son fait, cette fois là.

Il tomba sur un capitaine mélomane quelque peu chauvin qui le reçut de fort vilaine manière. L'homme avait dû séjourner trop longtemps dans une des caves en tuffeau qui servent de taverne dans la région. Il signifia sans ambages que sur La Loire, il n'y aurait pas place à un instrument vosgien, région dont les eaux allaient arroser tous les fleuves à l'exception de la Loire. Il récita du reste sa leçon au pauvre garçon : « Les Vosges sont au croisement des bassins versants de la Meuse et du Rhin qui vont vers le nord vers la Mer du Nord ainsi que du Rhône par la Saône qui va vers la Mer Méditerranée et enfin de la Seine qui va vers l'ouest dans la Manche. Gaspard se retrouvait une fois encore le bec dans l'eau.

Il examina ses échecs et en conclut que sa démarche était trop baroque pour ses hommes qui malgré leur activité étaient après tout, très terre à terre. Ses tentatives étaient vouées à l'insuccès du fait de ses choix d'instrument. Il lui fallait se tourner vers la musique du terroir pour satisfaire un équipage aussi prompt à lever le coude que la jambe. Il poussa donc jusqu'à Angers sur la Maine pour s'inviter à un bord avec une vielle à roue.

Que n'avait-il pas décidé là ? Les nouvelles allant bon train sur nos rivières, chacun ici avait eu vent de l'essai d'un bateau à vapeur à Paimpeuf. Si les plus insouciants promettaient le pire pour cette folie, d'autres plus avisés y voyaient un danger de mort pour la marine traditionnelle. Le capitaine qui reçut Gaspard était de ceux-là et voyant une roue, son sang ne fit qu'un tour avant que de mettre ce messager de mauvais augure à la porte.

Pour Gaspard, sa descente aux enfers continuait et poussant le bouchon toujours plus loin, il se rendit à Nantes pour tenter une ultime chance. Devant ces magnifiques trois mâts partant pour des destinations lointaines, impressionné par la hauteur de la mâture, il pensa par une curieuse association d'idée au hautbois. Il se disait ma foi que perché au-dessus des huniers, il ferait un joli perroquet chanteur.

Le capitaine du navire sur lequel il venait de déposer sa requête, pour son malheur, était lui aussi musicien. Il lui fit grief de ce choix puisque son instrument à hanche double contrarierait inévitablement l'un des mâts. Qui de la misaine, du grand mât ou artimon se sentirait de la revue ? Nul n'en savait rien mais le risque était grand d'un problème de susceptibilité. Il fut donc prié de retourner à terre et de faire silence ici.

Gaspard sur le coup en fut largement chagriné. Puis reprenant ses esprits, il entendit remonter la pente en embarquant comme simple homme d'équipage sur le premier bateau venu. Il y avait justement là un chaland qui remontait de la mélasse jusqu'en Orléans. Il se présenta à l’enrôlement avec succès.

Il monta avec son baluchon et pour le malheur de la Marine de Loire, avec une guitare classique fabriquée par Antonio Thores en personne. Notre ami ignorait alors les conséquences catastrophiques pour le vocabulaire ligérien. Je me dois de ne pas passer sous silence ce triste épisode.

Gaspard et sa guitare, la formule sonnait bien d'autant qu'à chaque escale, dans chaque port, il offrait une aubade aux curieux amassés sur le quai. Hélas, la rime imposant sa loi, bien vite on ne parla plus que de Gaspard et sa guitare, jouant sur une Gabarre. Oublié le Chaland tandis que cet autre mot venu de Charente, de Dordogne et de Garonne sonnait mieux pour les oreilles musicales. Voilà la triste histoire d'une usurpation d'identité que nombre d'officines de communication font toujours sur notre Loire. Une fausse note que n'aurait jamais commise notre musicien.

 

À contre-ton.

 


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