Témoin de Gévéor

par Yohan
jeudi 13 mars 2008

(Gévéor’s witness*)

* pour faire plus chic

Kiravi, vin des Postillons, Préfontaine, Gévéor, vin des Rochers, ces mots ne vous rappellent rien ?

"Un jaja que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître" (à fredonner sur l’air d’Aznavour).

Eh bien moi, oui !

Car il faut bien un jour témoigner de Gévéor, pour conter, à qui veut bien lire, que j’en ai sué comme un bourricot à devoir aérer le cabas, jour après jour, missionné humanitaire que j’étais, chargé de rapatrier le kil de rouge hépatique coupé au vin d’Algérie, l’étanche soif de mon cuistot de pater.

De quoi remplir au fil de l’enfance les caves de Bailly (89 Yonne), à vue de nez rouge.

A l’âge de 10 ans, coursier malgré moi, j’étais devenu expert en vin de quantité illimité, estampillé VDQN (Vin De Qualité Négligeable).

"Yohan, va chercher le Gévéor de ton père !", m’intimait ma patronne de mère.

Et me voilà encore une fois chargé de ravitailler le pacha en précieux breuvage, son carburant du jour, le seul, disait-il, capable de gouleyer efficacement le pied de porc, la galantine et le pâté Hénaff, avec l’assiette de frites mayonnaise maison.

Que du bon chez l’épicière de la rue de Noisy-le-Sec et un choix aux petits oignons, propre à faire passer la guerre d’Algérie pour une aimable partie de chasse d’incentive.

Sur ce point, l’Etat ne s’est pas vraiment hissé à la hauteur de tous ces chevaliers du postillon qui ont si bien rattrapé l’affaire, en mélangeant opportunément les cépages des deux rives, à la satisfaction du bon peuple de France. Un moyen comme un autre de tirer un trait sur une période peu glorieuse de notre histoire.

Aujourd’hui, je veux rendre grâce à ces vins d’Algérie qui adoucissaient nos vins de messe régionaux, aptes certes à étancher la soif de nos abbés et paysans, mais loin de satisfaire celle du bon peuple ouvrier de Paris.

Mon pater, en victime expiatoire de la réclame métropolitaine, avait fait sienne le slogan de la réclame Gévéor, présenté abusivement comme "le velours de l’estomac" ou mieux "le taffetas du duodénum", cher à Francis Blanche.

Un estomac paternel bien ingrat au demeurant qui ne lui a pas dit merci et qui, de plus, lui a fait méchamment payer l’addition quelques années plus tard.

Je vous le dis : la réclame de l’époque, c’était pas le bling bling d’aujourd’hui. Après la réclame, le peuple marchait en cadence...

Il est vrai qu’entre la station Porte des Lilas et celle d’Alésia, il y avait de quoi prendre soif. "Gévé... Gévé... Gévé... Gévéor !!!, Dubon... Dubon... Dubonnet !!!" vantaient les slogans itératifs du métro. Entre deux stations, impossible d’y échapper. Une génération de balayeurs, d’employés de bureau, de standardistes, de garçons de café était vouée à fredonner en silence la ritournelle précur"soeur" du 118... 218.

Je ne me suis jamais plaint de ces courses quasi quotidiennes. De retour d’école, à peine le cartable tombé, je repartais aussi sec en mission secrète. Hors de question que le pacha ne puisse faire chabrot ce soir, les bouteilles devant être achetées une à une, pour ne pas éveiller les soupçons du voisinage.

Je dois vous avouer que j’y trouvais mon compte, car quelques piécettes chapardées me payaient en retour d’un tube de lait concentré Nestlé, qui me donnait du cœur à l’ouvrage, tout en me musclant la langue sur le pavé du retour.

J’ai la nostalgie de ces étiquettes colorées qui habillaient les litrons de l’époque. En province, on pouvait les retrouver sous des appellations aussi imagées que savoureuses.

J’ai un souvenir ému du Dom Rémy de mon pépé de Rohan (56 Morbihan) : "Si tu bois tu meurs, si tu ne bois pas, tu meurs quand même, alors bois", professait la boutanche.

Sur l’étiquette était représenté un moine tonsuré et ripailleur, prenant grasse et riche collation dans un compartiment SNCF. Tartine de Camembert sur tranche de pain de campagne et flacon de Don Rémy levé à votre santé.

Dieu et Bacchus seuls savent à quel point cette image m’a fasciné, jusqu’à passer les heures mouillées de mes vacances à scruter les moindres détails figurant sur l’étiquette (les vaches dans le pré dans le fond...).

Aujourd’hui, puisque je dois mourir un jour, je bois donc. Mais du velours de l’estomac et du pif de soif, je me tiens désormais éloigné. Car personne, je dis bien personne n’a été capable de me dire ce que ce Dom Rémy est devenu plus tard.

Je pense encore à lui parfois...

Dédicacé aux Zozos et à Dom Rémy


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