Cercle vicieux, cercle vertueux

par Jean Levain
jeudi 23 septembre 2010

Un Français sur trois fait encore confiance, d’après les sondages, au monogouvernement de Nicolas Sarkozy. Une autre politique est-elle possible si la Gauche reprend la main dans deux ans ?

Dans son histoire, la France a connu des hauts et des bas, des périodes brillantes et d’autres où les contemporains pouvaient avoir honte d’être Français. C’est hélas un peu notre cas, avec un gouvernement non seulement populiste mais incompétent qui incarne tous les défauts qu’on attribue à notre nation, sans ses qualités. Arrogance, superficialité, égocentrisme, grossièreté n’y ont pour contrepoids ni l’intelligence, ni l’imagination, ni la générosité ou la culture. Il ne forme pas une équipe mais se comporte en harem politique. Alors, ce n’est pas seulement notre image qui souffre, ce sont nos intérêts dans le monde, la sécurité des Français, l’emploi dans nos entreprises, la solidité de notre service public. Et nos amis en Europe ou ailleurs se demandent, une fois de plus, quelle mouche a bien pu nous piquer.
 
Clairement, notre bateau bat en arrière toute. Prostitué, le beau mot de réforme, mis au service de la politique politicienne la plus vulgaire. Ludique et enfermée dans le court terme donc dangereuse, la vision du pouvoir. Le chapelet de textes initiés par le président et avalisés au galop par sa majorité ne sert qu’à accréditer –pour combien de temps encore- la respectabilité des fonctions démocratiques. La gestion consistant à faire payer au service public les cadeaux faits au secteur privé est en train, elle, de trouver ses limites et Bercy a commencé à racler les fonds de tiroirs. A l’extérieur, les inutiles rodomontades commencent hélas à se traduire, au mieux par le mécontentement de nos partenaires et au pire, par des menaces dont plus personne ne sait si elles relèvent de la propagande ou de la réalité. La France n’avait guère d’ennemis, elle s’en fait. Qui sème le vent…
 
Une autre politique est-elle possible ? Bien sûr qu’elle l’est. Rétrospectivement, beaucoup de gens se disent aujourd’hui que Ségolène Royal n’aurait en tous cas pas fait pire, et sans doute beaucoup mieux. Mais, contrairement à l’orientation générale des media, la question n’est nous semble-t-il pas tellement Qui, mais Quoi.
 
Sur le plan économique, d’où sans doute la popularité actuelle de Dominique Strauss-Kahn, une double crédibilité est nécessaire. Il faut affirmer clairement le primat du politique sur « l’économie », concept qui d’ailleurs ne veut rien dire car l’économie –la finance surtout- est fondée sur la confiance et qu’est-ce que la confiance, sinon un ingrédient politique ? En même temps, il faut tenir compte de cette « démocratie économique » que forment les marchés, ne serait-ce que parce que la gouvernance du monde est partagée. Il faut donc un professionnel motivé, non un politicien populiste. La sortie de crise, elle se trouve dans une vraie réforme du fonctionnement des opérateurs, dans la découverte de nouveaux marchés, dans l’investissement public utile. L’emploi ne doit plus être l’ennemi du profit, mais son allié.
 
Sur le plan social, le retour en arrière n’est plus possible. S’imaginer qu’on pourra résoudre les équations financières en se contentant de faire payer en plus au consommateur le service non fait de l’Etat est un enfantillage et une profonde injustice. Bien sûr, et ce n’est pas nouveau, que tous les dirigeants du public comme du privé doivent veiller au grain et à la bonne gestion des deniers. Mais le concept « value for money » n’est pas, comme les siècles mais aussi les mois récents nous l’ont appris, davantage l’apanage du « privé » que du public. Lutter contre les prébendes doit être un souci permanent. Mais l’acquis et progrès social, s’ils doivent être mieux financés, doivent l’être par un impôt juste et librement décidé par les citoyens, donc progressif et direct. C’est au citoyen en effet de décider ce qu’il peut se payer.
 
Sur le plan culturel, car nous croyons que la culture fait partie de la trilogie politique de base, les choses sont encore plus claires. Il faut sortir des contradictions et se libérer du vocabulaire et des tabous. Ne confondons plus enseignement et éducation, nation et nationalisme, Europe et Union Européenne, culture et beaux-arts. Notre culture, c’est ce qui nous distingue d’autres peuples et plus généralement d’autres ensembles culturels avec qui nous sommes en complémentarité et en compétition pacifiques. Nous ne sommes pas d’abord Européens ou chrétiens, blancs ou métropolitains, nous sommes partie d’une Francité qu’il nous appartient de porter en avant, non de transformer en peau de chagrin rabougrie.
 
Notre culture est une synthèse permanente, nourrie de l’apport de nouveaux citoyens aussi bien que du travail, de l’imagination, de la créativité intellectuelle ou physique de leurs devanciers résidants. Elle s’enrichit aussi de la tradition de notre pays comme de celle d’autres pays qui partagent au sein de la Francité notre vision du monde, notre mode de vie et nos aspirations sociales.
 
La conception actuelle voudrait faire financer le trésor des féodaux du capitalisme par les aides et la gabelle du roi et pour faire avancer l’âne qui porte toujours plus en recevant moins de foin, lui présenter la carotte de l’égoïsme social ou racial. Elle cherche à faire de l’Europe à la fois un repoussoir et un prétexte, et prétend faire de la France une grenouille qui s’époumone à égaler le bœuf américain. Cette conception vicieuse est d’ores et déjà condamnée, s’il faut en croire les sondages, par deux tiers des Français qui voudraient qu’on cesse de les prendre pour ce qu’ils ne sont pas et se refusent d’être.
La politique alternative qui se dessine déjà en attendant la fin de cette triste parenthèse, sera au contraire, comme la défense globale qui englobe tous les aspects du pouvoir régalien, synthétique. En un cercle vertueux, le dynamisme social et culturel doit nourrir l’économie, qui elle-même permet de financer le progrès. L’expansion de la valeur ajoutée réelle finance l’expansion.
 
Construire cette synthèse en détail, de façon cohérente et hardie, telle est l’ambition de ceux qui veulent reprendre la main, dans l’intérêt et pour le bien de tous.
Les socialistes et l’ensemble des forces de progrès disposent de la ressource humaine nécessaire, mais il faudra qu’elle soit organisée, motivée et conduite avec décision et bon sens, en lien avec les forces vives de la nation, la fonction publique et nos partenaires internationaux. Travaillons à cela, avec détermination.

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