Les films que vous n’avez probablement pas vus !

par Georges Yang
vendredi 17 juillet 2009

A Comedia de Deus, (La Comédie de Dieu), de Joao César Monteiro (1)

Il est certains films qui, bien que n’ayant fait qu’une apparition éphémère sur grand écran, vous marque bien plus que des superproductions au scénario facile et prévisible malgré des budgets pharaoniques. Et cela est autant valable pour les grosses machines américaines que pour les comédies à la française avec leurs grosses ficelles. Le film portugais dont il va être question est remarquable avant tout pour son thème, mais aussi pour sa mise en scène sobre malgré le côté scabreux du sujet. Et puis, Lisbonne est une ville magnifique, bien trop méconnue des touristes et des producteurs de cinéma depuis les Amants du Tage.

Le film portugais de 1995, dont il est ici question, est donc un chef-d’œuvre méconnu racontant les péripéties de Jean de Dieu, le personnage principal, (joué par le réalisateur Joao César Monteiro, né en 1939) travaillant comme concepteur de produits d’un salon de dégustation de crèmes glacées à Lisbonne. Homme particulièrement attaché à l’hygiène et personnage insignifiant aux yeux des employées, Jean de Dieu possède la particularité de collectionner des poils pubiens féminins qu’il classe dans un précieux album qu’il appelle « Le livre des pensées  ». Son travail au Paradis de la Glace l’occupe avec méticulosité toute la journée. Très poli vis-à-vis des femmes qui travaillent sous ses ordres, il est pourtant très intransigeant sur le lavage des mains et la propreté du salon. Toujours affable, passant inaperçu et sans consistance le jour, Jean de Dieu retrouve le sens de l’existence quand il contemple seul le soir sa collection de poils féminins dans son appartement. Mais un jour, il reçoit d’un correspondant un poil de la Reine Victoria, par la poste. Considérant qu’il a atteint le sommet de sa collection, la pièce rare ô combien inégalable, il décide de s’arrêter là et il ferme son album, satisfait d’avoir réalisé un coup de maître, le clou de sa collection. Précédant de deux ans le tragique événement, Lady D n’ayant pas encore eu cette fin tragique qui en fit une icône, le film ne peut intégrer ce fait divers dans le scénario. Sinon, notre Jean de Dieu aurait pu remiser le poil de la vielle Reine au rayon des antiquités et continuer sa quête pour en obtenir un beaucoup plus attrayant de la jeune princesse. 

 

A partir du moment où il interrompt sa collection particulière, notre héros voit son comportement se modifier. Les jeunes femmes qui constituent le personnel du magasin le trouvent étrange, et bien que restant distant et discret, le spectateur sent que le personnage est en pleine mutation. Une idée fixe s’installe alors progressivement dans la tête de Jean de Dieu, celle de fabriquer un sorbet au parfum de femme, ou plutôt dans le cas présent au parfum de poil de jeune fille. Pour parvenir à satisfaction et à la réalisation de son fantasme, il débordera d’imagination pour persuader la fille du boucher de la boutique voisine du Paradis de la Glace, un costaud assez rustre, père d’une adolescente aux allures de fausse ingénue qui ne mettra pas trop de temps à se laisser convaincre de venir prendre un bain de lait chez son voisin dont l’obsession n’est pas directement d’ordre sexuel mais gustatif et avant tout du domaine de la création gastronomique élevée au niveau de l’art. C’est donc avec un soin et une minutie extrême qu’il filtre le contenu du bain de la jeune fille pour y récupérer les précieux poils et préparer son sorbet.

Jean de Dieu peut enfin réaliser son chef d’œuvre et fabriquer le dessert glacé à la saveur idéale. Un produit unique sorti de son imagination et élaboré comme une œuvre d’art. Il a le sentiment d’avoir atteint le sommet de la crème glacée, l’inégalable ! On pense immédiatement au Parfum, histoire d’un meurtrier, de Patrick Süskind où le héros, Jean Baptiste Grenouille est lui aussi à la recherche du produit parfait, de l’œuvre d’une vie. Le parallèle est évident, si le héros de l’écrivain allemand est à la recherche de l’odeur totale au pouvoir érogène irrésistible, le glacier portugais est aussi en pleine création et recherche d’absolu. Mais le Portugais ne tue pas pour atteindre son idéal, au contraire, il fait tout pour passer inaperçu et réaliser son fantasme. On pensera aussi bien sur à un autre chef d’œuvre, celui de Dino Risi, Parfum de femmes pour sa retenue et son érotisme trouble. Finalement, Jean de Dieu, à sa manière, recompose l’origine du monde de Gustave Courbet, au niveau des saveurs.

Hélas, le père de l’adolescente au bain comprend mal le sens artistique et créatif du héros. Les recherches gustatives du Brillat-Savarin de la glace, c’est le mot, le laisse froid. Où plutôt, cela l’énerve au point de devenir violent. Et dans une scène mémorable où Jean de Dieu allume plusieurs dernières cigarettes en même temps, (comme les dernières du condamné) le boucher lui casse copieusement la gueule et l’envoie à l’hôpital d’où il ressort avec plâtre et minerve. Mais ses ennuis ne s’arrêtent pas là, le contrôle de l’hygiène des établissements de catégorie alimentaire poursuit le personnage pour tromperie sur la marchandise, non respect des lois et règlements sur l’hygiène des commerces de bouche et autres infractions liées à sa recherche du sorbet absolu.

Joao César Monteiro est peu connu en dehors du Portugal et du milieu des cinéphiles. Le cinéaste lisbonnais est un grand du Septième art, il sait nous montrer sa ville avec ses contrastes et sa beauté discrète. Et il n’est pas sans culture, et le personnage français qui vient de France pour prendre des parts dans la société du Paradis de la glace, s’appelle Antoine Doinel, on voit tout de suite l’allusion à François Truffaut. A Comédia de Deus est donc le film à voir pour comprendre le fantasme et le fétichisme certes, mais aussi la quête de la perfection dans le domaine professionnel. Loin d’être vulgaire et sensationnel malgré son sujet atypique, ce film est tout en nuances et subtilités. C’est aussi un film teiné de suréalisme que l’on peut comparer aux meilleurs ibériques comme Buñuel, père et fils, Almodovar ou Bigas Luna. Le film n’a eu hélas qu’une audience limité et mériterait d’être programmé plus souvent sur des chaînes de télévision afin d’être accessible à un plus grand public. Il le fut sur Arte, mais qui regarde encore cette chaîne !

Le jeu de Joao César Monteiro est sobre et très subtil et malgré un physique et un visage qui n’attire pas les paparazzi il dégage une bonhomie et une assurance qui rend crédible le personnage de cette fable métaphorique sur la création. Quant aux actrices féminines, leur jeu est juste et la fille du boucher explose de réalisme dans le rôle de l’adolescente faussement innocente. Bref, vous avez tout l’été pour retrouver ce film en DVD ou cassette, si vous avez encore un vieux magnétoscope et en faire la recherche dans un vidéoclub ; à moins qu’il soit encore possible de le commander sur internet.

Pour ceux qui s’intéresseraient au générique du film, la Fiche technique est jointe ci-dessous :

(Source Wikipédia)

Distribution

 

Films de Joao César Monteiro :

 Le Souvenir de la maison jaune (1989),

La Comédie de Dieu (1995),

 Le Bassin de J.W. (1997),

 Les Noces de Dieu (1999)

Blanche Neige (2000), « tableau vivant blanc sur blanc »,

Va-et-vient (2003),

 


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