La France exploitera-t-elle un jour les ressources de sa ZEE ?

par Fergus
mercredi 12 juillet 2023

La chose reste peu connue de nos concitoyens, la France possède le 2e domaine maritime souverain, tout près des États-Unis. En l’occurrence 8 % de la surface des mers du globe alors que l’ensemble de ses territoires ne totalise que... 0,45 % des terres de la planète ! Étonnant, non ? Un domaine maritime qui abrite des richesses minières de plus en plus convoitées mais protégées par un étonnant chevalier blanc...

Au-delà de la curiosité géographique et statistique, cet état de fait géopolitique pourrait revêtir une importance économique de tout premier plan dans les décennies à venir, notamment dans le cadre de la transition écologique, soutiennent les tenants de l’exploitation de ces richesses minérales. À condition que les projets industriels ne soient pas remis en question par les enjeux environnementaux. Ces derniers pourraient en effet conduire, sous l’égide de l’ONU, les instances internationales à sanctuariser les espaces concernés comme le demande instamment un certain... Emmanuel Macron.

Pour bien comprendre ce qui se joue, il faut savoir qu’en matière maritime, les droits souverains d’exploitation des ressources s’exercent non seulement dans les eaux territoriales attenantes à la bande côtière des pays ayant un débouché sur la mer, mais également dans ce que l’on nomme la zone économique exclusive (ZEE), conformément aux dispositions actées par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer le 10 décembre 1982 à Montego Bay (Jamaïque).

En pratique, les possessions maritimes comprennent à partir de la ligne de base (la limite moyenne atteinte par les marées sur le littoral) : en premier lieu, la mer territoriale, d’une largeur de 12 milles marins ; ensuite, la zone contiguë, également d’une largeur de 12 milles ; enfin, la zone économique exclusive dont la largeur est librement fixée par chaque État maritime, le tout formant, dans une limite fixée depuis 1982 par la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, à 200 milles marins (370 km) depuis la ligne de base. Au-delà s’ouvrent les eaux internationales. 

Avec 10,2 millions de km² de ZEE en cumul de l’ensemble de ses territoires souverains sur la base de 200 milles marins, notre pays vient en 2e position derrière les États-Unis (11,3 millions de km²), ce qui en fait un géant maritime. La France arrive en effet devant l’Australie (8,1), la Russie (7,6) et le Royaume-Uni (6,8), une misère pour cet ex-empire, dépossédé de la souveraineté de ses plus beaux fleurons planétaires, notamment l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande qui n’ont gardé de leur ancienne dépendance que la tête couronnée du roi d’Angleterre.

97 % de la ZEE française est ultramarine

Contrairement à sa voisine d’outre Manche, la France possède encore, comme chacun sait, de nombreux territoires sur les différents océans du globe. Des territoires parfois largement éparpillés à l’image des 118 îles (y compris en zone australe) qui, réparties au plan administratif en 5 archipels, constituent la Polynésie française. À lui seul, cet éparpillement océanien suffit à expliquer le classement de notre pays au 2e rang mondial. La ZEE de la Polynésie française est en effet de... 4,5 millions de km², derrière le Canada (5,6), mais à égalité avec le Japon (4,5) et devant la Chine (3,9) et le Brésil (3,8) !

En affichant 1,3 millions de km², la Nouvelle-Calédonie occupe le 2e rang des possessions françaises, avec une ZEE à peine inférieure à celle de l’Afrique du Sud (1,5). Impressionnant, comparé à la ZEE de la France métropolitaine, limitée par les eaux souveraines des pays voisins : elle affiche en effet un très modeste 0,33 million de km², loin derrière les îles Éparses (0,62), les Crozet (0,57), les Kerguelen (0,57) et même Saint-Paul et Amsterdam (0,51). Nul doute à cet égard que la perte possible de la Nouvelle-Calédonie dans un avenir plus ou moins lointain soit un facteur de réticence des pouvoirs publics français à l’indépendance de ce territoire.

Avec ses 10,2 millions de km² de ZEE, la France semble disposer d’un atout économique de premier ordre, mais un atout assez largement illusoire tant les ressources halieutiques (pêche en mer et aquaculture) sont menacées du fait de la pollution ou de la surpêche dans de nombreux secteurs, ou bien trop éloignées des zones d’habitation pour être rentables. Des expériences aquacoles basées sur l’élevage de la légine et de la langouste ont pourtant été mises en œuvre aux abords des terres australes, mais elles se heurtent à une concurrence encore plus féroce que celles des thoniers espagnols pour les pêcheurs métropolitains : celle des albatros et des pétrels, si beaux dans leurs évolutions aériennes mais terriblement voraces.

L’homme n’a toutefois pas dit son dernier mot : si les pêcheurs ou les aquaculteurs semblent devoir limiter leurs prétentions à dominer la nature et à s’accaparer les ressources animales, les scientifiques continuent de plancher sur d’autres types de ressources : les granulats marins issus de sédiments, les sables et graviers, les débris coquilliers, et surtout les nodules polymétalliques. Particulièrement nombreux dans le secteur de Clipperton (ZEE de 0,43 million de km²) et de Wallis et Futuna (0,7), ces derniers sont également présents dans d’autres secteurs de la ZEE française du Pacifique. Problème : ces nodules reposent le plus souvent à de grandes profondeurs abyssales. En l’état des techniques, leur coût d’extraction les rend par conséquent difficilement exploitables et, de ce fait, peu ou pas rentables.

Un moratoire sera-t-il acté ?

Cette situation pourrait toutefois évoluer dans les années à venir si l’on venait à découvrir de nouveaux gisements plus accessibles et plus facilement exploitables du fait de la modernisation des techniques d’extraction dans les milieux maritimes abyssaux. Auquel cas la ZEE de notre pays pourrait offrir à la France d’importantes ressources en matière de métaux et de terres rares indispensables dans la composition des semi-conducteurs et autres composants électroniques.

Une perspective d’exploitation vivement condamnée par les défenseurs de l’environnement, à juste titre inquiets de voir se mettre en place des activités de nature industrielle sur les fonds marins. Avec pour conséquence, au mieux de perturber les écosystèmes, au pire de les détruire localement, possiblement de manière irréversible. Précisément, l’état de Nauru a récemment passé un accord avec une firme canadienne, The Metals Company, en vue de l’exploitation des ressources minières de sa propre ZEE. Or, seule l’exploration était actuellement autorisée aux états par l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), un organisme dépendant de l’ONU. Du moins jusqu’au 9 juillet, date à laquelle a été en principe ouverte la possibilité de dépôt des demandes d’exploitation.

Encore va-t-il falloir que les membres de l’AIFM (International Seabed Authority) réunis pour leur 28e session en Conseil puis en Assemblée générale du 10 au 28 juillet à Kingston (Jamaïque) valident ce changement fondamental, potentiellement « désastreux pour l’environnement sous-marin » pour de nombreuses ONG. À l’image de la France – Emmanuel Macron l’a fermement réaffirmé en Égypte lors de la COP 27 le 7 novembre 2022 –, mais aussi de l’Allemagne, de l’Espagne et de la Nouvelle Zélande, une vingtaine de pays sont radicalement opposés à cette ouverture du droit à exploiter les fonds marins et demandent en conséquence un moratoire de quelques années avant toute décision définitive, le temps que tous les éléments d’évaluation soient pleinement maîtrisés.

Pour mémoire, voici les propos – étonnants de la part d’une personnalité habituellement beaucoup plus à l’écoute des industriels que des militants écologistes – qu’a tenus Emmanuel Macron à la tribune de la COP 27 de Charm el-Cheikh : « Je veux être ici très clair, fidèle à ce que j’ai déjà dit : la France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. J’assume cette position et la porterai dans les enceintes internationales. (...) Comme l’a été l’espace, les océans doivent être une nouvelle frontière pour la coopération et le multilatéralisme. Nous devons tout faire pour les préserver en matière climatique ainsi que leur biodiversité. » Puisse le président français être entendu par les membres de l’AIFM !


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