La totale de l’art de James Cameron à la Cinémathèque !

par Vincent Delaury
mercredi 10 avril 2024

« J’ai grandi dans une petite ville du Canada, avec uniquement des stylos, des crayons, de la peinture et du papier à disposition, bien avant de pouvoir tenir ma première caméra. » James Cameron, cinéaste canadien de 69 ans officiant à Hollywood (né en 1954 à Kapuskasing, ville rurale dans l’Ontario), on ne compte plus ses triomphes en salles (Terminator, Aliens : le retour, True Lies, remake de La Totale ! de Claude Zidi, Titanic et autres Avatar), est à la fête à la Cinémathèque française, via une exposition époustouflante « L’Art de James Cameron » (jusqu’au 5 janvier 2025), faisant office d’ « autobiographie à travers l’art » (dixit le cinéaste), s’accompagnant d’une rétrospective intégrale de ses films. À l’origine de ses longs-métrages spectaculaires, marqueurs dans l’histoire du genre (science-fiction, action) et piliers de la pop culture (cf. la naissance du mythe Schwarzie : « I’ll be back ! »), il y a des croquis, des dessins et des peintures, agissant comme autant de matrices préfigurant son œuvre cinématographique à venir (grand sens du cadrage façon Frazetta, féerie New Age de forêts luxuriantes, noirceur de cauchemars apocalyptiques), réalisés, avec talent voire virtuosité, par Cameron lui-même, dessinateur gaucher étant loin d’être gauche pour autant en termes graphiques, c’est le moins que l’on puisse dire, même si l’on y trouve parfois des maladresses de jeunesse - ouf, il est, comme nous, perfectible ! 

« Je reviendrai. », phrase fétiche d’Arnold Schwarzenegger dans « Terminator » (1984, James Cameron)
James Cameron lors du vernissage presse de son expo à la Cinémathèque française, ©photo V. D., le 3 avril 2024

Aussi, loin de se contenter d’être classiquement une expo-somme fétichiste célébrant, à coups de trophées et d’extraits de longs-métrages mémorables (il a remporté trois Oscars, avec seulement huit films à son actif, si l’on excepte documentaires et films d’attraction), un réalisateur important, auteur de films révolutionnaires dont les prouesses techniques ont fait date dans l’histoire du cinéma, que l’on se souvienne du morphing dans Terminator 2 ou de la capture de mouvement dans Avatar, cette expo-blockbuster s’avère bien plus intimiste, voire touchante, qu’on ne pouvait l’imaginer au départ, en nous présentant une pléthore de productions graphiques (premiers croquis, dessins préparatoires, affiches de films, concept arts, story-boards, formant le socle de son œuvre) et peintures signés de sa part, multipliant corps humains augmentés, jungles paradisiaques, divinités protectrices, vaisseaux spatiaux high-tech et enfers extraterrestres : ainsi, on a cette fascinante impression que tout a commencé, en fait, avec un crayon, un stylo et un pinceau bien avant que cet artiste jusqu’au-boutiste qu’est James Cameron, qui se forma, après le lycée et la fac (bref passage à l’université de Fullerton, Californie, puis petits boulots ingrats à Los Angeles), chez le producteur de films de série B Roger Corman, ne touche à une caméra. Explorer l’inconnu, à travers l’économie de moyens du dessin ou la surenchère du cinéma, tel est son credo : « Je suis un conteur d’histoires : voilà en quoi consiste véritablement l’exploration. Aller là où les autres ne sont jamais allés, et revenir leur raconter une histoire qu’ils n’ont jamais entendue auparavant. »

Croquis préparatoire pour le concours artistique d’Halloween, James Cameron, 1968, pastels gras sur papier, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

Petit Jim deviendra grand James

Schwarzie dans la boîte de nuit, Tech Noir, de « Terminator » (1984), traquant Sarah Connor

Plus jeune, note James Cameron, dans le catalogue de l’expo paru aux éditions Huginn & Munnin (Paris – New York), Tech Noir : l’art de James Cameron (Tech Noir, du nom de la discothèque du premier Terminator, 1984, cumulant 3 millions d’entrées en France, c’est aussi un adjectif inventé par Jim, le « petit » James pour les intimes, pour expliquer les visuels de Terminator) : « je n’envisageais pas encore de devenir réalisateur. J’adorais le cinéma et je réfléchissais en termes de cadrage et de narration, mais je ne pensais pas me lancer dans une telle carrière. Au lycée, j’avais réalisé un film écolo pour montrer l’urbanisation effrénée de Niagara Falls. Ça m’avait permis d’exprimer ma peur de la destruction rampante de la nature par la civilisation. Mais je n’ai jamais rien fait de ce projet. Dans ma tête, je ne pouvais pas devenir cinéaste. C’était réservé à d’autres, des gens talentueux. Il ne m’était pas venu à l’esprit que j’en étais capable. Pas encore. Aujourd’hui, on peut tourner un film avec un téléphone portable, les outils se sont démocratisés et sont absolument partout. Mais tout ça, c’était hors de portée quand j’étais étudiant. C’était impensable de faire un long-métrage soi-même. John Carpenter ne nous avait pas encore prouvé qu’on peut réaliser une production à succès pour 80 000 dollars. Donc je n’avais pas encore fait ce saut cognitif. Mais je m’intéressais au cinéma en tant que spectateur et j’ai étudié les effets visuels parce que je voulais savoir comment ça fonctionnait. Je n’avais aucun projet concret, mais je me disais que, peut-être, un jour, je pourrais graviter vers ce monde-là si je développais mes compétences.  »

James Cameron, à droite, en cours de dessin, vers 1968, tirage d’exposition, 2024, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron
Les prémices de Sarah Connor : « Sharon », 1973, James Cameron, crayon sur papier, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

« Beaucoup de personnes talentueuses n’ont pas pu accomplir leurs rêves parce qu’elles y ont trop réfléchi, qu’elles se sont montrées trop timides et réticentes à faire un saut vers l’inconnu  » : affichée au beau milieu du parcours, cette phrase « programmatique », toujours de James Cameron, cinéaste explorateur, tant de la machine cinéma que des fonds sous-marins, nous invite à croire en ses rêves, contre vents et marées, les siens comme les nôtres, afin de voir grand parce que l’imagination n’a pas de limites ; « votre curiosité, précise Cameron, est votre bien le plus précieux. » L’idée est de garder l’œil ouvert. D'ailleurs, dans le parcours proposé, un œil dessiné en gros plan attire particulièrement l’attention, Cameron le commente dans le catalogue, page 195 : « J’ai dessiné cet œil dans mon cours d’art plastique en seconde. J’ai sûrement demandé à un autre gamin de poser pour moi afin de réussir à reproduire les détails structurels. Je n’ai jamais étudié formellement l’art à la fac. En revanche, au lycée de Stamford, j’étais une vraie éponge pour tout ce qui était de l’histoire de l’art dans le cours de Mr Ralph. J’ai découvert les Grecs, les peintres de la Renaissance, les Surréalistes et les Impressionnistes. Avec Mr Ralph, l’art, c’était cool et excitant. C’était le seul prof d’art plastique du lycée, donc je l’ai eu pendant trois ans. Evidemment, j’avais toujours la meilleure note, j’étais le chouchou des profs. C’est pour ça que les sportifs de la classe me malmenaient dans les couloirs. Alors j’ai passé un marché avec le plus costaud, Pasquale Salvatore. J’ai promis de faire ses devoirs de maths et de sciences s’il tabassait ceux qui m’emmerdaient. Il a eu des super notes, et ces connards ne m’ont plus jamais embêté. »

Dessin de jeunesse, 1970, James Cameron, reproduction d’un dessin original aux pastels gras sur papier, tirage d’exposition, 2024, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron
« L’Homme de Vitruve en Android », circa 1981, James Cameron, encre sur papier, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

Ce plaisir de VOIR, cela donne envie de le suivre, sur six décennies, au fil de notre propre rapport familier et nostalgique à son cinéma populaire terriblement attractif (on a grandi avec ses films, cette expo donnant furieusement envie de les revoir pour en redécouvrir toutes les pépites !) : de ses premiers pas de gamin geek issu d’un petit village au Canada, biberonné aux artistes des comics Marvel des années 60, comme Steve Ditko, Stan Lee et Jack Kirby, jusqu’à son épanouissement d’aujourd’hui en tant que cinéaste-démiurge s’approchant de plus en plus de son idole Stanley Kubrick (« 2001 : l’Odyssée de l’espace, c’est le film qui m’a donné envie de devenir cinéaste ») : James Cameron fait désormais figure de réalisateur ingénieur « tout-puissant », aux budgets pharaoniques, ayant indéniablement révolutionné à plusieurs reprises l’industrie du 7e art, bâtisseur de mondes parallèles, dystopiques ou utopiques, dantesques ou merveilleux, et créateur-prophète aux idées innovantes, voire disruptives, et aux nombreuses inventions technologiques cherchant à repousser toujours plus loin les limites des effets spéciaux au cinéma. Chez lui, un peu à la manière d'un artiste de la Renaissance (ce n’est pas pour rien que l’un de ses dessins se réfère à L’Homme de Vitruve, revisité façon cyborg, de Léonard de Vinci), projet artistique et technologie interagissent pour se nourrir mutuellement : « Il est digne de ce mot qu’on utilise si souvent mais qui est rarement mérité : un cinéaste visionnaire », dixit son confrère et ami Guillermo del Toro dans l’avant-propos, Les Cartes de la navigation de l’esprit, du catalogue Tech Noir.

Dans l’espace consacré à l’esthétique « Tech Noir » des deux « Terminator » (1984, 1991) signés James Cameron
Dessin préliminaire du T-800 pour « Terminator », James Cameron, circa 1982, techniques mixtes, Avatar Alliance Founation ©James Cameron

Ce livre, associant textes analytiques accessibles et images narratives très distrayantes, est d’ailleurs passionnant. Dans sa préface, Costa-Gavras, président de la Cinémathèque française, souligne, à raison, ceci : « Assemblages architecturés de mondes utopiques et dystopiques, un grand nombre des dessins de James Cameron sont réunis dans cet ouvrage exceptionnel et personnel. L’artiste et cinéaste a souhaité les présenter pour la première fois au public français dans la grande exposition originale créée par la Cinémathèque française et l’Avatar Alliance Foundation. Ils constituent un témoignage unique de ses rêves, cauchemars, obsessions, convictions, amours, terreurs et espoirs, pour le plus grand plaisir, visuel et intellectuel, des amateurs de son œuvre. » D’ailleurs pourquoi ce choix de la Cinémathèque française pour exposer son art connu planétairement ? James Cameron s’en expliquait récemment, non sans humour et clairvoyance, à Renaud Baronian dans Aujourd’hui en France #8169, in article Cameron, un monument à Paris (p. 26), « C’est plutôt la France qui m’a choisi. L’exposition devait avoir lieu à Turin. Les responsables de la Cinémathèque française nous ont appelés en nous disant : ‌"Non, faites ça ici, avec nous." Cela fait sens : les Français vénèrent le cinéma. Vos critiques sont d’un très bon niveau. Ce que nous, cinéastes, essayons de glisser dans un film passe au-dessus de la tête de la majorité des spectateurs mais pas des Français.  » Merci Jim !

Modèle grandeur nature (détail) d’Arnold Schwarzenegger dans le rôle de T-800 dans « Terminator 2 : Le jugement dernier » (1991, James Cameron), 1991, structure en métal, résine, silicone, cuir, tissu. Collections Musée du cinéma et de la miniature de Lyon

Une expo propulsée comme un blockbuster 

« Ripley contre la Reine Alien », 1984, James Cameron, Prismacolor sur papier noir, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

L’expo est en effet une création inédite de la cinémathèque parisienne en partenariat (financier et créatif) avec James Cameron himself (qui est venu d’ailleurs, dans le cadre d’un timing très millimétré, quarante-huit heures à Paname pour l’inauguration de cet événement de taille, avant de repartir sur la production d’Avatar 3, en Nouvelle-Zélande, qui devrait bien sortir en décembre 2025). Et, au vu de sa force de frappe, nul doute qu’on devrait voir cette expo parfaitement orchestrée, distribuée en six thématiques (« Rêver les yeux grands ouverts », La Machine humaine », « Explorer l’inconnu », « Titanic : remonter le temps », « Créatures : humains et aliens » et « Les Mondes indomptés »), s’appuyant fortement sur les éléments clés de son univers à la fois enchanteur et terrifiant, depuis la menace nucléaire jusqu’aux périls de l’intelligence artificielle et à la destruction de l’environnement en passant par la mythique planète Pandora, dans des institutions prestigieuses d’autres pays, c’est en tout cas tout le mal que je lui souhaite tant elle sert sur un plateau l’art total de James Cameron tout en s’avérant très grisante.

Cette expo millefeuille, hautement réussie, est un monstre de blockbuster, aussi travaillée et ciselée qu'un film de James, avec la même obsession de la finition pour livrer, in fine, un bijou, filmique ou scénographique (une expo raconte aussi, entre monde inventé déployé et autobiographie de l'artiste ausculté, une histoire), qui restera. Accrochage médusant ! Écrin de rêve pour l’épanouissement scénographique d’une filmographie qui retourne pas mal la tête : la mise en scène, parfaitement agencée, et comme ici redoublée (des films à leur prolongement sur les cimaises et coffrages), est parfaite, les ronds investis magnifient un décorum tiré au cordeau. Bref, c’est à l’américaine ! C'est terriblement séduisant, et attractif, avec, histoire d’épouser le tropisme cameronien, une fascination (légitime) pour la technique : danger (la machine se retournera contre les humains : le Terminator, cousin de Hal 9000) ou surpassement pour l'Homme, tel le robot de charge qu’utilise Ripley dans Aliens pour combattre la Reine Alien, lui permettant de maximiser sa puissance d’être et d’artiste ? « Augmenter les capacités humaines grâce à la technologie, précise Cameron, a toujours été un thème majeur de mon travail. »

Sigourney Weaver est Ellen Ripley, boostée par un robot de charge, dans « Aliens : le retour » (1986) de James Cameron

Sa fascination pour la fusion homme/machine et sa peur de voir l’humanité s’autodétruire dans un nuage radioactif sont une constante de son œuvre graphique, James Cameron s’en explique : « Ces sujets continuent d’apparaître dans mon travail parce qu’ils sont toujours d’actualité. Les thèmes environnementaux et anti-guerre. Les commentaires sur la nature humaine et le comportement humain. C’est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque  », l’intéressé poursuivant, en interview : « Je pense que maintenant, nous sommes dans un monde où l'intelligence artificielle, les armes nucléaires et la menace d'extinction de l'espèce humaine sont beaucoup plus présentes qu'elles ne l'étaient par le passé. Mais bien sûr, j'ai prévenu le monde en 1984 sur ce qui allait nous arriver et personne ne m'a écouté.  » On peut guère lui donner tort : Cameron, réalisateur visionnaire et pionnier vert éclaireur, il y a du Cousteau en lui. Ses ténébreux Terminator focalisaient sur notre rapport à la technologie, avec en souvenir la fameuse citation de Rabelais (« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme  »), James y imaginait un futur sombre dans lequel avancées technologiques et ambitions destructrices de l'homme avancent de concert vers un point de non-retour ; on retrouve cette mise en garde sur les dangers de l'intelligence artificielle et la destruction environnementale dans sa dernière saga en date, Avatar, qui devrait le conduire, artistiquement parlant, jusqu’en 2031, le cinéaste, et activiste écologique, y exprime son désir de reconnecter urgemment l'humanité à la nature, en suivant notre lien inné, comme coulant de source (on associe l’eau à l’inconscient), avec elle, tout en repoussant toute morgue cartésienne, avant qu'il ne soit trop (Ava)tard. Et, cette fois-ci, si on l’écoutait vraiment ?

Bustes conceptuels pour plusieurs personnages Na’Vi et avatars de « Avatar » (2009), circa 2006, ©Avatar Alliance Foundation
James Cameron, Cinémathèque française, Paris, le 3 avril 2024. ©Photo V. D.

L’artiste fait de nouveau entendre sa voix, qui porte, dans le catalogue Tech Noir (p. 206), ainsi que dernièrement, lorsqu’il fut invité dans le grand entretien de La Matinale de France Inter, interviewé par Léa Salamé et Nicolas Demorand, le mercredi 3 avril 2024) : « J’ai un grand scepticisme envers les gouvernements, une vision très pessimiste de l’avenir de l’humanité. J’ai fait le tour de la question. Aujourd’hui, comme à dix-sept ans, je suis persuadé que tous les politiciens sont des connards et qu’on perd notre temps en traitant avec eux, à moins de descendre dans la rue pour leur renvoyer leur gaz lacrymo à la figure. Pour autant, en tant que parent [il est père de quatre enfants], mon boulot c’est d’être optimiste. Mais tout ce que je lis me dit qu’il y a de gros problèmes devant nous qu’il va falloir régler. Est-ce que c’est du pessimisme ? Je ne sais pas. Peut-être que c’est tout simplement du réalisme. Je ne pratique pas la politique de l’autruche. J’essaie à mon niveau, le cinéma, de trouver des façons d’être utile, d’aider. C’est important, quand on est artiste, quel que soit l’art ou le support, de créer un mouvement, de dire qu’il faut changer, s’améliorer en tant qu’être humain. C’est ce que j’essaie de faire à travers mes films. »

Maquette thématique de James Cameron pour son épopée de science-fiction jamais produite, « Xenogenesis », 1977-1979, James Cameron, huile sur toile, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron
Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque française, et James Cameron, lors du vernissage presse pour « L’art de James Cameron » à la Tek, le 3 avril 2024, ©photo V. D.

En outre, aux côtés des productions plastiques de jeunesse (et de genèse), via ce tourbillon proposé de plus de 350 œuvres rassemblées, dont 280 originales (plus de 250 étant de la main de l’artiste), trésors créatifs soigneusement sélectionnés dans les archives personnelles du réalisateur (lors de la conférence du 3 avril dernier, Frédéric Bonnaud, directeur général de la Cinémathèque, n’a pas manqué de remercier chaleureusement le réalisateur-archiviste : « Merci James d'avoir tout conservé. C'est une chance infinie, qui s’offre à nous, que vous ayez gardé précieusement toutes ces traces de votre travail car, ainsi, on les partage aujourd’hui à un très large public  »), le circuit proposé n’oublie pas pour autant de montrer, pour le plus grand plaisir des visiteurs, petits comme grands, moult accessoires, costumes, photographies, extraits de films, dont une séquence étonnante de Xenogenesis, film de science-fiction que Cameron a abandonné mais qui servira finalement de brouillon à Aliens, figurines grandeur nature du Terminator ou de la Reine Alien, sans oublier les œufs visqueux !, moulages composites anticipant les effets spéciaux ainsi que technologies mises au point ou adaptées par Cameron en personne.

« Metamorphosis », circa 1973-1974, James Cameron, reproduction d’une peinture à l’huile, inspirée par Georgia O’Keeffe, sur papier, tirage d’exposition sur Plexiglas dans une boîte rétroéclairée, 2024, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

Le rêve comme moteur créatif pour faire du cinéma, via le médium du dessin

Une journaliste, pleine d’humour, interrogeant James Cameron sur la place des rêves dans son cinéma, conférence presse, Cinémathèque française, avril 2024

Me revient en mémoire, tel un songe obsédant, une question très pertinente d’une journaliste, Ilina Perla, lors de la conférence de presse : « Avec toutes vos images créées, dont certaines des plus effrayantes, Comment arrivez-vous à dormir ? » Réponse du cinéaste-démiurge, fabricant de visions inoubliables et adepte de la mécanique des fluides (cf. le T-1000 tout en métal liquide dans T2 : Le jugement dernier, 6 millions de spectateurs en France) : « J’aime vraiment beaucoup les rêves, mais aussi les cauchemars, parce qu'ils donnent de très bonnes idées également. C'est un beau processus, très moteur, de la pensée humaine, qui n'est pas tant dissemblable que ça de la page blanche de l'auteur, scénariste ou écrivain. Comme moi, j'écris ou je coécris tous mes films, je me rends compte du processus mystérieux de l'activité de mon cerveau, il s'agit au fond d'un processus similaire quand j'écris ou quand je rêve. Parfois, les personnages arrivent sur ma page et se mettent à vivre leur vie et je me surprends alors à écrire des répliques de mon personnage auxquelles je ne m'attendais pas forcément et ainsi, quand mon personnage prend le pouvoir, je trouve que c'est le plus intéressant, le plus plaisant. Il y a un dessin de moi qui n'est pas très grand dans l'expo que j'ai fait quand j'avais 19 ans sur une forêt bioluminescente, c'était un rêve tellement beau, tellement fort, qu'à mon réveil j'ai voulu le dessiner, je ne sais pas si j'ai rendu justice à ce rêve, mais en tout cas, il y avait ces arbres comme des lampes et cet animal comme un lézard qui s'ouvre et plus tard ça s'est retrouvé dans Avatar sur cette planète bioluminescente qu'on appelle Pandora et ceci pour la jolie partie rêve de l'activité créative de mon sommeil paradoxal, mais il m'arrive de faire des rêves un peu plus terrifiants ! Exemple, toujours dans l’expo, le robot tueur sortant du feu, c’est la toute première image de Terminator, celle qui a lancé le projet. Elle m’est venue en rêve à Rome. J’étais fauché et je logeais dans une pensione où je suis tombé malade. À cause de la fièvre, j’ai rêvé d’un squelette en chrome qui émergeait d’un mur de feu, c’était les années 80, on était à la pointe de la guerre froide. Les rêves sont des images, mais je suis persuadé qu’ils recèlent des éléments narratifs codés permettant d’en comprendre le sens. Ces images ne viennent pas de nulle part, elles s’accompagnent d’un codage inconscient, presque comme des sous-titres que le rêveur peut lire. Pour moi, ce rêve signifiait que ce robot avait l’air humain au départ, mais que le feu avait fait fondre sa peau. C’est de là que vient Terminator. Quand j’ai fait ce dessin, j’ai ajouté l’arme pour rendre le robot plus menaçant. Mais j’ai abandonné cette idée en écrivant l’histoire. Il est suffisamment effrayant en surgissant des flammes, l’armé n’était pas nécessaire. J’ai créé ce dessin avant d’écrire le synopsis parce que certaines images, pour moi, sont non-négociables au cours du processus d’écriture. Les rêves font partie de mon processus créatif : chaque nuit, j’éteins la lumière et j’entre dans ma plate-forme de streaming privée ! Au fond, je continue mes rêves en faisant mes films mais, attention, le long-métrage à fabriquer est un travail conscient, avec une somme de défis techniques à résoudre, en fait j’extrais ce quelque chose de fantastique de la dimension du rêve pour ensuite lui donner corps dans la réalité, que ce soit à travers le dessin, le cinéma ou la mécanique.  »

Concept pour le film « Terminator » (1984), circa 1990, James Cameron, reproduction d’un dessin original en Prismacolor sur papier noir, tirage d’exposition sur Plexiglas dans une boîte rétroéclairée, 2024, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron
Dessin préparatoire pour l’Arbre des Âmes dans « Avatar » (2009), circa 2006, James Cameron, tirage d’exposition, 2024, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

Aborder, au sein de cette expo kaléidoscopique, de rêve, les innovations technologiques de Cameron par le truchement d’importants dispositifs expérientiels multimédias s’avère payant : le parcours offre deux rendez-vous immersifs épatants avec la filmo de James. D’une part, les visiteurs découvrent une magnifique salle cosy circulaire consacrée à Titanic (1997, 21,7 millions d’entrées en France), dessinée par Cameron lui-même tel un carrousel intemporel puissamment romantique, nous plongeant, en mêlant extraits de films et véritables éléments du paquebot reconstitués par le cinéaste, avec la pratique du dessin en son cœur, dans la fameuse séquence-clé du film où Rose (Kate Winslet) demande à Jack (Leonardo DiCaprio) de la dessiner nue, ne portant qu’un bijou, le « Cœur de l’océan » : à noter d’ailleurs que le croquis, devenu iconique, à l’écran a été exécuté par Cameron lui-même, celui-ci précisant, amusé, dans le catalogue (pp. 203-204) - « Toute l’histoire de Titanic repose sur le dessin de Rose. J’étais trop timide pour demander à Kate de poser nue. On était au début de la pré-production, on se connaissait à peine. Alors on a organisé une séance photo où elle était en sous-vêtements. J’ai plaisanté que j’allais devoir inventer à quoi ressemblaient ses tétons et, si je me trompais, tant pis. Elle a répondu : "Ce sont des putains de tétons tout ce qu’il y a de plus normal", ce qui est du Kate tout craché. On a testé plein de poses avec les mains près de son visage, pour les mettre en avant dans le dessin. J’ai eu du mal à reproduire son visage.  »

Portrait de Rose dessiné par Jack dans « Titanic » (1997), 1997, James Cameron, crayon sur papier, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron
L’installation interactive lumineuse, inspirée de la planète Pandora, en fin de parcours de « L’Art de James Cameron », Cinémathèque française, Paris

Et, d’autre part, les fans de la saga en cours Avatar ne sont pas en reste non plus puisque, après avoir découvert dessins, maquettes, figurines donnant à voir la conception graphique des Na’Vi fusionnant l’homme et l’animal, ces grands personnages bleus dotés d’une queue, d’oreilles et de grands yeux de félins, ainsi que bustes en taille réelle, à l’envoûtante beauté, qui ont servi à façonner leurs visages et leurs étranges corps longilignes, nous basculons soudain, comme en apnée, à la toute fin, dans une grande salle-aquarium, véritable clou de l’expo, revisitant avec maestria, du sol aux murs, via de savants jeux de lumière se jouant de notre perception, façon allégorie de la caverne à la Platon, en nous apparaissant bientôt tels des lucioles scintillantes ou des végétaux colorés en mouvement, la faune et la flore tropicales pénétrantes de la planète Pandora : dépaysement garanti, on a du mal à atterrir après ! Il se dit même que le créateur lui-même aurait été bluffé par cette installation interactive et chatoyante lors de sa première visite de l’exposition.

Avatar (le premier, près de 3 milliards de dollars de recettes, sa suite, La Voie de l’eau (2022), 2,3 milliards) est, pour Cameron, son western SF, film se faisant expérience de cinéma, avec les Na'vi comme Amérindiens de substitut du temps de leur génocide par les blancs nantis et arrivistes au XIXe siècle, entreprise de space opera écolo fantastique à la fois prospective (films alertant sur le naufrage écologique en cours), tout en retournant, en guise de rétrospective nostalgique avec pour horizon un hommage manifeste au septième art, aux origines du cinéma, proche de la fête foraine et du diorama : rentrer, avec cet art de l’invention, de l’illusion, de l’épiphanie ainsi que de l’émerveillement qu'est le cinoche, DANS l'image, miser sur la suspension de l'incrédulité du spectateur, toucher et « goûter » du doigt, par l’œil gourmand, une méduse translucide dansante, ne pas en croire ses yeux. Enchanter la vision, se souvenir du magicien et pionnier de l’image animée Méliès, voir grand, contempler, prendre plaisir à regarder, les yeux grands ouverts (yeuter, en candide émerveillé, dame Nature dans ses moindres détails) ou fermés (les perspectives infinies et dédaléennes du rêve, sans oublier le versant du cauchemar) : nous retrouverons-nous au Jugement dernier sur fond d’apocalypse nucléaire ?

D’ailleurs, avec étonnement, en fin de parcours de l’expo, comme si James Cameron avait lui-même du mal à croire en la terre promise de son Éden survendu dans Avatar, une petite section intitulée « Menace apocalyptique », agrémentée de dessins cataclysmiques, nous dévoile, encore une fois, nuages en forme de champignons, villes dévastées et crânes jonchant le sol, images traumatiques décidément récurrentes dans son cinéma. Retour (redouté) à la case départ ? 

Peinture de jeunesse, 1972, James Cameron, huile sur toile, Avatar Alliance Foundation ©James Cameron

La femme est l’avenir de l’homme : Cameron, cinéaste féministe 

Costume de « Guerrier » Xénomorphe créé pour « Aliens » (1986), circa 1985, et œuf pondu par la Reine (2024) imaginé par James Cameron pour « Aliens », collections Musée du cinéma et de la miniature de Lyon /©Collections la Cinémathèque française

Plongée vertigineuse, ici, dans l’univers de James Cameron, cette expo-souvenirs, s’épargnant pour autant de tomber dans l’écueil d’un showroom pour produits dérivés, distille beaucoup d'émotions, façon madeleine de Proust, en la parcourant : le cinéma est l'enfance de l'art (la lanterne magique) et l'art de l'enfance (il impressionne terriblement la rétine, quand on est gamin) : revoir Ripley, et la petite orpheline Newt, dans Aliens (1986, gros succès, 1,7 million d’entrées en France), retrouver Sarah Connor dans Terminator 1 et 2 (1984/1991, la troublante actrice Linda Hamilton, canon de beauté bodybuildée, dans l’opus deux, qui a pour mission, en femme guerrière solide, de changer l’avenir en protégeant le jeune John Connor/la révélation Edward Furlong), Rose (incarnée par la séduisante Kate Winslet, encore joufflue, pas encore tout à fait sortie de l'adolescence) dans le néoclassique, et magnum opus du maître, Titanic (1997, 11 Oscars), film insubmersible, sur fond de lutte des classes dans un navire naufragé coulant au fond de l’Atlantique, résistant à mille visions et, sans oublier au passage la chasseuse na’vi sexy Neytiri d’Avatar, la trop rare Mary Elizabeth Mastrantonio (Scarface !) dans son chef-d'œuvre poétique Abyss (1989), à mes yeux son 2001 à lui, son long-métrage le plus abstrait, certainement son plus mystérieux et son plus métaphysique. Profondeur abyssale dans le monde du silence, sous la grande bleue : il s’agit d’un huis clos à plus de 7000 mètres de fond, l’équipage d’une plateforme de forage est envoyé en mission de sauvetage auprès d’un sous-marin nucléaire : il faut, à mon avis, du génie pour sortir un truc pareil : façonner, avec une folle ambition, une aventure filmique quasi expérimentale, beaucoup de plages silencieuses, dans le giron des studios hollywoodiens, sommet de science-fiction débouchant sur une rencontre du 3e type en apnée ; ce thriller de science-fiction sous-marin, en même temps qu’il montre des héros devant désamorcer une ogive, nous apprend, dans sa version longue, que les aliens, au fond de l’eau, ont l’intention de faire disparaître l’humanité afin de nous empêcher de détruire la planète avec nos armes nucléaires.

Un extrait de la saga « Avatar » (2009/2022/à suivre) dans le circuit de « L’art de James Cameron », Cinémathèque française, Paris

Et, contre toute attente, ce réaliste viriliste qu'est James Cameron, brut de décoffrage (parfois bourrin, cf. les scènes d’action ébouriffantes de True Lies, mâtinant film d'aventures et comédie conjugale, et les Marines coloniaux volontairement caricaturaux d’Aliens, tirant à tout-va, pour sauver des colons aux prises avec les xénomorphes), est aussi un (grand) cinéaste de femmes.

Ainsi, il y a une erreur fréquente le concernant, c'est de croire qu'il n'est qu'un gros bourrin faisant du cinéma d'action sur-vitaminé. C'est faux, s'il est effectivement champion dans le spectacle gros calibre - s'il déclenche soudain la Grosse Bertha dans ses films (Terminator, Aliens, True Lies, Avatar), il y a, chez le spectateur-voyeur, une jouissance scopique à voir où ça peut aller dans le flingage en règle et la casse tous azimuts, avec effets pyrotechniques dantesques en prime -, il y a aussi en lui - attention, donc, à ne pas snober paresseusement le cinéma de genre - un écolo convaincu, poète des abysses (cf. son génial Abyss, ainsi que ses docs Les Fantômes du Titanic, Volcans des abysses, 2003, et Aliens of the Deep, 2005, sans oublier le trip Avatar) et lanceur d'alerte à résonance planétaire, questionnant les pouvoirs de la technologie et ses dérives sur l'homme, ainsi qu'un cinéaste ouvertement féministe, dans l'héritage d'un Ridley Scott (Thelma & Louise, 1991), mettant en avant le pouvoir de l’amour, qu’il soit romantique ou conjugal, ce remarquable filmeur d'héroïnes principales affirme pleinement leur émancipation (Rose dans Titanic par exemple, « Elle demande à Jack de la dessiner nue, "comme une de vos Françaises", souligne son metteur en scène, parce que c’est une forme de libération. Elle rompt avec son fiancé, Cal, en mettant le dessin dans son coffre, où il ne pourra pas le louper »), ces dernières ne s'en laissant pas compter par les gros durs testostéronés à bloc, voulant uniquement les réduire, en les rabaissant, à leur assignation ancestrale (femme au foyer).

Le tycoon James Cameron pendant son vernissage presse de son expo à la Cinémathèque française, ©photo V. D., le 3 avril 2024

Dans son Grand Entretien sur France Inter (avril 2024), James Cameron affirmait : « J'estime que c'est l'énergie féminine qui va sauver la race humaine. Les débuts d'une femme forte au cinéma, c'est Sigourney Weaver dans le premier Alien de Ridley Scott. Puis j'ai continué avec Sarah Connor dans le premier Terminator. Et la geste s'est prolongée avec mon Aliens, toujours avec Sigourney Weaver en femme qui mène la danse. Tous ces films ont marché sur le territoire américain et ailleurs et Hollywood s'est alors dit - "Attention, on peut faire un film qui marche avec un héros principal féminin et où la femme est intelligente, c'est elle le personnage central et c'est elle qui maîtrise le jeu." Ça a été un électrochoc pour tout le monde ! Et j'ai persisté dans cette idée-là, dans cette tendance, dans cette voie. Et, à ce jour, j'estime que c'est l'énergie féminine dans la race humaine qui va sauver la race humaine, ça n'est pas le mâle compétitif agressif, c'est l'énergie féminine qui peut se manifester dans un corps, masculin ou féminin, et il y en a qui n'ont pas du tout cette énergie. Mais essentiellement ça viendra de cette capacité à être en relation avec l'autre, à coopérer, à travailler ensemble, je crois dans la capacité de l’Homme à résoudre les problèmes par la compassion, et c'est finalement le sens de la vie tel qu'il s'exprime à travers ce que j'appelle l'énergie de la déesse. » Finissons donc sur cette note positive, à la fragrance féminine teintée d'espoir.

Sarah Connor ? Linda Hamilton dans « Terminator » (1984, James Cameron)

Expo-événement « L’Art de James Cameron », jusqu’au 5 janvier 2025, produite par la Cinémathèque française en collaboration avec James Cameron et la Avatar Alliance Foundation, commissaires de l’exposition : Kim Butts, commissaire principale, directrice de l’Avatar Alliance Foundation, Matthieu Orléan, commissaire associé, la Cinémathèque française, avec l’assistance de Brooks Peck, conseiller curatorial, Chris Prince, conseiller éditorial, scénographie : Nathalie Crinière, Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, 75012 Paris, du lundi au vendredi, sauf mardi : 12h-19h, les week-ends, vacances scolaires et jours fériés : 11h-20h, nocturne le samedi jusqu’à 21h. Plein tarif : 14€, tarif réduit : 11€, - de 18 ans : 7€, nocturnes gratuites réservées aux 18-25 ans le deuxième jeudi du mois jusqu’à 21h, sur inscription. Catalogue de l’exposition, Tech Noir, l’Art de James Cameron (livre broché, 232 pages) : 38€. Rétrospective avec l’intégralité de ses films, fictions et documentaires, « Cinéaste explorateur », jusqu’au 26 mai 2024. ©Photos in situ V. D. Tél. : 01 71 19 33 33. Pour infos supplémentaires : www.cinematheque.fr


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