Giorgia Meloni, première femme à la tête d’un gouvernement italien

par Sylvain Rakotoarison
samedi 22 octobre 2022

« Il reste aux femmes à comprendre que personne ne leur donnera le pouvoir. C'est facile à elle de le prendre. » (Roseanne Bear, actrice conspirationniste et trumpiste).

C'est maintenant officiel : ce vendredi 21 octobre 2022, le Président de la République italienne Sergio Mattarella a chargé la chef du parti Frères d'Italie, héritier du MSI mussolinien, Giorgia Meloni (45 ans) de former le nouveau gouvernement italien. Il est prévu qu'elle prête serment au Palais du Quirinal, à Rome, devant le Président le lendemain, samedi 22 octobre 2022 à 10 heures, heure de Paris.

Il n'y avait pas de réelle incertitude sur l'issue des élections générales du 25 septembre 2022 qui ont été marquées par le succès très large de la coalition de droite qu'elle a menée jusqu'à la victoire, ayant remporté la majorité absolue des sièges tant à la Chambre des députés qu'au Sénat. Finalement, les discussions pour former le gouvernement, moins de quatre semaines, ont été plutôt rapides alors que cette coalition pouvait être très hétérogène.

Rappelons que cette coalition est principalement composée de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, de la Ligue (Lega) dirigée par Matteo Salvini qui a subi un revers électoral plus fort que prévu, ainsi que les Frères d'Italie (Fratelli d'Italia), le parti créé et dirigé par Giorgia Meloni qui, jusqu'à l'an dernier, était un petit parti d'origine d'extrême droite mais qui a beaucoup évolué vers la droite voire le centre droit.

Si Giorgia Meloni a le vent en poupe depuis un an dans les sondages puis dans les urnes, c'est justement parce qu'elle a décidé que son parti, le seul, ne participât pas au gouvernement technique dirigé par l'ancien gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi (au contraire de la Ligue et de Forza Italia). Elle s'est ainsi retrouvée dans sa pureté virginale avec le crédit de la seule réelle opposition à "l'etablishment".

Toutefois, ses diatribes antieuropéennes ont été tellement adoucies qu'elle souhaite désormais le maintien de l'Italie dans la zone euro, considérant d'ailleurs qu'il y aura suffisamment à faire sur le plan économique et social pour ne pas ouvrir un front révolutionnaire qui déstabiliserait autant l'Italie que l'Europe (au contraire de Boris Johnson qui a joué avec le Brexit, ce qui a durci la crise économique qui sévit en Grande-Bretagne). Signe des temps, elle s'est exprimée au Palais du Quirinal avec le drapeau européen dans son dos (associé au drapeau italien).



La composition du gouvernement a été dévoilée dans la journée et montre à l'évidence le leadership ferme et incontestable de Giorgia Meloni sur ses très encombrants alliés que sont Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. Ce dernier, à 86 ans, ne revient donc pas au gouvernement, et son représentant au grade le plus élevé, numéro deux du gouvernement, à la fois Vice-Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères, n'est autre que l'ancien Président du Parlement Européen Antonio Tajani, de quoi rassurer ceux qui doutaient des nouvelles aspirations européennes de Giorgia Meloni.

Matteo Salvini n'arrive qu'en troisième position, avec le titre de Vice-Président du Conseil aussi, chargé des Infrastructures et de la Mobilité durable, un ministère à la fois très technique mais aussi très puissant et politique puisqu'il aura en charge, notamment, la gestion des ports. Le point de vue de la nouvelle Présidente du Conseil a donc prévalu puisqu'il n'a pas pu récupérer son ancien Ministère de l'Intérieur qu'elle a préféré attribuer à un haut fonctionnaire, ancien directeur de cabinet du leader de la Ligue lorsque ce dernier était à l'Intérieur, devenu préfet de Rome en 2020, Matteo Piantedosi, sans étiquette politique. En prenant un technicien et pas un politique, Giorgia Meloni aura ainsi une prééminence politique sur le très sensible dossier de la sécurité et surtout, de l'immigration qui a miné le paysage politique depuis une bonne dizaine d'années, l'Italie étant située géographiquement aux avant-portes des "flux migratoires" venant de l'Est et du Sud.

Autre poste sensible, celui du Ministre de l'Économie et des Finances, qui a été pourvu avec la nomination de Giancarlo Giorgetti, considéré comme un "modéré" de la Ligue (je ne sais pas trop bien ce que signifie un "modéré" d'un parti extrémiste et populiste ?). Par "modéré", il faut effectivement comprendre proche des milieux d'affaires, acquis à la logique du libéralisme économique et de la solidarité européenne. Il avait participé au gouvernement Draghi depuis le 13 février 2021 comme Ministre du Développement économique (et auparavant, il a été ministre de Giuseppe Conte). Là encore, cette nomination a de quoi rassurer les partenaires de l'Union Européenne en général.


Giorgia Meloni a réservé à deux membres de son parti les postes très sensibles de Ministre de la Défense et de Ministre de la Justice. À la Justice, le juge à la retraite Carlo Nordio, ancien procureur adjoint de Venise (il a 75 ans !) qui a lutté en particulier contre les Brigades rouges. À la Défense, Guido Crosetto, coordinateur des Frères d'Italie depuis 2018 et ancien membre du quatrième gouvernement Berlusconi à une époque où il militait encore dans le parti de Silvio Berlusconi après un engagement dans la démocratie-chrétienne.

Signalons enfin, sans être exhaustif, que la Ligue dispose aussi du Ministère de l'Éducation et du Mérite avec Giuseppe Valditara et Forza Italia occupe entre autres le Ministère de l'Environnement et de la Sécurité énergétique avec Paolo Zangrillo et le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche avec Anna Maria Bernini, ancienne Ministre des Affaires européennes de Silvio Berlusconi et présidente du groupe Forza Italia au Sénat de 2018 à 2021. Ces trois postes sont également assez sensibles dans le contexte actuel.

Depuis une semaine, les Italiens n'ont pas seulement découvert de nouveaux ministres, mais aussi les nouveaux présidents des deux assemblées parlementaires. Au Sénat, le nouveau Président du Sénat qui a été élu le 13 octobre 2022 est le Sicilien Ignazio La Russa (75 ans), cofondateur des Frères d'Italie avec Giorgia Meloni, ancien Ministre de la Défense de Silvio Berlusconi et fils d'un membre très actif du parti de Mussolini, sénateur du MSI entre 1972 et 1992 (au point que son fils a pour second prénom ...Benito !). Ce dernier a convaincu Silvio Berlusconi d'intervenir militairement en Libye en 2011.

De son côté, élu Président de la Chambre des députés le 14 octobre 2022, Lorenzo Fontana (42 ans), membre de la Ligue, a été ministre entre 2018 et 2019 (Famille et Handicap, puis Affaires européennes). Paradoxalement, cet ancien député européen (entre 2009 et 2018) qui a présenté Marine Le Pen, ancienne députée européenne, à Matteo Salvini, l'a regretté par la suite, ne voulant plus voir la Ligue associée au Rassemblement national, et il a favorisé le "recentrage" de la Ligue conduite à participer au gouvernement Draghi. Catholique intégriste, il a fait de la lutte contre l'islam l'une de ses priorités. Par ailleurs, il a toujours considéré Vladimir Poutine comme un modèle.

Ce "casting" a été âprement négocié entre les trois chefs de la majorité, Giorgia Meloni, Silvio Berlusconi et Matteo Salvini, ces deux derniers assez amers de s'être fait voler la vedette électorale par la première qui a des raisons de se réjouir malgré la situation très difficile de son pays.

Une femme arrive donc à la tête du gouvernement italien pendant qu'une autre femme quitte la tête du gouvernement britannique. Giorgia Meloni devra montrer plus de détermination et d'habileté politique que Liz Truss pour s'attaquer à la crise économique, l'inflation et le risque de pénurie dans les énergies. Et elle devra reconnaître que les solidarités européennes mises en avant par le Président Emmanuel Macron, notamment sur le plan énergétique mais aussi sur le plan budgétaire (plan de relance), vont être la condition indispensable et salutaire du redressement de l'Italie. En ce sens, il est toujours utile que des responsables qui ont toujours existé de leur fonds de commerce démagogique se frottent aux réalités de leur pays. Ce retour au réel a déjà transformé plus d'un dirigeant d'un État européen, France comprise...


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Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2022)
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