Inégalité républicaine : les mots qui tuent !

par Jean-François Dedieu
samedi 18 avril 2015

De la part de ceux qui ont de la bouteille et des responsabilités, nous avons droit soit au silence assourdissant, soit au « ni responsable ni coupable ». 

Le silence assourdissant soit parce qu’on fait le gros dos, en attendant que la tempête passe, soit parce qu’on fait avancer la caravane tandis que les chiens aboient. Je veux bien en être, de la meute, la langue bien pendue, le fouet leste, et « on » serait monsieur le préfet d’abord aux champs, lors de sa tournée des villages, puis dans ses quartiers tant ce qu’il a vu l’a accablé, à moins que ce ne soit pour relever ses manches. 

Ils doit avoir les oreilles qui sifflent quand même ! Pas plus tard que ce matin, à Kwezi-radio, un patron de l’aquaculture en déconfiture ne lui a pas envoyé dire en lâchant tout de go que certains éléments de l’administration viendraient à Mayotte pour « deux ans de dolce vita et une promo à la sortie » ! La radio a évoqué un dossier soumis en janvier 2013 et toujours pas réglé, plus de deux ans après... L’aquaculteur, toujours maître de ses propos mais manquant de réalisme, a même regretté qu’il n’y ait pas plus de fonctionnaires mahorais, plus concernés que ceux qui viennent vivre une parenthèse sous les cocotiers... Oui, oui, en théorie... quoique, pardon de me répéter, mais les hommes étant ce qu’ils sont, c’est l’institution qui doit les garder dans les rails... En attendant, pour l’entrepreneur qui a des tonnes d’ombrines qui crient famine depuis plus d’un mois (est-ce lié ?), ça « ne bouge pas » à la Préfecture.

Attention de ne pas accuser à la légère, parce qu’au moment de fermer l’antenne, le journaliste a fait état d’un communiqué de la préfecture, une dernière minute, une réaction du tac-au-tac du préfet ! Il a dit texto (ou SMS) que le classement, pris en haut lieu, peut-être dans la nuit, relatif au patrimoine, protégeait désormais les... cases d’un certain quartier où un ex-architecte de la Sim, à Mayotte depuis plus de vingt ans lui ! pas comme ces ronds-de-cuir de la dolce vita ! faisait face au tracto-pelle des démolisseurs (au sens propre !).

Alors, les médisants ? En attendant il a parlé non ? Les poissons d’élevage ne sont pas à un mois près ! Et puis s’ils finissent comme ceux du lagon parce qu’au large, Europe oblige, des bâteaux-usines razzient la resource, ils compatiront, à la préfecture... 

De la part de ceux qui ont de la bouteille, des responsabilités et du bagou, surtout pour noyer le poisson puis le rouler dans la farine (1), nous avons droit, soit au silence assourdissant, soit au « ni responsable ni coupable ». En écho au mutisme du Gouvernement de la République à Mayotte, voyons les arguties des irresponsables innocents...

 

Le « ni responsable ni coupable » émane des hauts fonctionnaires chargés de faire appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi alors que Mayotte n’est pas tout à fait la France tant que le décalage n’est pas rattrapé (entendons nous). Grand écart ou pas, comme me l’asséna, en 1991, ce brave inspecteur de l’Éducation Nationale, « un fonctionnaire doit choisir sa sécurité plutôt que son honnêteté ! » ! Parce qu’il ne faut surtout pas être le premier à dire que ça va mal, par honnêteté ! La Fontaine nous « fit bien voir » ce qui arrive à « ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal » : rien n’a changé depuis ses animaux malades de la peste (2). Le risque est moins sanglant de nos jours (les lanceurs d'alertes risquent d'être mis à la porte néanmoins), en attendant, il serait mal vu de reconnaître ses erreurs, de s’exposer en pointant les confrères, surtout quand cette solidarité de corps conforte une promotion espérée que la probité compromettrait. Entre parenthèses, cela justifierait peut-être, de la part de fonctionnaires rongés de remords, la création de collectifs alimentés anonymement pour reconnaître les errements d’une administration institutionnellement complice de l'incapacité politique.

Venons-en au « tout ce que j’ai fait pour toi », l’argument-roi en surenchère du « ni responsable ni coupable » ! Le 3 avril, en effet, le directeur de cabinet du vice-rectorat et le secrétaire général s’exprimaient sur les violences et le droit de retrait qui s’ensuivit de la part des personnels du collège K1 (Kaweni... la banlieue aux favelas).

Conformément au processus décrit plus haut, un des représentants de l’autorité a osé et insisté à plusieurs reprises sur « L’école ne peut pas tout mais elle fait beaucoup ». Celui-ci a confirmé ensuite que le problème était pris à bras le corps avec les 120.000 euros prévus pour la réfection du grillage de protection, que l’école ne pouvait pas devenir la prison de Majicavo et que si c’était pour faire des murs, il se serait fait maçon !

En prenant soin d’appliquer notre grille de lecture, si ce monsieur sous-entend que les parents et peut-être d’autres instances de l’État sont concernés, la deuxième partie de son leitmotiv nous heurte car le « beaucoup » n’est jamais « trop » concernant nos enfants ! Imaginez un enseignant qui affirmerait qu’il fait « beaucoup » alors que la conscience et la modestie lui commanderaient plutôt de dire qu’il « fait ce qu’il peut » ! Il réduit ensuite l’ouverture de l’école sur le quartier et l’extérieur, à l’édification d’un mur de prison... Manque de chance, coïncidence, huit jours plus tard, c’est madame le vice-recteur qui nous informe qu’une butte doit être élevée, au collège de Majicavo, justement, parce que depuis leurs grilles, les détenus harcèlent les collégiennes... Un collège à côté de la prison, ce doit être l’ouverture sur l’extérieur, suis-je bête... Quant à la butte pour ne pas se faire traiter de... (ça rime), est-ce une idée du secrétaire-général avec sa hantise des murs alors que ceux de la maison d’arrêt sont trop bas... à moins que la prison ne soit trop haute pour cause de surpopulation ?

 

 

Ah ! j’allais oublier les 120.000 euros parce que notre cher responsable, qui doit émarger dans les 24 cadres les mieux payés de l’Éducation à Mayotte, a précisé qu’ils SERAIENT DÉFALQUÉS DU BUDGET PÉDAGOGIQUE !

Vraiment sans vergogne, l’outrecuidant !

Alors que l’État discrimine le Français de Mayotte en ne dépensant pour lui que le ¼ environ de ce qu’il accorde au Français de Métropole (4700 € ici au lieu de 17300 €), il faudrait peut-être se consoler parce que l’élève mahorais dispose de plus de la moitié de ce qui est accordé en métropole (3900 € au lieu de 7720 €) ! 

 

         école désaffectée

 

Le budget de l’Éducation Nationale est redevenu le premier budget de l’État. En 2013, les sommes concernées équivalaient à 7720 € en moyenne par élève en France. Qu’en est-il à Mayotte ?

 Pour les 85.444 élèves de la maternelle au lycée, les sommes allouées devraient approcher les 659.627.680 euros ! Sauf que le budget pour 2013 n’aligne que 333,3 millions soit à peine plus de la moitié (3) ! Dans ces conditions, que fait le vice-rectorat ?

 

En dignes héritiers des hussards noirs de la République, sabre au clair, il charge ! Mayotte l’a bien voulu puisqu’elle a choisi d’être Française ! Toutes les réformes doivent s’appliquer sans exception ! Vive l’égalité républicaine qu’il promeuvent, nos cadres, avec force arguments, quittes à gloser mensongèrement sur les heures volées à nos chers petits mahorais, quittes à appâter fallacieusement les mairies tenues de faire un PET ! (4) Que pouvons-nous espérer des « grands » serviteurs de l’État de plus en plus décalés par rapport à l’attente légitime de ce qui doit rester l’intérêt général ? Et plus généralement, ne nous étonnons plus si la défiance l’emporte à l’encontre de dirigeants et d’une administration qui n’ont de cesse que de trahir leur capital de confiance !

Aussi quand le secrétaire général, qui a de la bouteille et du bagou ose affirmer que l‘École fait « beaucoup » et que les 120.000 euros du grillage seront défalqués du budget pédagogique, c’est salement honteux ! S’il est normal de rappeler qu’un citoyen a des devoirs et pas seulement des droits, il est malhonnête et déloyal de lui imposer tous ses devoirs tout en le privant de ses droits, seraient-ils différés...

 

Ecole abandonnée : apparemment construite sur un terrain privé (?)

 

Mayotte, 101ème département va voir les mairies hériter des écoles sauf que les municipalités n’ont pas à accepter, de la part de l’État, un bâti scolaire, comble du comble, hors normes pour 80 % de ses constructions !

Pour ne pas noircir à dessein, disons cependant que l’État devient plus réactif : le Smiam l’organisme auparavant chargé, en théorie, des constructions a été dissous pour manque d’efficience et les bâtiments scolaires poussent depuis comme des champignons... Monsieur le préfet, peu loquace relèverait ses manches !

 

Et il ne faudrait pas faire la fine bouche parce qu’il s’agit de préfabriqués ou plutôt d’éléments de type Algeco, comme ceux, montés en Syrie, pour les réfugiés... Quant à nos mandarins du vice-rectorat, ils feraient mieux de se taire et de ne pas se montrer, en tenue « petit blanc » qui plus est, cravate et manches courtes. Décidément l’habit ne fera jamais le moine !

 

 

 cantine laissée à l'abandon après trois ans de fonctionnement.

 

(1) Signalons qu’en ce moment, c’est pour rendre le vote obligatoire dans un contexte autoritaire rappelant la triste époque de la francisque. Ra Hachiri ! Restons vigilants ! ... Formons nos bataillons !

(2) Guy Béart aussi a chanté « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté... ». Si quelqu’un veut bien me donner la suite...

(3) dont 90 % pour le salaire des personnels http://mayotte.orange.fr/…/50-de-fonds-publics-en-moins-pou… / source kwezi.

(4) Le Projet Éducatif Territorial est "acronymé" PEDT parce qu’ils se sont aperçu, mais trop tard, que cela donnait PET ! décidément, le temps ne fait rien à l’affaire...

 


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