A propos du livre de Fançois Forestier et François Ansermet : « La dévoration numérique », publié en 12.2021

par LVIV
jeudi 7 avril 2022

Le numérique est partout, les Smartphones nous monopolisent, l'intelligence artificielle règle notre vie, les GAFA s'enrichissent avec données personnelles illégalement confisquées, les robots vont-ils nous remplacer ? La science avance dans ce contexte, la microbiologie progresse de même que les connaissances de la cognition. Cette hyperconsommation d'écrans, de connexions, d'information, d'images ne constitue pas une menace pour notre libre arbitre et à terme pour nos démocraties ?

 A propos du livre de Fançois Forestier et François Ansermet : "LA DEVORATION NUMERIQUE", publié en 12.2021.

Notes de lecture, commentaires et réflexions, par Laurent Vivès - 20.02.2022

Aquarelle de Jean Cigu

Commençons par la forme : les 200 pages de texte (réparties en 6 chapitres) sont écrites dans un style fluide, facile à lire et à comprendre, bien équilibré entre l’information et la réflexion. Le ton est libre, la pensée facilement transmise, avec fermeté mais sans la moindre outrance ou agressivité. A chaque page ou paragraphe on apprend quelque chose. Le discours est pertinent bien équilibré entre le factuel, le ressenti et l’opinion, implémentés de considérations éthiques, politiques et philosophiques. La certitude ne prévaut pas sur le questionnement. Les 137 références indexées témoignent du gros travail de recherche en amont. Les auteurs ont surmonté le danger que pouvait représenter l’ambition de traiter plusieurs sujets, certes d’actualité, mais n’apparaissant pas au départ, très reliés entre eux. Le transhumanisme a bénéficié d’une bonne place, car c’est lui qui inquiète le plus les auteurs, qui, grâce à leurs références historiques, techniques et philosophiques arrivent à bien démontrer les fondements de leurs craintes. Ils terminent ce premier chapitre par une série de questions et de considérations peu claires, qui montrent bien leur difficulté à conclure en dépit des références à l’hubris, au vain désir d’immortalité, à la tour de Babel, à l’illusion et au virtuel. Ce passage est compliqué, pas bien maîtrisé, assez peu synthétique. Les GAFA sont par contre très bien analysées, on apprend beaucoup sur leur fonctionnement leur extrême puissance, leur habileté à faire des profits et leur amoralité… Quand aux convergences N.B.I.C. c’est un domaine encore hétéroclite, assez obscur, peu connu du grand public, dans lequel ils excellent et réussissent à nous informer en conciliant précision et didactisme. Enfin ils ont abordé courageusement les liaisons avec la vie démocratique et les mesures qu’il faudrait prendre pour l’avenir. Malgré la difficulté première de traiter plusieurs sujets complexes, la forme vient au secours du fond et permet au lecteur d’avoir les idées claires et, finalement, de retomber sur ses pieds.

Concernant le contenu du livre :

Le transhumanisme, dans la lignée du désir d’immortalité et de libération de la triste condition humaine, utilise les nouvelles technologies pour nourrir l’illusion de l’homme augmenté, évoluant vers la singularité (fusion des ordinateurs et du cerveau humain), le virtuel et la mort de la mort (puisque selon eux la mort est la pire des maladies). Clairement les auteurs rejettent le projet transhumaniste, la mort étant le fondement de la vie et sa nécessité. Pas de mort, pas de naissance, pas de changements, pas d’évolution, pas de temps. L’éternité n’existe pas. Même l’univers pourrait mourir et renaître de ses cendres. Le transhumanisme est inhumain. Il est le fruit d’un refus d'une condition humaine incluse dans le « grand tout », d’une méconnaissance du réel, d’une pauvreté philosophique et d’une vanité démesurée. Il est amoral, sans empathie, sans amour, sans projet de partage et de solidarité. Bref, tout ce qui fait la grandeur de l’homme.

Transhumanisme vers la Singularité, le cerveau et l’ordinateur ne feront qu’un

« NBIC : une économie de l’espoir fondée sur les biotechnologies » est passionnant, formidablement bien documenté. Nos deux scientifiques s’en donnent à cœur joie et nous emmènent dans une actualité excitante, qu’il s’agisse des nanoparticules ou des biotechnologies (via la génétique, la biologie moléculaire, la sociabilité cellulaire, la biologie de synthèse du génome avec les cellules I.P.S. génétiquement programmées, et des organoïdes capables de mimer le fonctionnement de nos organes). La nano-robotique pourrait aider nos systèmes immunitaires. Les thérapies par les CarTcells guérissent déjà des Myélomes et des Lymphomes.

Cellule totipotente

Concernant l’informatique, nous apprenons un peu moins, car nous sommes déjà bien informés, qu’il s’agisse des big data, du Cloud, de « l’intelligence artificielle », de l’utilisation de l’ADN, des ordinateurs quantiques, des cyber attaques, de l’avancée majeure de la Chine qui arrive presque au niveau des USA, et surtout des problèmes éthiques majeurs posés par l’utilisation de ces systèmes de plus en plus performants et puissants, qui constituent déjà des armes d’ingérence, de manipulation et de surveillance massive de nos sociétés. 

Avec la téléportation quantique nous pourrons intriquer, corréler et manipuler des microparticules très éloignées, à des vitesses bien supérieures à celle de la lumière, supprimant les distances, mais aussi pouvant assujettir les objets, le vivant et pourquoi pas la pensée…

Les choses sont aussi (voire plus) compliquées avec les sciences cognitives (ensemble des processus mentaux associés à la connaissance et sa compréhension), qui ont fait l’objet d’importants et coûteux programmes de recherche aux USA et maintenant en Europe. Ici les scientifiques et les farfelus sont aux portes des manipulations cérébrales, pour le bien, quand il s’agit de réparer une dysfonction (vue, ouïe, motricité, neurotransmetteurs, etc..) et pour le mal, quand il s’agit de changer l’esprit des gens qui sont ors normes, voire amoureux ou trop libres. Les auteurs nous renvoient aux projets de « pilule de la moralité », soutenues par Peter Singer, et aux « anti-lov drugs » de Brian Earp, pour calmer l’excès d’amour. Déjà, depuis un smartphone placé près du cerveau, un logiciel peut nous transmettre, via des petites ondes, des modificateurs d’émotions, pouvant faire de nous des tueurs implacables ou de gentils serviteurs. Ceci est actuellement utilisé à des fins militaires, mais rien ne dit qu’il en soit autrement demain. « Neuralink » d’Elon Musk, travaille sur le cerveau connecté avec pour but de lui permettre de se brancher sur internet ou de bénéficier d’autres « bienfaits » de l’I.A. Pour l’heure une équipe de Lausanne (Jocelyne Bloch) vient de restituer une motricité chez 3 patients très handicapés, grâce à une implantation neurologique d’électrodes télécommandées. Nous sommes ici loin de la cognition, mais la preuve est faite que le tissu nerveux, même lourdement défaillant, est réactif à des stimulations électroniques artificielles et auto-commandables.

Les auteurs abordent la problématique de l’homme « augmenté » ou « diminué » par ses relations avec l’ordinateur. Je me suis réjouis de les voir déclarer que l’on ne sait quasiment rien des mécanismes de la pensée, que le cerveau est connecté et influencé par l’ensemble de notre corps (notre pensée est modifiée par la souffrance, la maladie, le stress, les émotions, etc..), et de notre environnement, que télécharger le cerveau ou une encyclopédie peut mener n’importe ou, et qu’en fait d’augmentation, les idées des transhumanistes, d’Elon Musk et de ceux qui les financent, risquent fort de nous conduire vers une diminution et une dépendance aux machines au lieu de les maîtriser.

La démocratie en danger d’elle-même : « Internet contribue à créer et renforcer des opinions en circuit fermé. Les débats en ligne ne correspondent pas aux caractéristiques de l’espace public, entre égaux, ou les arguments rationnels prévalent et ou l’on cherche à élaborer une position commune [ ]. Les blogs et forums participent à un éclatement, aboutissant à des opinions sans cohérences, avec des idéologies divergentes [ ]. Le virtuel anonyme est un facteur destructeur qui peut aller vers des échanges délétères ». Alors qu’Internet a été pensé comme un système de communication sociale ouvert et varié, Google, de par son indexation, sélectionne un espace restreint et fermé, débouchant sur un individualisme connecté. Cependant Internet permet aussi aux gens ayant les mêmes opinions, de se rassembler, de s’informer, de se structurer et d’agir. Les GAFA richissimes, grâce aux données personnelles que nous leur donnons, ont fourni des données sensibles aux partis politiques, en vue d’influencer les électeurs (Cambridge Analytica). Du Big Brother on arrive au Big Other, l’être humain, réifié par les big datas, que l’on manipule, parce que coupé de ses valeurs et de ses cultures fondatrices est réduit à un consommateur. Le pillage des données personnelles par les GAFA est illégal, irrite les gouvernements, qui, pour le moment sont impuissants à y remédier.

Les GAFA sont plus forts que le pouvoir fédéral américain. D’ailleurs, aux USA, l’armée et l’administration ont besoin de leur savoir faire. A ce jour, aucune mesure coercitive n’a été prise contre eux, et Apple est la première capitalisation mondiale. Big Other nous réifie et doucement nous confisque notre libre arbitre, la liberté de choix de façon absolue. Cependant, « l’individu agit, mais il est aussi agi, depuis cette autre scène qu’est l’inconscient [ ], la liberté ne va pas forcément du côté du bien [ ], elle ne peut être découplée de la notion de responsabilité ». Le sujet libre doit répondre de ses actes, devant lui-même et autrui. « La liberté c’est aussi paradoxalement celle de choisir ses contraintes, y compris celles issues des GAFA ». La fulgurance du développement de l’I.A. tend à éliminer les choix individuels. L’I.A. nous connaît tellement bien que l’on pourrait finir par lui abandonner la gestion de notre bonheur (facilitations, services, automations, loisirs, équipements, hight tech etc..). « La position que l’on prend quand à l’impact des nouvelles technologies n’est pas seulement la responsabilité de chacun, c’est aussi la responsabilité de tous ».

Le transhumanisme découle d’une idéologie individualiste et capitaliste. Sommes-nous en train de devenir des technopathes, des psychopathes de la technologie ? Notre libre arbitre est le dernier rempart devant la puissance des GAFA et de l’IA. « Lorsque l’individu perd pied et abandonne une partie de son libre arbitre, c’est la société, et par tant la civilisation, qui sont en danger ». Pourtant le tyran n’a d’autre puissance que celle que nous voulons bien lui donner. Avec les GAFA et le transhumanisme tout est permis : vol des données personnelles, transgressions fiscales, immoralité, folies pseudo innovantes, surveillance de tous nos actes, manipulations etc.. La solution à la crise climatique et écologique serait, pour les transhumanistes, de miniaturiser les êtres humains qui produiraient ainsi moins de C02. Dans ce monde réifié, déshumanisé, privé de libre arbitre, la recherche de la spiritualité fait recette. La Grant Study de Harward portant sur 268 étudiants volontaires suivis pendant toute leur vie jusqu’à un âge de plus de 70 ans a montré que le facteur le plus contributif à l’épanouissement personnel était l’amour. Amour, altruisme, compassion et tolérance sont intimement liés. La spiritualité est un moyen d’accéder à l’amour et par delà au bonheur, chose que les transhumanistes et les GAFA ignorent complètement.

Comment éviter le passage au transhumanisme ? Les contre pouvoirs ne sont pas au rendez vous, qu’il s’agisse des politiques, des médias, de la majorité silencieuse ou des minorités agissantes. Il faudrait commencer par comprendre ce qu’il se passe. Difficile à faire devant l’évolution technologique fulgurante qui accumule des questions nouvelles auxquelles on ne sait pas répondre. C’est une machine infernale. « Ce vertige technologique ne doit cependant pas nous éloigner de l’humain et de la solidarité ». La spirale technologique met en danger notre démocratie via la perte du libre arbitre et le piratage de nos données personnelles. « Si l’humanité ne s’oriente pas vers une humanité augmentée, [ ] le risque d’un totalitarisme nous guette, [ ] si les notions de bien commun et de lien social ne retrouvent pas leur sens ». Les auteurs préconisent une reprise en main urgente des GAFA par les états, tâche d’autant plus difficile que celles-ci sortent enrichies et auréolées par leur contribution à la lutte contre la pandémie.

Comment la pandémie de Covid a éclairé le débat sur les GAFA : les auteurs pensent que la pandémie a fait revivre la pulsion de mort, chère à Freund, mais aussi le désir d’une autre vie et d’une intelligence sociale avec « la prise de conscience d’une altérité profonde, vécue, [ ] qui puisse nous conduire à l’équité et à la paix  ». Suivent une litanie d’interrogations sur l’issue post-pandémie entre ces deux pulsions. Deux points sont intéressants : « l’étymologie chinoise du mot crise, qui a une double acceptation, entre danger et opportunité » et « du chaos peut naître une issue  ». L’histoire a montré qu’après de grandes épidémies, des renaissances ont suivies. L’homme va jusqu’au bout de lui-même et se détourne quand il fait fausse route. Je pense que son instinct de vie prévaudra. D’ailleurs « peut-être qu’il n’existe qu’une issue, celle du cœur [ ] à travers une sociabilité plus forte et la valorisation de l’amour ». Les auteurs livrent leur point de vue sur la vaccination, la liberté des antivax, mais aussi leur responsabilité collective et la mise en danger de leur entourage. La loi Kouchner leur permet de refuser le soin.

Les GAFA ont proposé leurs services pendant la pandémie (prévention des transmissions virales, télétravail, téléconférences, Kealth Data Hub, chatbots, lutte contre la désinformation et les complotistes, courses en ligne, transport, livraisons etc..). Tous ces services ont augmenté leurs recettes publicitères et les GAFA se sont enrichies pendant la pandémie.

L’autophagie : les auteurs se livrent à une allégorie de l’autophagie inspirée de la divine comédie de Dante. Selon eux le numérique nous dévore, excite notre avidité. « Le tout et tout de suite, une avidité, un appétit sans fin [ ]. L’un dévore l’autre ». L’avenir est incertain et l’incertitude angoisse, et pousse, pour se rassurer et combler un vide, à dévorer, comme Ugolin le fit infiniment. Ce processus de dévoration mutuelle, est rampant. Cependant, les auteurs reconnaissent que le numérique est utile, pourvoyeur de bienfaits et améliore la vie des gens. Trop utilisé (surtout via les smartphones), il devient un danger, une addiction, une perte du soi, du libre arbitre. Certains d’entre nous en ont pris conscience et commencent à témoigner. Ils s’astreignent à la frugalité, au strict nécessaire, au ralentissement et à la méditation.

Que faire ? Utiliser les données personnelles que détiennent déjà les états et les mettre sous contrôle indépendant. S’inspirer du succès de Stop-Covid, investir dans des logiciels libres, utiliser nos plateformes vidéo, créer des conseils scientifiques et éthiques, avec une coordination Européenne. Il y a des sociétés coopératives, qui proposent des services en open source, qui pourraient concurrencer les GAFA. On peut démanteler les GAFA selon leurs différentes spécialités. Il y aussi une tendance au rapatriement des activités, les délocalisations ayant souffert de la pandémie. Les états doivent faire payer des impôts aux GAFA et leur faire respecter les lois internationales concernant la protection des données personnelles. Chaque citoyen peut reprendre sa liberté et utiliser autrement les services des GFA : refuser les cookies, effacer les traces, ne pas indiquer sa position, réduire le temps d’utilisation, s’astreindre à des cures de sevrage des smartphones. Surtout, abandonner GOOGLE au profit d'autres moteurs de recherche, comme DUCK DUCK GO, gratuit, libre très performant, sans publicités.

Les auteurs concluent à l’impuissance des états, aux dangers de certaines idéologies, à l’urgence de réagir individuellement et collectivement et à la nécessité de mieux comprendre ce nouveau monde. Ils ne se prononcent pas quand à l’issue prochaine de ces mutations et de la situation de dépendance dans laquelle nous nous trouvons face aux géants du numérique.

Mon avis sur le fond : La révolution numérique a transformé notre monde. J’ai publié dans mes blogs un long article intitulé « La civilisation de la technologie : jusqu’où aller », ou je parle du transhumanisme, de l’intelligence artificielle, de la réification, de l’injonction technologique, de l’assujettissement aux écrans, de l’apocalypse cognitive, de l’intelligence collective, etc… Ici le titre est déjà plus dramatique, la situation de l’humanité proche du chaos. Le trait est forcé. Néanmoins le danger est réel comme l’ont brillamment démontré F. Forestier et F. Ansermet, à grand renfort de références et d’informations. Un travail de lanceurs d’alerte inquiets de notre devenu, en voie de déshumanisation, complètement assujettis à nos écrans, acceptant sans sourciller de fournir nos données, grâce auxquelles les GAFA sont devenus, en moins de 20 ans, les plus riches et plus puissants du monde, s’investissant dans l’intelligence artificielle et les projets de transhumanisme et de NBIC, sous les yeux incrédules des états, en l’absence de contrôle et en dépit des lois. Des monstres indomptables : à ce jour ils sont intouchables, les sénateurs américains renoncent à les attaquer, ils sont au sommet de leur richesse, se croient tout permis, n’ont pas de scrupules et sont prêts à tout dévorer (jusqu’à en mourir ??).

Le livre est passionnant, plein de générosité et d’humanisme, utile et contributif. Pour moi c’est un livre de chevet très fouillé, qui mérite d’être relu plusieurs fois.

Quelques regrets cependant :

Le chapitre sur la démocratie est déséquilibré au détriment de la réflexion sur ce qu’est la démocratie, quel est son sens, quels possibles pour elle, et quels risques ou secours peut elle attendre des progrès technologiques ?

En quoi les GAFA menacent ‘ils la démocratie ? Les auteurs l’affirment plus qu’ils ne le démontrent. Certes, l’accès aux données aide les manipulations. La connaissance est une forme de pouvoir. Mais beaucoup de données sont accessibles, et qui veut savoir, le peut. Je me suis intéressé aux relations entre la démocratie et le numérique : quelques chercheurs y ont travaillé, sans conclure, et de nombreuses expériences existent, en particulier dans les collectivités locales. La démocratie représentative vit de l’idée que le peuple n’est pas capable de se gérer seul, et doit recourir à des représentants, qui dirigent (selon Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, pour ne citer qu’eux). Pourtant dans les démocraties occidentales les gens sont éduqués et informés, mais il n’y a que la Suisse et le Liechtenstein qui recourent à une démocratie directe. Les référendums en France ne sont pas utilisés (probablement à cause des funestes souvenirs pour Le Général De Gaulle en 1969 et pour l’Europe en 2005). Pourtant la démocratie directe participative de proximité est une idée qui avance, et le numérique sera une aide, au même titre qu’il a aidé contre le Covid. On connaît aussi l’utilisation des réseaux sociaux pour la lutte contre les dictatures et l’organisation des résistances (Birmanie dernièrement).

Il faut considérer que la démocratie est minoritaire sur la planète, en nombre de pays et surtout en nombre d’habitants (moins d’un terrien sur 2 vit en régime démocratique, ou apparenté et seulement 8,4% dans une vraie démocratie, contre 35,6% dans un régime autoritaire).

Index Mondial Démocratie en 2020

On assiste aussi à une montée en puissance des contestations (dernier rapport C.I.A. de 03.2021), un morcellement politique, une absence de gouvernance mondiale et une géopolitique qui se transforme. La paix pourrait est menacée (Russie-Ukraine). Il me semble que la démocratie est bien plus menacée par l’incurie de certains régimes (et des peuples qui les soutiennent) que par les GAFA. On peut dire que la menace numérique est un problème de riches, au même titre que celui de la liberté vaccinale.

Pas un mot sur l’intelligence collective (concept développé par Joseph Hensrich : The Origins and Psychology of Human Cooperation. Joseph Henrich et Michael Muthukrishna ; Annual Review of Psychology. 2021. 72:207–40) et les capacités d’adaptation à des problématiques nouvelles ou devenues désagréables. C’est peut être par cette voie que se résoudra la crise, en communiquant intelligemment, en comprenant ce qui se passe, en informant et en proposant d’autres façons de vivre. Il y a déjà des familles qui contrôlent le temps d’utilisation des smartphones des enfants. Dans la Silicon Valley des voix se font entendre pour limiter les ordinateurs. Les écoles s’interrogent sur l’omniprésence des écrans en classe. Des études ont montré les dangers de l’assujettissement numérique sur la mémoire, l’éveil à l’environnement, le repli sur soi, l’enfermement, la déconnexion des réalités. Les prises de conscience sont encore très insuffisantes. Il faut dire que les mises en cause des GAFA sont récentes et les transhumanistes encore quasi inconnus pour monsieur tout le monde. Face à leurs funestes projets, les gens vont réagir. Quand ils sauront, ils commenceront à se rendre compte du mauvais chemin qu’ils prennent.

L’intelligence collective est décuplée via internet, qui véhicule le meilleur et le pire. C’est une lutte entre les complotistes, les sectaires, les minorités « bafouées », les collapsologues, les violents, les haineux et les autres, ceux qui informent, réfléchissent, partagent (Wikipédia) et militent pour le bien commun, pour une gestion apaisée de la planète protégeant les humains et les non humains, loin de l’âpreté du gain, des partis pris, ouverts au dialogue. Les médias (presse, TV, radio, sites d’infos etc…) sont aussi un bon véhicule pour l’intelligence collective. La recherche médicale se complexifie, et de nombreux centres se regroupent, échangent, partagent et se structurent en collectifs de « recherche translationnelle ». La pandémie a été l’objet d’efforts et de collaborations sans précédents, avec un déploiement mondial d’intelligence collective, dont nous avons tous bénéficié. La violence et le sectarisme sont contre-productifs et dangereux (voir la fin des gilets jaunes).

Presque rien à propos des jeunes, qui sont les premiers concernés. Certes, ils sont très accrochés à leurs smartphones, aux jeux vidéos, au virtuel aux réseaux sociaux. Ils pianotent à une vitesse phénoménale, ont beaucoup d’amis virtuels, sont hyper-informés et contestent de plus en plus les autorités. J’ignore s’ils sont branchés transhumanisme. Ceux que je connais me semblent, malgré tout, assez bien équilibrés, aiment discuter, font du sport, n’aiment pas trop les politiques, ne sont pas très individualistes, accepteraient de partager et de vivre plus lentement, pour faire d’abord ce qu’ils aiment. Ils sont 100 fois plus éveillés que nous l’étions il y a 60 ans et probablement moins utopistes. Ils n’ont pas l'air inquiets à propos du numérique, et finalement pas beaucoup pour leur avenir. Ils sont le reflet de notre société et aussi du milieu dans lequel ils vivent. Leurs parents hyper occupés s’appuient sur les grand parents, de qui, ils reçoivent calme, affection, transmission de valeurs et de culture. Avec 50% de couples divorcés, beaucoup sont élevés par des parents séparés. Leur addiction numérique est aussi un mode d’évasion de notre réalité, comme l’étaient la lecture, les histoires, les jeux, les comtes de fées. S’ils s’y complaisent, c’est qu’à la maison on parle peu, que l’affection et la considération peuvent manquer, ou que l’injonction autoritaire est mal gérée. Certains réussissent très bien et très tôt, sont matures, innovants et mondialisés. Leur plasticité cérébrale est un atout en informatique et en innovation, mais aussi dans les métiers manuels, le commerce etc... Ils ont besoin de considération. La pandémie va les marquer pour longtemps et influencer leurs choix de vie : moins suiveurs, plus libres, plus ouverts, plus connectés et probablement plus solidaires. Il faut avoir confiance en eux.

Un mot sur l’addiction  : les auteurs en parlent, mais sans s’interroger plus avant. L’homme est un être addictif et développe des addictions à toute sortes de choses : hallucinogènes, alcool, tabac, excitants, nourriture, sexe, sport, jeux vidéo, de hasard et/ou d’argent, films d’horreur et séries télé, pornographie, travail et autres activités etc… On connait peu de biomarqueurs de l’addiction (endorphines, et quelques neurotransmetteurs comme sérotonine ou dopamine). Quelques gènes prédisposants ont été identifiés. Des facteurs psycho-sociaux favorisants sont connus (anxiété, stress, isolement, troubles psychiques, inadaptation sociale, contexte socio-familial défavorable, etc…). Il est frappant de constater que pour le moment l’addiction numérique n’est pas reconnue par les scientifiques, mis à part aux jeux vidéos, alors que de nombreuses personnes passent des heures devant des écrans, sont mal dès qu’elles n’ont plus leur smartphone, présentent des désordres psycho-affectifs, abandonnent certaines activités (sport, loisirs, vie sociale). Une journaliste a publié sur son cas d’extrême dépendance à son smartphone. Nous voyons tous dans la rue des jeunes (et des moins jeunes) marcher les yeux rivés sur leur écran. Et que dire dans le métro ! Nous sommes les témoins et les victimes d’une addiction massive, banalisée, qui peut s’avérer dangereuse (téléphone au volant, complotisme et fakenews, manipulations anxiogènes, perte du sommeil, stress, perte de la concentration et de la mémoire, dépersonnalisation, perte de la réflexion et de la pensée lente). Le « prêt à penser », toutes les informations, tous les services sont dans notre I phone. Sans parler des réseaux sociaux, des arnaques et piratages. Les esprits faibles ou fragiles sont les plus impactés, mais nous avons tous un Smartphone et nous nous en servant beaucoup. De la surconsommation à l’addiction il n’y a qu’un pas. Regarder son écran au premier réveil, le consulter dans les toilettes ou à table, en cachette, se réveiller la nuit pour envoyer un texto à sa copine, abandonner la lecture des livres, est ce déjà une addiction ?

En 2013, Stéphane Vial publie sa thèse sur« La structure de la révolution numérique : philosophie de la technologie  », dans laquelle il revisite la notion d'être, à contrepoint des conceptions ontologiques substantialistes, et développe la notion « d'ontophanie » phénoménologique (ontos = être et phanie = voir), ou l'être (faussement réputé virtuel), existe en tant qu'apparition, prenant vie par l'effet produit sur l'observateur-utilisateur. Cette conception appliquée à la révolution numérique crée un nouveau paradigme humain-technique par interactions constantes, sources de remodelage de la pensée, des affects, et peut-être de l'identité de l'homme. Il pose clairement la question d’un « être numérique », produit par tous ces nouveaux systèmes. Sans aller jusque là, je dois reconnaître que ce remarquable travail m’a troublé. La révolution numérique n’a pas de précédents dans l’histoire. Sommes-nous des apprentis sorciers ? Allons-nous nous perdre dans les ramifications extrêmes de tous ces réseaux ? Notre addiction palpable est’ elle le début d’une captation de notre être humain par l’hypothétique être numérique ? Sommes-nous à la veille d’une nouvelle métaphysique ? Pour le moment, la thèse de Stéphane Vidal n’émeut pas les scientifiques, ni les philosophes, ni les chercheurs du numérique.

Technologie et Capitalisme néo-libéral : ils ont partie liée à 100%, il n’y a qu’à voir qui sont les plus riches maintenant. Leur connivence se déploie sans considérations morales, sans éthique, sans philosophie. Le but recherché « officiellement » est le progrès. Pour partie, nous avons progressé, en science, en médecine, en espérance de vie et en confort. Cet aspect des choses fait que « ça continue », mais jusqu’où ? Sommes-nous les acteurs ou simplement les consommateurs du progrès ? Celui-ci profite surtout aux riches, mais il semble aussi convenir à la majorité d’entre nous.

Le baromètre de la confiance (CEVIPOF, 01.2022) montre que 75% des français pensent que, « les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions », 72% pensent que « les gens de mon pays ont la possibilité de choisir leur propre vie », et seulement 20% « sont mécontents de la vie qu’ils mènent ». Ce n’est pas demain que la « dévoration numérique » va leur faire peur

Laurent Vivès


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