Il a mangé son chapeau

par C’est Nabum
vendredi 23 juin 2023

 

Le client est roi.

 

Il y a grande prétention à penser vouloir toucher le cœur et l'esprit de clients en goguette. La distraction dirige cette société, il n'est pas bon de prétendre apporter un peu de culture quand seuls l'alcool et la boustifaille sont de nature à remplir les corps en vadrouille. Ventres en bordée n'ont pas d'oreilles et usent même de leurs gosiers à gorge déployée. Fermez le ban.

Dans un brouhaha sans nom, du comptoir tout proche, quelques joyeux drilles de la liqueur anisée et du divin houblon, se moquent éperdument du malheureux qui tente de se faire entendre de temps à autre. Il y a pourtant des gens venus l'écouter puisque l'invitation à venir à cette soirée précisait explicitement qu'il y avait une racontée. L'estaminet comme chaque vendredi soir ouvrait ses portes pour inviter les clients à partager une animation.

Comme chacun sait, l'occasion fait le gai luron et le larron en foire. Ceux-là même qui ne savaient pas où s'abreuver, tels des grands fauves, se sont jetés sur l’innocente proie. Sans ménagement, avec une fureur extrême et sans même s’en rendre compte du reste, ils ont dépecé leur victime, la laissant exsangue sur la rive.

Pourtant, l'imprudent avait bien tenté de les amadouer, de titiller une curiosité qui devait être en jachère depuis très longtemps. Il leur raconta rien que pour eux, des histoires de marins et de catins qui émoustillèrent non leur curiosité mais une appétence exacerbée par une chaleur diabolique. C'est bien là que la soirée a viré de bord, Lucifer en personne prenait les commandes de ces clients à la soif inextinguible.

Comment voulez-vous que nos lascars se mettent à croire aux fées de Loire, aux sorcières et aux pierres tournantes eux qui fréquentent plus assidûment les éléphants roses sur les rives de cette dernière ? L’incompréhension ne pouvait être que mutuelle et l'incompatibilité la plus totale. Hélas, dans ce combat à armes inégales, le client seul est roi tandis que ces décibels ne gênaient en rien la logique du tiroir-caisse. Il fallut donc rabaisser le caquet de celui qui était à l'affiche par inadvertance.

Le beau parleur en fut pour ses frais et son honneur. Sa dignité bafouée par quelques arsouilles en pleine rabouinade, il n'avait plus qu'à rabaisser son caquet, tirer sa révérence et s'en aller en tentant d'avoir la tête haute alors qu'elle était gonflée d'un orage qui ne demandait qu'à éclater. Il se punit lui-même en partant sans boire ni manger, histoire sans doute de se distinguer des gougnafiers qui lui avaient pourri la soirée.

Le plus humiliant dans cette affaire fut la tournée du chapeau qui lui laissa un goût amer. Il comprit alors qu'il devait cesser de tendre la main pour récompense de ses animations. Il y avait là une façon de faire dégradante à laquelle il entendait mettre un terme. Les saltimbanques ne sont pas des quémandeurs, ils doivent être respectés. Le cas échéant, ils peuvent aussi bien se produire gracieusement plutôt que de recevoir ce denier de l'inculte qui sent l’aumône et la charité.

De cette soirée-là, laissant les grands fauves de l’apéritif à leurs agapes, il mangea son chapeau pour ne plus avoir à digérer pareil outrage. Ce n'est pas à votre bon cœur messieurs dames mais plus sûrement à vos esprits, à votre curiosité et à votre sensibilité qu'il s'adresse. Laissons donc la mitraille et les boutons de manchettes à la seule quête de monsieur le curé.

Il prit ses ailes à son cou, se vit clouer le bec par quelques margoulins du galopin et s'en alla plein de rancœur, lui qui n'aurait voulu donner que du bonheur. La coupe était pleine, la ciguë remplaçait la lie dans ce calice du sacrifice.

Il en tira la leçon qui convenait et cessa de prétendre se produire ainsi entre la bonne poire et le fromage peu coulant. Chacun à sa place et les cochons continueront de manger des glands.

À contre-pot.


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