Les croissants du dimanche matin

par C’est Nabum
dimanche 1er octobre 2023

 

Pour la brioche, il faudra attendre.

 

Le rituel fut immuable tant que je vécus dans mon pays d'en-France. Il faut bien reconnaître que disposer d'une boulangerie juste devant chez soi aide considérablement à effectuer une démarche matinale qui enchante toute la famille. C'était donc avec un plaisir immense que nous nous levions avec l'odeur de la viennoiserie dans les narines. Il n'était pas mieux pour bien débuter une journée particulière.

Puis le temps a passé, j'ai perdu ce plaisir tant je ne retrouve pas souvent la saveur des trésors qui sortaient du fournil de monsieur Lecomte. Le croissant notamment a connu une croissance exponentielle qui lui valut de figurer sur tous les étals qu'ils fussent de boulangerie ou bien d'épicerie. Ce fut alors l'ère du tout-venant…

Nous découvrions soudain qu'il existait des croissants au beurre et d'autres qui manifestement ne l'étaient pas. La différence de prix attestant que pour faire son beurre, le coup de baratte se porte d'abord sur les tarifs. Puis ce fut l'époque des croissants grégaires. Ils avaient besoin de se serrer les coudes en se regroupant en nombre dans d'étranges emballages transparents. Le croissant abordait alors sa décroissance du tarif, renonçant à la proportionnalité pour proposer des tarifs de groupe.

Ce fut l'occasion pour lui de renoncer aux réveils matutinaux. Plus besoin de se lever aux aurores pour sortir du four, ni d'avoir le teint frais et la mie avenante. Il passait de l’onctuosité croustillante à la mollesse des produits insipides. L'essentiel pour lui était de conserver son pouvoir absorbant pour tremper sa mollesse dans votre petit déjeuner.

Il découvrit alors l'infini gamme des préparations sucrées qui vinrent le fourrer pour lui redonner un peu de son lustre d'antan. Tentative illusoire de cacher sa misérable condition de produit industriel ou à défaut issu de pâtons congelés. Le malheureux se faisait complice du diabète sans jamais retrouver les délices de sa simplicité originelle.

Le croissant vit alors venir à lui des concurrents dont l'un joua du registre de la guerre régionaliste pour faire parler de lui. Les uns le dénommaient « Chocolatine » quand les autres se contentaient d'un « Pain au chocolat » tout aussi mensonger. Le chocolat n'était que prétexte et portion congrue dans cet ersatz de nos goûters d'enfance.

Plus délicat, plus rare aussi, le pain aux raisins tenta un temps de conserver des adeptes gourmets en se gonflant de crème pâtissière et de raisins imbibés. Il déchanta bien vite devant le succès commercial du redoutable croissant qui devint l'unique référence. Il ne faisait guère bon vouloir jouer la qualité dans une société qui ne pensait qu'en terme de quantité.

Jadis, nous n'avions droit et c'était un plaisir reçu avec considération et remerciements, qu’à un seul croissant. Aujourd'hui, c'est en bandes qu'ils arrivent sur la table au point qu'il convient de recycler les délaissés du petit matin en les farcissant de fromage râpé et de jambon pour un repas ultérieur. L'ajout de beurre attestant que la matière venait à lui manquer désormais.

Le pain viennois, le grand frère du croissant, quant à lui, après une valse hésitation qui le vit presque disparaître des paniers de pain, retrouva un peu de vitalité en faisant une éruption de pépites de chocolat. Il connut dans le même temps une crise de décroissance, sa longueur tendant à raccourcir inversement à son prix.

Toute cette joyeuse troupe de viennoiseries permet de comprendre que le consumérisme moderne au lieu d'honorer la multiplication des pains de notre seigneur Jésus Christ, se contente de multiplier les grandes surfaces boulangères, les officines de la décongélation et des produits à la durée de vie limitée à la seule journée de naissance. Le véritable artisan boulanger n'a plus qu'à se contenter des miettes.

À contre-mie.


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