Quel nom pour les non aux élections présidentielles ?

par Jean-Michel Aphatie
lundi 12 septembre 2005

On reparle beaucoup, ces jours-ci, du référendum européen du 29 mai dernier. Philippe de Villiers, Olivier Besancenot, José Bové, d’autres, veulent tous entretenir la flamme du « non » et chacun envisage, pour cela, d’être candidat à, la prochaine élection présidentielle. Mais que sait-on exactement à propos de ce référendum ?

On sait qui a perdu : le camp du "oui". On sait qui a gagné : le camp du "non". Mais à l’intérieur du camp du "non", comment se répartissent les forces entre gauche et droite, d’abord ? A l’intérieur de chacune de ces familles, ensuite ? Pour l’instant, aucune réponse conséquente n’a été apportée à ces questions. Pour tenter d’y voir clair et de mettre à jour le rapport des forces à l’intérieur du camp des "non", il est intéressant de comparer le premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2002 avec le scrutin référendaire du 29 mai 2005.

Première constatation : le collège électoral est à peu près identique. 28,498 millions de Français avaient voté en 2002. Ils ont été 28,257 millions à voter trois ans plus tard. La correspondance des chiffres a quelque chose de frappant. Le 29 mai 2005, 12,808 millions de Français choisissent le "oui" et 15,449 millions le "non". Toute la question est donc de savoir comment se décompose cette masse du "non". Pour cela, il est intéressant de se reporter aux résultats du premier tour de la dernière élection présidentielle.

C’était le 21 avril 2002, on s’en souvient. Ce jour-là, 4,804 millions de votants choisissent Jean-Marie Le Pen et 667.000 Bruno Mégret. On atteint ainsi le total de 5.471 millions de voix au profit de l’extrême-droite. Il est donc crédible d’imaginer que cette masse se retrouve dans les résultats du 29 mai dernier, ce qui fait de l’extrême-droite la première force du "non". La seconde paraît être l’extrême-gauche. 1,630 million de suffrages pour Arlette Laguiller, 1,210 pour Olivier Besancenot, 132.000 voix pour Daniel Glukstein : 2,972 millions de voix portent cet extrême à un niveau qu’il n’avait jamais connu depuis l’après-guerre et dont on peut penser qu’il s’est retrouvé, à une hauteur similaire, dans les urnes du référendum. En 2002, Jean-Pierre Chevènement, candidat à la présidence de la République, réunissait sur son nom 1,518 million d’électeurs. Ceux-ci, séduits par son discours républicain, ont dû logiquement voter "non", tout comme les électeurs de Jean Saint-Josse, 1,204 millions de votants il y a trois ans, défenseurs de la "chasse et des traditions" et pour cela résolument et durablement hostiles "aux fonctionnaires" de Bruxelles.

Cinquième force organisée dans le "non" du 29 mai 2005 : le parti communiste. En 2002, son candidat, Robert Hue, réunissait sur son nom 960.000 votants, soit trois fois moins que le total d’extrême-gauche. Sur cette base, Marie-George Buffet, actuelle dirigeante du PCF, aurait bien moins d’importance que ne le suggère, par exemple, sa présence médiatique durant la campagne référendaire. Récapitulons : extrême-droite, plus extrême-gauche, plus électorat chevénementiste, plus les "chasseurs" de Saint-Josse, plus les communistes : le total culmine à 12,125 millions de voix sur un total de 15,449 millions de "non". Ajoutons encore l’électorat de deux candidates de l’élection présidentielle, la radicale de gauche Christiane Taubira et la catholique de l’UMP Christine Boutin (respectivement 660.000 et 339.000), qui appelaient toutes les deux à voter "non" le 29 mai dernier, et on parvient à un total potentiel des "non" de 13,124 suffrages. Pour verrouiller la démonstration, une dernière opération est nécessaire. 15,449 millions de "non" moins 13,124 millions de voix issues des divers électorats du 21 avril 2002 : il reste à attribuer 2,325 millions de voix. Lors de l’élection présidentielle, il y a trois ans, Lionel Jospin recueillait 4,610 millions de voix. S’il est admis que lors du référendum du 29 mai, l’électorat socialiste s’est coupé en deux, on peut admettre que le reliquat d’environ 2,3 millions voix permet d’identifier de manière correcte la division de l’électorat socialiste représenté, entre autres, par Laurent Fabius.

En résumé, et en s’appuyant sur le précédent de l’élection présidentielle de 2002, il paraît juste et fondé de dire que le Front national est la première force du "non" au traité constitutionnel européen. L’extrême-gauche représente la deuxième force, l’électorat socialiste la troisième, le nationalisme de gauche la quatrième, le villièrisme des traditions et de la chasse la cinquième, le parti communiste la sixième. Ainsi, s’il est juste de dire que le "non" a gagné lors du dernier référendum, il n’en apparaît pas moins difficile, sinon impossible, de fonder aujourd’hui une candidature à l’élection présidentielle sur cette victoire, tant les forces qui se sont retrouvées à un moment dans les urnes apparaissent émiettées et contradictoires.


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