Une cuisine à ménager

par C’est Nabum
vendredi 21 juin 2024

 

Conseils de prudence.

 

Je ne sais pourquoi mais je ne cesse de recevoir de curieux appels et parfois des messages m'invitant à ménager ma cuisine. J'avoue y perdre mon latin tout en m'interrogeant sur les motivations de ces intrusifs correspondants. Les algorithmes de la surveillance numérique se préoccuperaient-ils de ma santé et de ma manière de m'alimenter ?

J'ai pourtant des doutes quand je vois leurs conseils, les coups de cœur qui surgissent inopinément pour des enseignes qui me font tirer au cœur. Que veulent-ils donc m'imposer ces bons conseilleurs qui ne sont jamais les payeurs ? De faire, comme nombre de mes semblables, appel à des esclaves à bicyclette pour m'apporter de quoi me sustenter tout en aggravant ma santé ? Il est permis de se demander pour qui roulent ces annonceurs de la malbouffe véhiculée.

Ma cuisine serait donc à ménager en prenant sans doute des pincettes pour en sortir les plats du four et en mettant des gants dans le choix des ingrédients. Non seulement il convient de mettre 5 fruits et 5 légumes chaque jour mais qui plus est d'éviter le gras, le gluten, la charcuterie, la viande rouge, l'alcool et le pain blanc. Un casse-tête sans que nul ne songe à ménager la ménagère ou bien le petit mitron.

Il me vient alors une curieuse pensée. Cette injonction publicitaire n'est-elle pas tout simplement un appel à une modération énergétique d'envergure. Ménager sa cuisine ce pourrait être une volonté ministérielle de réduire l'impact énergétique de nos préparations. Le four, qu'il soit à gaz ou bien électrique est un gouffre tandis que le mijotage dépasse les bornes. Le cru va s'imposer dans un contexte de crise qui doit impérativement modifier nos pratiques.

C'est ainsi qu'effectivement ma cuisine sera ménagée au point de la rendre caduque. Les annonceurs n’ont seulement pas inventé l'eau chaude mais ils veulent l'éradiquer comme nombre des préparations qui font pourtant le bonheur des marmitons en ligne. Tant de ménagement évitera ainsi de faire le ménage dans ce nid à microbes et à bactéries que constitue une cuisine dans une demeure. C'est donc une nouvelle étape dans l'hégémonie de la dictature sanitaire. Je n'avais pas tout compris !

Comme de plus il convient de ménager sa monture, de privilégier la marche à pied tout en affrontant des trottoirs sous la coupe hégémonique des engins nucléaires de toute nature, je me demande ce qui va me rester pour me creuser l'appétit avant que de passer à table. Je pourrais bien me faire une petite selle d'agneau, un vol au vent, un éclair au café, un Paris Brest à la condition d'emprunter un transport en commun mais tout ceci ne me ferait guère avancer dans le management du ménagement de ma cuisine.

J'ai beau faire le tour du problème, je ne perçois pas la nécessité de cette consigne. Suis-je donc mis au placard pourvu qu'il s'ouvre sur roulement à billes ? Voilà bien la seule certitude de l'opération promotionnelle qui me harcèle à longueur de repas. Car, il faut leur reconnaître la pertinence et la subtilité de leurs dérangements intempestifs : « ça se passe toujours quand je suis à table ! »

C'est donc que tous ces gens, installés sur des plateformes entendent me prendre pour une bille, un mouton bon à tondre, un pigeon à plumer, un consommateur prêt à plonger dans un crédit sans fond, un pauvre andouille qu'il faut détrousser… J'aimerais en appeler à ce qu’il leur reste d'humanité et qu'ils prennent enfin en considération mon désir d'être ménagé quand je suis tranquillement dans ma cuisine à l'ancienne. À toujours me mettre ainsi sur le grill, ils provoquent en moi une colère qui loin d'être froide met mes nerfs en ébullition.

Il est vrai que la soupe à la grimace n'a nul besoin d’appareils électroménagers et d'équipements du dernier cri pour vous mitonner à petit feu, une belle crise de nerf.


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