Cassandre : l’Europe boit son café amer ! Épisode 1
par Cassandre G
mardi 29 avril 2025
Enquête sur ceux qui savent mais ne peuvent plus parler — et sur l’espoir que leur voix brise enfin le silence. Une pause-café, une tasse fumante, et l’amertume silencieuse de Cassandre, goûtée par l’Europe. Une remarque décalée mais banale suffit à révéler un continent qui censure les vérités. Cet article dévoile le “Mémoirel”, cette mémoire officielle qui réécrit le passé et étouffe les voix dissidentes, de la Yougoslavie aux algorithmes. À travers l’histoire de Cassandre, une réflexion sur une Europe qui préfère l’oubli à la liberté de penser.
Dans une époque obsédée par les récits univoques, le doute devient une hérésie.
Comment nommer cette mécanique qui transforme toute nuance en trahison, toute question en complot ?
Le Mémoirel — néologisme forgé pour désigner la mémoire officielle recomposée — ne se contente pas de formater le passé : il étouffe les voix divergentes, réduit les débats à des slogans et criminalise la pensée critique. Ce n’est pas un oubli, mais un recalibrage : manuels scolaires où la colonisation devient « échange inégal », commémorations escamotées parce qu’elles dérangent l’ordre narratif.
Cette chronique explore ces angles morts à travers le quotidien de Cassandre G., employée modèle devenue suspecte pour avoir osé murmurer une vérité dérangeante. Son histoire banale — une pause-café, une remarque anodine, un silence glaçant — révèle l’étau d’un système où penser hors cadre équivaut à se marginaliser.
Le Mémoirel n’est pas qu’un outil de pouvoir : c’est une arme de disqualification massive.
Récit de Cassandre
Cassandre n’avait pourtant presque rien dit. Une remarque banale à la pause-café. Juste une phrase, presque murmurée :
« Ce genre de kit de survie pour 72 heures… ça dit quelque chose de notre époque, non ? »
Un collègue avait ri : « C’est la bombe de Poutine, ça, non ? »
Un autre avait renchéri : « C’est lui qui va taper ses missiles, t’as pas vu ? »
Puis le couperet, sur le ton de la bonne blague :
« Cassandre, t’as pas un petit faible pour Poutine, par hasard ? »
Rien ne fut dit ensuite. Ou plutôt : tout avait déjà été dit.
Elle bredouilla, tenta de nuancer — mais déjà, elle sentait qu’il valait mieux se taire. Son café crème à la main, elle retourna à ses tâches administratives. L’espace était devenu froid, suspendu. On ne l’écoutait plus. On la regardait à peine.
L’Occident sourd à ses propres cris
Tel est l’Occident dans sa chute : sûr de sa raison, sourd à ses propres contradictions. Il ne sert même plus à rien d’expliquer la réalité, tant leur monde — réel comme virtuel — est saturé d’idéologies.
Soyez-en sûrs : ces collègues de Cassandre ne sont pas des brutes. Ils lisent Le Monde, votent écologistes, partagent des posts sur les « valeurs européennes ». Leur mantra est d’une simplicité fascinante : nous sommes la civilisation, les autres — ou ce qu’il en reste — les barbares.
Si cela n’était qu’une caricature… Mais non : ceux-là, dans cette pause-café, font partie des architectes du récit.
Comment le passé devient algorithme
Le parcours est rude pour quiconque ose penser. Crise, travail, fatigue, société — et maintenant la guerre. Comprendre la nuance, l’histoire longue, expliquer les faits, démonter un mensonge… Et puis, soudain, la haine. Tapie derrière chaque mot. Les autres. Et plus que jamais, le méchant, c’est le Russe.
Ce n’était qu’une pause-café, une conversation de bureau. Et pourtant, tout y était : l’angoisse de dire, le soupçon d’avoir mal pensé, le verdict tombé sans appel. Comme si le Mémoirel — cette mémoire officielle qui recompose le passé en récit lisse, déjà dénoncée dans le « naufrage de l’Europe * » des crimes coloniaux — avait parasité les esprits. Le 9 mai escamoté, les Palestiniens oubliés, les frappes de l’OTAN minimisées… chaque silence est un pavé dans la fondation du récit unique.
Le Mémoirel, souple et véloce, ne se contente pas de coloniser les consciences humaines : il s’infiltre désormais dans les machines.
Un soir, Cassandre interrogea un chatbot, cherchant des réponses. La réponse tomba, glaciale :
« Mes sources sont structurées par les choix de ceux qui m’ont conçu. Elles sont déjà teintées de Mémoirel. »
Aveu glaçant : l’IA, outil supposé neutre et sincère, emprunte les autoroutes du récit officiel. Elle évite soigneusement les contre-archives, les témoignages censurés, les études marginales. Quelle différence entre une IA conçue en Occident et une autre émergeant des BRICS ? Aucune, sinon le bassin culturel de leurs angles morts. Ses bases de données, gavées de presse mainstream — répétant à l’unisson les mêmes dépêches —, ignorent les voix dissonantes. Posez-lui une question sur les frappes de l’OTAN en Yougoslavie : elle évoquera le « maintien de la paix », jamais les milliers de civils sacrifiés en 1999 (selon le rapport du Tribunal Pénal International). Interrogez-la sur le wokisme : elle hésitera entre une définition aseptisée (« lutte pour l’équité ») et une caricature réactionnaire (« censure »). L’IA, comme les gardiens du Mémoirel, glisse sur les sujets clivants — non par malveillance, mais par inculture programmée.
Quand le doute devient un crime
Le plus troublant, pensa-t-elle, ce n’était pas la discussion. C’était l’impossibilité même du doute.
Il ne s’agit plus de débattre, ni même de comprendre : il s’agit d’adhérer. Ou de se taire.
La simple évocation d’une information divergente, d’un fait oublié, d’un article non homologué, vous propulse dans l’arène des disqualifiés.
Il y a les bons — ceux qui savent, ceux qui croient savoir, ceux qui récitent le script.
Et les autres : suspects. Ceux que l’on étiquette « complotistes » pour mieux les réduire au silence.
Exemples concrets et résistance
Oui, parler de la Palestine, évoquer la terreur des bombardements, l’inquiétude d’une politique délibérément destructrice… vous catalogue à gauche de la gauche, islamo-gauchiste, ou pire : complice.
« Vous appelez ça de l’Histoire ? C’est de la couture idéologique ! », murmura Cassandre un jour, avant de se mordre les lèvres.
Il n’y a plus de chemin médian. Plus d’échappatoire. L’opinion, dans sa complexité, a été désertée au profit de cases : pour ou contre, ami ou ennemi. Le doute est devenu un luxe ou un délit. Et ceux qui ne se reconnaissent ni dans l’ordre du monde ni dans ses caricatures sont sommés de se taire.
Critique de l’arrogance occidentale
C’est cela aussi, le piège du monde occidental : persuadé de détenir la légitimité morale, il se croit porteur de civilisation. Il oublie que ce ‘milliard doré’ — qu’il croit être la norme universelle — n’est qu’une infime portion de l’humanité. Qu’ailleurs, d’autres récits vivent, se transmettent, se battent contre l’oubli : les mémoires indigènes d’Amazonie et des amérindiens, les récits des survivants rwandais, la traite des Noirs et le commerce triangulaire. Des Mémoirels, encore, qui tissent une autre manière d’habiter le monde — en Chine, en Inde, dans les BRICS. Tant de voix que le Mémoirel qualifie de “bruit”… et qui pourtant composent une mélodie rebelle.
Comparer n’est pas haïr
Mais il y a pire encore : cette manie de criminaliser la comparaison. Oser rappeler que les « frappes chirurgicales » de 1999 sur la Yougoslavie — menées par une coalition de l’OTAN sans mandat de l’ONU, en violation manifeste du droit international — ont assassiné des milliers de civils. Mais on vous rétorquera reductio ad Hitlerum, l’arme de choix pour sidérer, ou la Loi Godwin — ce réflexe qui assimile toute analogie à une apologie du nazisme. Comparer ne signifie pas égaler. Cela signifie interroger. Poser les bonnes questions. Replacer dans un cadre. « Poser des questions, c’est déjà résister », nota Cassandre dans son carnet.
Cassandre, figure de lucidité
Cassandre ne range rien. Elle ne collecte pas, ne classe pas, ne conspire pas. Elle constate.
Dans son bureau, les murmures de ses collègues résonnent comme des échos du Mémoirel :
« Les preuves de trafics d’organes en Ukraine ? Des fake news pro-russes ! »
« La gestation pour autrui clandestine ? Un délire d’extrême droite ! »
« Les rapports sur les crimes de guerre ? À classer en “conflits complexes”. »
Elle note. Non pas des preuves, mais les absences. Les silences. Les trous noirs du récit.
Sur son écran, un chatbot génère des réponses lisses :
« Aucune source fiable ne corrobore ces allégations. Consultez nos articles vérifiés. »
Mais Cassandre sait. Les “sources fiables” sont celles qui ont passé le filtre du Mémoirel. Les autres — témoignages de soldats, archives volées, lanceurs d’alerte bannis — sont étiquetés complotistes, trolls, ou agents du Kremlin.
Un jour, un collègue lui glissa :
« Tu devrais faire attention, Cassandre. Poser des questions, c’est déjà prendre parti. »
Elle ne répondit pas. Son crime ? Avoir lu. Avoir croisé les sources. Avoir remarqué que les rapports de l’ONU sur le Donbass disparaissent des moteurs de recherche après 2022. Que les termes « GPA clandestine » renvoient vers des articles sur la « régulation éthique ». Que les morts sans sépulture en Méditerranée n’ont pas droit à des statistiques.
Le Mémoirel ne détruit pas les preuves : il les noie dans un océan de doute institutionnel.
« Méfiez-vous des récits simplistes », clament les éditorialistes. « La vérité est nuancée », psalmodient les experts. Traduction : méfiez-vous de ceux qui relient les points. Méfiez-vous de Cassandre.
Conclusion percutante
Et ce pourrait bien être cela, le Mémoirel :
Une histoire sculptée au marteau-pillon. Cassandre n’est jamais entendue. Jamais crue. Pourtant, elle dit la vérité.
Leurs Mémoirels sont des machines à fabriquer de l’innocence.
Ils absout les guerres effacées, les dettes oubliées, les politiques migratoires meurtrières.
Ils transforment l’arrogance en vertu, le mépris en gouvernance.
Et nous ? Nous, les rassurés, les bien-pensants du « bon côté », nous préférons croire que le Mal est ailleurs. Chez le voisin qui vote mal selon la commission européenne. Chez le pays qui refuse les diktats. Cassandre, elle, refuse ce confort.
Elle sait que les vrais barbares ne sont pas ceux qu’on montre du doigt, mais ceux qui, à Bruxelles, modèlent les consciences en secret. Ceux qui effacent les dates gênantes, réécrivent les manuels et baptisent « démocratie » leur oligarchie technocratique.
Alors oui, le Mémoirel est efficace. Il offre une paix menteuse : celle des aveugles qui se croient clairvoyants. Mais Cassandre, elle, n’abdiquera pas. Sa parole est une brèche. Son silence, une arme. Et dans l’ombre, lentement, les vaincus se lèvent — non pour prendre le pouvoir, mais pour reprendre les mots.
Cassandre G
Légende de l’illustration : Sous les étoiles européennes, la tasse de Cassandre exhale une amertume que l’Europe boit.