Les Salariés, Source du Capital

par ddacoudre
lundi 2 juin 2025

 

Publié le 22 août 2019

Introduction

Le débat sur la fiscalité perdure depuis toujours. Les impôts font souvent l'objet d'une mauvaise presse, et nombreux sont les citoyens qui réclament une imposition plus forte du capital. Cette revendication conduit à dénoncer la diminution de la fiscalité applicable aux sociétés ainsi que les pratiques d'optimisation fiscale agressive ou de fraude honteuse. Mais ces critiques nous causent-elles réellement du tort ? Qui, en fin de compte, paie ces charges fiscales ? C’est ce que je vous invite à examiner de plus près.

Une Analyse Fragmentaire de la Fiscalité

Les économistes et les médias présentent souvent des analyses fragmentaires, en se concentrant sur quelques éléments isolés sans toujours replacer ces chiffres dans leur ensemble. Prenons l'exemple du taux de prélèvement  : il est calculé sur l'ensemble des revenus soumis à imposition, auquel on soustrait les sommes redistribuées sous forme de prestations sociales. Ce mode de calcul, qui relève d’un choix politique, semble logique puisque ces prestations dépendent elles-mêmes de prélèvements (bien que certaines indemnités restent elles aussi imposables).

Par ailleurs, les salaires des personnels du secteur public (du président aux élus, en passant par l’armée, la police, l’éducation, la sécurité sociale, les collectivités territoriales et autres services) sont financés en grande partie par les prélèvements qui constituent le budget de l’État et des collectivités. Ces mêmes personnels contribuent également, par leurs prélèvements, à financer l’ensemble du système. Autrement dit, on assiste à une sorte de double imposition ou, pour employer l’image, à un « impôt sur l’impôt », comme si ces agents se finançaient eux-mêmes en remboursant une partie des prélèvements perçus.

Le Schéma d’Ensemble d’une Entreprise

Pour illustrer ce propos, envisageons le cas d’école suivant :

Rémunération et Charges : Une entreprise verse 100 euros à un salarié pour un travail effectué, ce montant figurant comme charge dans le plan comptable.

Prélèvements sur le Salaire : Sur ces 100 euros, le salarié se voit appliquer la TVA, l'impôt sur le revenu, les impôts locaux et les cotisations obligatoires. Également des taxes aléatoires en fontion de sa situation sociale.

Prélèvements sur l'Entreprise : De son côté, l’entreprise est soumise à l'impôt sur les sociétés (IS), aux impôts locaux ainsi qu’à d'autres prélèvements de cotisations obligatoires, en plus de la TVA sur sa consommation de produits finis.

Pour l'ensemble de l'activité économique, ces prélèvements représentent environ 45 % du PIB, soit l'équivalent de 1 077 milliards d'euros en 2018 (source indicative d'après Les Échos). Dans ce schéma, l’entreprise agit véritablement comme un filtre  : toute l'activité économique traverse les structures de production réglementées par le plan comptable, d'où s'extrait le bénéfice individuel de ses propriétaires. On distingue ainsi l'entité juridique (ayant une personnalité morale) des citoyens, qui sont des personnalités physiques. Pour l'entreprise, les moyens de fonctionnement découlent exclusivement de la vente de productions issues du travail humain – et ce, quels que soient les intermédiaires technologiques ou autres comme les placement financiers.

La Formation du Capital et la Valeur du Travail Humain

La formation du capital repose sur la capacité d'échanger, qu'il s'agisse d'échanges volontaires ou contraints, en accumulant les produits du travail humain au fil des siècles. Ce concept peut être décliné en plusieurs notions  :

La Rareté : C’est la rareté qui a contraint l’homme à travailler pour produire ce que la planète ne fournit pas gratuitement. Déjà cela était connu de nos anêtres qui ont écrit comment ils le comprenaient dans la génèse de la bible.

L’Abondance et la production de masse : Paradoxalement, le désir d’abondance a aussi poussé à exploiter ses semblables et à développer la technologie complémentaire de l’économie d’énergie.

L’Universalité : Il n’existe aucun capital qui ne trouve pas son origine dans le travail humain, quel que soit le détenteur ou les modalités d’obtention (notamment via des rapports financiers).

Ainsi, il apparaît clairement que la richesse n'est pas créée directement par l'entreprise, la technologie ou même les moyens animaux  ; ils ne sont que des prolongements de notre capacité physique et intellectuelle auxquelles ils se substituent tant faire se peut.

Le Client et le Salariat

Le client d'une entreprise est essentiellement celui qui dispose d’un revenu, un moyen d'échange façonné par l'histoire. Le salariat représente le point de bascule majeur dans l'émancipation des humains qui, autrefois, étaient asservis.

Naissance du Salariat : À partir de 1804, les détenteurs du capital ont consenti à rémunérer les individus qu'ils tenaient auparavant dans l'asservissement. Ce changement à donné lieu au développement du socialisme en remplacement de la charité chrétienne en occident.

Rôle dans l’Entreprise : Une fois salariés, ces individus deviennent non seulement les principaux acteurs de la production, mais également les clients essentiels de l’entreprise. En effet, ils achètent les biens et services qu'ils contribuent à produire grâce aux salaires qu’ils perçoivent.

Une Circulation Simple

Je présente ci-dessous de manière schématique comment le capital, en versant un salaire, génère un enchaînement de flux monétaires qui, en fin de compte, font peser le coût des prélèvements sur le salarié lui-même.

La Circulation du Salaire et des Prélèvements

Versement du Salaire. Le capital verse un salaire pour rémunérer le travail. Ce salaire est considéré comme la contrepartie de la production réalisée.

Le Rôle du Salarié en Tant que Client. Une fois perçu, le salaire est échangé contre les biens et services produits par l’entreprise. Ainsi, le salarié, qui reçoit son salaire, devient aussi le client qui achète le fruit de son travail.

Retour du Salaire au Capital. Par le biais de cet achat, le salaire retourne au capital, augmenté des besoins des propriétaires ayant investi dans l’entreprise. L’objectif premier de l’investisseur est de dégager des bénéfices et non de créer des emplois.

Le Cas d’École : Qui Paie l’Impôt sur les Sociétés (IS) et les Impôts Locaux (IL)

Prélèvements sur le Salaire du Salarié

  1. Supposons que le capital verse 100 unités de monnaie au salarié.

  2. Sur ce montant, le salarié est soumis à divers prélèvements obligatoires (TVA, impôt sur le revenu, cotisations sociales) qui s’élèvent à 45 %.

  3. Il lui reste alors : 100 – 45 = 55 unités pour acheter ce qu’il a lui-même produit.

  4. Prélèvements sur l’Entreprise

    • L’entreprise, quant à elle, est également soumise à des prélèvements : impôt sur les sociétés (IS), impôts locaux (IL) et autres charges de cotisations et taxes aléatoires.

    • Ces prélèvements s’élèvent, dans notre schéma, à 45 unités.

    • Ainsi, l’entreprise doit vendre le « salaire » qu’elle a versé à hauteur de 100 + ces 45 de prélèvements, soit 145 unités.

  5. Les Frais de Fonctionnement de l’Entreprise

    • Outre le salaire et les prélèvements, l’entreprise doit couvrir ses frais généraux (charges, structure, dividendes des actionnaires, etc.), estimés ici à 55 unités.

    • Le coût minimal de production devient alors : 100 (salaire) + 45 (prélèvements) + 55 (frais) = 200 unités. Le prix de revient.

  6. Calcul du Chiffre d’Affaires Nécessaire

    • Pour réaliser un résultat bénéficiaire net (après impôts) de 100 unités, l’entreprise doit générer un chiffre d’affaires total correspondant à :

      100 (salaire) + 45 (prélèvements) + 55 (frais) + 100 (bénéfice souhaité) = 300 unités.

    • Autrement dit, l’entreprise doit vendre le travail de son salarié pour 300 unités afin d’obtenir un bénéfice de 100. Le prix de vente au client.

  7. Contribution des Employeurs/Actionnaires

    • Les employeurs ou actionnaires, recevant ce résultat de 100 comme revenu, paieront, à leur tour, divers prélèvements (TVA, impôt national, impôts locaux, etc.), par exemple environ 40 unités.

  8. Total des Prélèvements Financé par le Salarié-Client

    • Sur un chiffre d’affaires de 300, l’État et les collectivités prélèvent au total :

      45 (prélevés sur le salarié) + 45 (prélevés sur l’entreprise, incluant IS et IL) + 40 (prélevés sur les revenus des employeurs/actionnaires pour tous les prélèvements obligatoire) = 130 unités.

    • Ces 130 unités servent à rémunérer les services publics, les indemnités des élus et divers frais fonctionnels, en d’autres termes, nous « achetons » les services de l’État et des collectivités.

L’Intermédiaire qu’Est l’Entreprise et l’Impact sur le Salarié

  1. Double Contribution du Salarié

    • Le salarié verse directement 45 unités en prélèvements sur son salaire.

    • Puis, lorsqu’il achète le produit final de l’entreprise (vendu à 300 unités incluant IS et IL), il contribue indirectement à financer ces mêmes prélèvements.

    • Au total, de manière directe et indirecte, il finance 45 + 45 = 90 unités.

    Effet de l’Emprunt sur le Salarié

    • Le salarié, qui ne dispose que de 55 unités (après prélèvements sur 100 initiales), doit emprunter pour acheter un produit vendu à 300 unités.

    • En tenant compte des paiements indirects (ajouter environ 45 + 40 = 85 unités), on peut estimer que le salarié se retrouve en situation déficitaire par rapport à la valeur d’échange de son travail.

    • Par exemple, s’il doit emprunter pour combler la différence estimée à 245 unités « 300 - 55 », avec un taux d’intérêt de 20, il remboursera 245 + 20 = 265. Ainsi, le coût final pour obtenir la valeur correspondante à son travail se monte à 300 + 20 = 320 unités.

    • Dans le schéma où le salarié n’emprunte pas c’est la productivité qu’il devra fournir pour que le prix de sa production soit de 55 unités. Celle-ci sera égale à 300 divisé par 55 = 5,45 de productivité.

    Conclusion sur la Répartition

    • Le schéma démontre que, finalement, c’est le client salarié qui paie l’essentiel des prélèvements (impôts et charges).

    • On en déduit que l’entreprise ne sert que d’intermédiaire pour transférer le salaire et les prélèvements vers le trésor public, de la même manière que la TVA est collectée.

Remarques sur le Prix et le Pouvoir d’Achat

Bilan Final

En résumé, nous avons observé ci dessus que l’entreprise, loin de payer elle-même l’impôt, agit comme un filtre elle fait les avance d’un fardeau qui sera redistribuer sur le salarié client, qui, par son achat, finance le coût global du système fiscal et autres. En définitive, c’est le client salarié qui, directement et indirectement, achète l’ensemble des prélèvements nécessaires au fonctionnement de l’État et des collectivités ou le budget de la Sécu.

Quelques valeurs indicatives : sur 28 millions d’actifs, 26 millions sont salariés, dont environ 5 millions travaillent dans les services publics et pour les collectivités.

Argumentation Économique : je tâche de démontre de manière critique la manière dont le salarié, à travers son salaire et ses dépenses, finit par financer l'ensemble des prélèvements, y compris ceux qui sont, de prime abord, supportés par le capital ou l’entreprise. Ce point de vue intéressant n’est pas celui qui se développe dans les débats économiques. Nous en sommes toujours resté à l’analyse de la Boètie, comment la classe laborieuse reste aux ordres du tyran « le capital » avec leur aval.

Aspect Critique et Moralisateur : Je critique fortement certains discours des capitalistes et remet en question notre « vulnérabilité intellectuelle  » que je qualifie souvent d’inculture écnomique face au système fiscal actuel. Si je porte des jugements trop abrupts, ce n’est pas pour quelque mépris que ce soit envers une classe laborieuse pour laquelle je milite toujours, ni pour « manger du patron » dont les innitiatives ont toute leur place dans la société mondiale. Je tâche seulement de froisser notre égo surdimentionner par le confort de nos innovations et sciences, dont la lutte contre la rareté pour survrivre est le résultat de notre inné que nous croyons avoir enfoui.

En conséquence, seuls environ 21 millions d’actifs financent, à peu près, l’ensemble du système. Ce schéma est certes caricatural, car de nombreuses variations existent, mais l’idée essentielle reste irréductible.

Le salarié perçoit, par exemple, 100 unités de salaire, dont 45 % de charges et de prélèvements, ce qui lui laisse 55 unités pour acheter ce qu’il a lui-même produit – un travail qui, en fin de compte, lui sera revendu à hauteur de 320 unités. Ces 320 intègrent notamment les impôts sur les sociétés, lesquels font l’objet d’optimisations fiscales, d’évasions ou de fraudes.

Si l’on suit ce cheminement, c’est bien les salariés, par le biais de leur salaire et de leur recours à l’emprunt, qui ont financé une partie de ces phénomènes d’évasion ou de fraude fiscale. Il ne s’agit pas du travail de l’entreprise, mais du travail effectif réalisé par le salarié.

On peut concevoir que ce schéma serait évident pour un enfant de 12 ans s’il était présenté ainsi : qui finance l’évasion fiscale, et à qui profite-t-elle ? Aucun salarié ne peut réellement « acheter son travail », quelle que soit la rémunération perçue. L’organisation économique n’est pas conçue pour que le salarié en bénéficie, mais pour qu’il soit exploité.

Ce constat s’applique même dans le cas des stars – comme celles du football – dont le club revend le salaire à ses supporters et aux chaînes de télévision (qui, à leur tour, revendent ce service à leurs abonnés ou aux publicitaires). Ces intermédiaires intègrent leur coût dans le prix du produit final du travail du salarié, le revendant même à des consommateurs non-fanatiques.

Quel que soit l’élément ou le groupe d’éléments analysé, la relecture de l’ensemble nous ramène toujours au salarié-consommateur qui produit. Pour connaître la valeur monétaire référentielle de son travail, on peut diviser le PIB par le nombre total d’actifs salariés (ici 21 millions). Par exemple, en 2018, un PIB d’environ 2,660 billions de dollars US pour 21 millions de salariés équivaut à environ 127 000 dollars US, soit 114 300 € par salarié.

Si l’on prend en compte l’ensemble des actifs (24 millions), cela donnerait en moyenne 114 000 € par actif. On voit ainsi que, noyé dans la masse, le travail de l’actif salarié ne semble pas être déterminant. Mais il s’agit ici uniquement d’une vision mathématique qui ne traduit pas toute la réalité, puisque les masses monétaires circulent et se forment en capital sans que les détenteurs ne souhaitent, ou ne puissent, en partager la totalité.

Sur l’évasion fiscale

L’évasion fiscale est estimée entre 25 et 100 milliards d’unités, dont seulement 16 milliards seraient récupérables. Même si ces estimations manquent de précision, lorsqu’on rapporte ces chiffres aux 21 millions de salariés, cela représente entre environ 1 190 et 4 761 € par salarié, à comparer aux 114 300 € de production de richesse par actif.

Ce que l’on peut en déduire, c’est que l’évasion fiscale ne bénéficie pas directement à la collectivité publique : quel que soit son usage, elle est financée par le salarié et retourne au capital. Ces comparaisons illustrent, sans mesurer exactement les inégalités, l’ampleur du déséquilibre entre les revenus – même au sein des employeurs actifs.

Dernier point : la personnalité juridique des entreprises

La notion de personnalité morale (SA) est particulièrement ironique pour des entreprises qui exploitent leurs salariés. Ce mécanisme permet aux entreprises d’externaliser leur passif sur le plan personnel et de masquer, en cas de pénalités juridiques, qui paie réellement. Par exemple, si, au nom du CETA, une entreprise réclame des dommages-intérêts à l’État, on sait alors précisément qui en supportera le coût.

Depuis 1976, j’ai intériorisé ce schéma quand un employeur m’avait dit : « Je veux bien te payer un million, si je peux te revendre ce million. » Alors, pourquoi ceux qui accumulent la richesse nationale sont-ils incapables de réclamer leur dû  ? Sommes-nous, au final, irrévocablement des crétins ?

Cela nous interroge sur l’usage de nos capacités d’analyse et de réflexion. Comment des citoyens instruits – appartenant aux élites intellectuelles – peuvent accepter l’exploitation flagrante que même un enfant de 12 ans comprendrait ? Pourquoi ne comprenons-nous pas nous-mêmes cette incohérence ?

Comment continuer à réclamer des salaires qui, de fait, sont rachetés au double ? Comment accepter qu’entreprendre confère le droit d’exploiter autrui ?

La question qui tue est la suivante : comment une planète entière peut-elle accepter cet état de choses sans se révolter ? Ce questionnement ne relève pas uniquement des mathématiques, mais bien de notre organisation psychique et émotionnelle, de notre identité en tant qu’êtres humains.

Chacun pourrait refaire ce cheminement avec des taux de prélèvements exacts, mais c’est un casse-tête chinois sur lequel triment les ordinateurs du fisc et du trésor public, bien au-delà de mes capacités et de ma calculette.

Tout ceci ne remet pas en cause la place des « découvreurs » ou des entrepreneurs, mais souligne que leur rôle ne s’inscrit que dans une organisation collective nourrie par une recherche atavique d’abondance, qui ne peut s’opérer sans une analyse historique.

C’est cette même recherche de la facilité, du moindre effort, qui nous conduit à n’être que des salariés exploités ou des entrepreneurs habiles, capables de cumuler l’abondance.

J’espère que nous comprendrons que notre organisation est avant tout culturelle et que la capitalisation de toute chose ne repose pas sur une valeur intrinsèque, mais sur un imaginaire nourri par un atavisme inné.

 


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