À en perdre la face ...

par C’est Nabum
mardi 31 octobre 2023

 

Sa soupe à la grimace.

 

Une citrouille se creusait la caboche afin de tenter de comprendre l'étrange sort qui lui était dévolue en cette période de l'année. Elle qui avait mobilisé toute son énergie pour croître et se préparer à faire le délice des gourmets, comprenait amèrement qu'elle s'était affreusement leurrée sur sa destinée.

Elle avait bien entendu dans le potager de curieux propos émanant de légumes vivaces qui déblatéraient à son sujet ce qu'elle prit pour des sornettes motivées, elle n'en doutait pas un seul instant par la malveillance, des tubercules et des légumineuses aux paroles acerbes. Les vilaines langues de vipère n'avaient de cesse que d'envier le sort qui lui était promis, déclarant avec une pointe de jalousie dans la voix, qu’elle au moins ne passerait pas à la casserole.

Si la citrouille avait déployé tant d'effort c'était justement pour finir en potage ou en purée, éventuellement, avec un peu de chance, achever son existence dans une tarte ou un consommé. Elle n'envisageait nulle autre perspective à ce qui avait depuis sa naissance, constitué sa raison de pousser. Elle en voulait à ces méchants qui la montraient de la feuille en propos acides dénués de la moindre douceur.

Elle avait surpris des remarques qui prétendaient qu'elle serait de mèche avec le jardinier, couvée du regard par ses enfants, placée dans le meilleur coin du jardin, en bordure du chemin, afin d'être exposée à la curiosité des passants. On la traitait d’orgueilleuse et de coquette, jugeant que tout en elle n'était qu'apparence et faute de goût. Toutes ces remarques la laissait froide, elle ne pensait pas si bien dire.

Seules les carottes se montraient compatissantes avec elle. Certaines même lui vouaient une admiration sans borne, elles étaient véritablement fanes de ce merveilleux cucurbitacée, se parant de la même couleur qu'elles. Elles prétendaient cependant, avec une petite touche de nostalgie que la citrouille n'était pas tributaire de la météorologie pour briller en société alors qu'elles, victimes du réchauffement climatique, espéraient peut-être vainement la chute de la neige.

La citrouille quoique pas sotte ne voyait pas le rapport entre la météo et sa destinée. Une oie qui passait par là lui glissa qu'elle devrait avoir un œil sur le calendrier, car tout comme pour elle, c'est lui qui faisait peser une lourde menace sur leurs têtes. La remarque laissa coite notre citrouille qui se demandait pourquoi on se payait ainsi sa tête…

Elle fit une grimace, ce qui lui fut fatal. Elle venait de décider bien malgré elle de son sort. Ses voisines demeurées placides partaient une à une dans l'antre de la cuisinière pour devenir ce pourquoi elles étaient cultivées. Mais elle, tomba sous les coups sournois du couteau du jardinier qui se prenant pour un sculpteur, lui façonna une drôle de trombine, les enfants de l'artiste en herbe s'exclamant avec enthousiasme devant les travaux de leur géniteur.

La citrouille se vidait de l'intérieur tout en se trouvant affublé d'un sourire et de trois orifices qui lui rappelaient le visage de son bourreau. Plus terrifiant encore, elle reçut dans le vide de sa pulpe martyre, une bougie allumée qui la mit au supplice, alors que la nuit tombait sur le jardin. Elle comprit alors qu'elle était devenue l'objet de toutes les attentions, la reine d'une fête où l'on se payait sa pomme.

Nous étions la nuit de la Samain qui fait le pont entre le 31 octobre et le 1er novembre, quand autrefois, on honorait les défunts en leur offrant des pommes. La citrouille qui à l'époque n'avait pas encore mis ses racines en Europe, ne pouvait participer à cette célébration celte qui devint par une insipide imposture consumériste la pitoyable nuit Halloween. La citrouille perdait ainsi sa mission première pour se contenter d'une affreuse soupe à la grimace illuminée.

À contre-emploi.


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