Le lapin mange son chapeau

par C’est Nabum
lundi 1er mai 2023

 

Du cuniculus au spectacle.

 

Un lapin blanc coulait des jours heureux dans son terrier. Il vivait sa vie de rongeur sans se soucier des contingences de ce vaste monde dont il ignorait tout. Il avait bien lui quelques sornettes à propos du sort que les humains réservaient à ses semblables mais il doutait de leur véracité. Au fond de son trou, quoique bien blanc, notre lapin était un sceptique indécrottable.

L'existence réserve bien des surprises pour peu qu'on mette le nez ou le museau dehors. C'est ce qu'il advint donc à notre Jeannot qui un jour s'en alla quérir sa chance en dehors de son périmètre de confort. Il était parti à l'aventure, la fleur à la boutonnière, espérant trouver une âme sœur pour fonder une famille et prolonger ainsi la grande chaîne de la vie.

Au lieu de quoi ce fut un filet qui s’abattit sur lui. Une épuisette, instrument totalement déplacé au milieu de cette garenne, tenu par un individu plus habile avec une baguette qu'avec un manche. L'individu en question, Jeannot le découvrit bien vite, était un prestidigitateur en quête de renouvellement. Il était venu dans ce coin perdu dans l'espoir d'attraper une colombe et jeta son dévolu par défaut sur notre malheureux rongeur.

Bien vite, Jeannot découvrit un tout autre univers, celui des strass et des paillettes pour un emploi somme toute relativement tranquille. Il lui suffisait de pointer de temps à autre sa tête en dehors d'un chapeau haut de forme pour déclencher un tonnerre d'applaudissements. Hélas, mille fois hélas, il se faisait alors tirer les deux oreilles afin de pendouiller lamentablement au bout du bras de son partenaire, s’agitant grotesquement dans le vide.

Jeannot avait bien élevé quelques protestations sur ce traitement détestable en premier lieu à ce Mandragore qui faisait la sourde oreille à ses récriminations. Par dépit, il se résolut à écrire à un organisme de défense de la cause animale mais son écriture faites de pattes de mouches ne fut pas décryptée. Il dut se résoudre à accepter son triste sort.

Tout aurait dû continuer ainsi dans une vie qui pour Jeannot avait perdu tout son charme. Un changement intervint dans l'existence du magicien qui fit basculer totalement le cours des choses. Mandragore obtint un contrat avec un cirque qui avait la particularité d'évoluer en plein air. Jeannot au début fut enchanté de ce changement, retrouvant de ci de là les parfums qui avaient enchanté son existence.

Rapidement il se heurta à un impondérable qui lui resta sur le râble. Notre lapin blanc, en bon albinos qu'il était sans le savoir, découvrit que les rayons du soleil avaient un effet désastreux sur son pelage. Il souffrait mille morts et exigea que son employeur prît un peu plus soin de lui. Le temps avait passé, Mandragore au fil du temps et de cette relation professionnelle parvenait enfin à comprendre les messages de son partenaire.

Le prestidigitateur conscient du problème mit un bonnet de laine percée pour y laisser passer les oreilles à son collègue. Ce fut un succès pour le public qui a cette apparition désormais comique, riait aux éclats. Jeannot de son côté comprit bien vite que le bonnet n'avait qu'un maigre effet protecteur et qu'il faudrait envisager un autre couvre-chef.

Cette fois, le blocage eut lieu. Mandragore refusa catégoriquement l'éventualité d'une visière qui atténuerait singulièrement l'effet comique. Une puissante algarade opposa l'homme et son lapin. Devant ce refus qui mettait en cause son intégrité, Jeannot se tut avant que d'opter pour une mesure bien plus radicale. Sournoisement sans doute pour son partenaire, avec détermination pour cette innocente victime du spectacle vivant, il mangea son chapeau, du moins ce haut de forme symbole de son aliénation et prit alors la clef des champs sans demander son dû.

Depuis cet épisode resté dans l'ombre, l'expression malgré tout à fait le tour du pays sans qu'on en connaisse l'origine. Je ne voulais pas vous laisser dans l'ignorance et je l'ai sorti de mon chapeau à malice en guise de clou du spectacle. Quant au magicien, il changea son fusil d'épaule et fit disparaître sa nouvelle comparse après l'avoir coupée en deux. Est-ce sa moitié, l'histoire ne le précise pas !

À contre-trou.


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