Le pic vert rebelle

par C’est Nabum
samedi 23 mars 2024

Quel mauvais citoyen !

Il se trouve curieusement qu'un drôle d'oiseau que rien ne prédisposait à sortir du bois, se mit en action en ville lorsque les panneaux électoraux furent sortis. Le Pivert en question s'il avait la calotte rouge et le croupion jaune sous son plumage vert n'entendait pas que les humains se mêlent de l'évoquer à longueur d'affiche.

Est-ce la couleur de sa calotte qui le poussa ainsi à agir de la sorte ? Il est vrai que le rouge manquait singulièrement à l'appel depuis quelques temps dans les nuanciers électoraux. Chacun peut s'interroger sur le sens à donner à l'étrange comportement de celui que les colleurs d'affiche appelèrent bien vite le Jaune, tant pour la couleur de sa croupe que pour son comportement anti-civique à leurs yeux.

Les mauvaises langues y virent un complot fomenté par les ennemis de la démocratie, les francs-maçons ou encore le parti animaliste. La médisance va bon train dans pareil cas et chacun accuse son pire adversaire de la rage quand la raison ne trouve aucune explication recevable. Ironie du sort, le Pivert a la langue collante et eut tout aussi bien pu se mettre au service des militants plutôt que de détruire leur travail. Il eut suffi de se concilier les bonnes grâces de l'oiseau avec une attitude et un programme convaincant pour notre ami.

Hélas, il n'en était rien. En dépit du verdissement de tous les programmes sur l'échiquier politique, le bel oiseau voyait bien que tout ceci n'était que des paroles en l'air. Il n'est rien de mieux qu'un oiseau pour prendre la hauteur nécessaire pour juger de la sincérité du ramage de ceux qui vont à la quête des voix. En la matière, notre ami avait parfaitement saisi l'hypocrisie des postures de façade.

Alors d'un bec vengeur, il entendait frapper là où ça fait mal. Il avait remarqué que l’essentiel pour attirer le chaland et en faire un futur électeur était d'afficher la trombine de la tête de liste plutôt que d'évoquer le programme ou de présenter la joyeuse bande qui sollicitait les suffrages. Il s'en prit donc de manière symbolique à tous ces candidats qui s'exposaient ainsi à la vindicte animalière.

Lorsque les panneaux électoraux étaient en bois, ce qui devenait de plus en plus rare en dépit des postures en la matière des uns et des autres, l'oiseau au bec acéré et perçant, venait crever les yeux des premiers de la classe. Il pensait ainsi envoyer un message clair à l'humanité tout en incitant tout un chacun à ouvrir les yeux sur la terrible réalité.

Que nenni, il se trompait lourdement sur la capacité des humains à donner du sens à un comportement animalier. Le ministre de l’Intérieur, parfaitement outré de ce qui passait pour un attentat à la démocratie, évoqua la complicité d'écolo-terroristes qui passaient une substance mellifère sur les cibles afin d'attirer ce diable de volatile.

Le grand Freluquet en personne évoqua une tentative d'intimidation de la part d'une puissance étrangère que le président nouvellement élu pour la cinquième fois avait conçu pour faire diversion. Il considéra même un temps que c'était là une déclaration de guerre à laquelle il songea à donner suite.

Les diverses sensibilités politiques du pays firent dans une rare démonstration d'unanimité une déclaration commune pour s'élever contre cette manifestation scandaleuse qui démontrait à l'évidence que les honteuses campagnes de dénigrement du personnel politique avaient eu un effet condamnable dans la population, le Pivert n'étant que la matérialisation de ce courant de pensée.

Des humoristes s'étonnèrent quant à eux que l'animal s'en prenne aux yeux alors que chez les individus affichés, c'est la langue qui était de bois. Les représentants de la ruralité se réjouirent qu'un des leurs viennent ainsi rappeler leur existence dans un débat où les territoires étaient largement oubliés.

La presse nationale s'étonna que ce fut justement un Pivert qui était passé à l'action plutôt qu'un canard. Des citoyens plus lucides leur rétorquèrent que justement les canards étaient aux ordres des grands courants politiques et qu'ils ne se seraient jamais permis pareille critique de fond de cette mascarade électorale.

Le parti vert crut nécessaire de se lancer dans une campagne de communication pour démentir toute complicité avec l'animal. En dépit des apparences, il n'était pas envisageable d'établir une corrélation entre son plumage et le courant écologique. Les différents communiqués n'eurent d'ailleurs aucun écho dans l'opinion publique tant le bruit du bec sur les panneaux couvrait le message.

C'est alors que le mouvement s'amplifia puisque tous les oiseaux perceurs du pays se mirent à imiter leur collègue. C'est ainsi que le Tor- col fourmilier Jynx torquilla, le Pic cendré Picus ca- nus, le Pic Vert Picus viridis, le Pic noir Dryocopus martius, le Pic épeiche Dendrocopos major, le Pic mar Dendrocopos medius, le Pic à dos blanc Den-drocopos leucotos, le Pic épeichette Dendrocopos minor se mirent à attaquer toutes les affiches du pays.

Cela fit grand bruit et réveilla les consciences d'un électorat qui depuis trop longtemps s'était habitué aux simagrées de cette cohorte de professionnels de la politique. Prenant enfin leur destin en main, les citoyens volèrent dans les plumes de ceux qui leur mentaient à longueur de campagne. Ce fut une belle révolution.

Depuis le Pivert détrône le coq comme emblème d'une nouvelle République qui se prive désormais de confier son sort à des gens qui font métier de la chose. Le tirage au sort pour un mandat unique devint la règle et la cinquième République tout comme la Communauté Européenne furent rayées d'un trait de plume.


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