Les « influenchieurs »

par C’est Nabum
mardi 28 mars 2023

 

La lunette salutaire

 

Ils sont tapis dans l'ombre d'une toile où ils exercent leur pouvoir maléfique. À l'inverse de leur homologue « Influenceurs » patentés, rémunérés ou bien protégés, leur présence n'est pas pour plaire ni pour flatter. Ils ne caressent pas dans le sens du poil et relèvent bien plus du poil à gratter que de la patte de velours.

Ils ne sont jamais cités en exemple, on prétend même dans le microcosme local qu'on ignore tout d'eux et surtout que jamais, ô grand jamais, on ne s'aventure à consulter leur prose nauséeuse. On feint de ne pas les connaître, on omet de répondre à leurs questions avec une souveraine indifférence de bon aloi.

Contrairement aux chers influenceurs à qui on déroule le tapis rouge, ouvre les bonnes portes et facilite le travail, avec eux, c'est tout le contraire. Ils ne sont rien qui vaille, autant faire en sorte de ne jamais leur fournir la plus petite attention. C'est du moins la position officielle, une posture qui situe ses adeptes bien au-dessus de la mêlée et du commun.

Pourtant, quand un influenchieur lève un lièvre, dénonce un travers, pointe du doigt un dysfonctionnement, raille ou fait preuve de perfidie, il se passe toujours quelque chose après coup. Il n'est pas besoin de leur répondre pour leur montrer qu'en dépit des apparences, le message a été reçu. Peu de temps après la publication acide, un changement s'opère sans l'aveu d'une erreur ou d'une maladresse.

Les influenchieurs ont ainsi l'art de faire bouger les lignes sans que jamais on leur reconnaisse en haut lieu ce mérite. Discrètement, avec un temps de latence, sans avoir l'air d'y toucher, ce qui a été fort justement dénoncé, il trouve réparation, modification ou bien disparition. Il y a quelque chose de miraculeux dans ce tour de magie à coup d'internet.

N'allez pas croire qu'ils recevront des marques de reconnaissance. Cela est réservé à ceux qui savent flatter, mettre en valeur, diffuser et promouvoir l'action locale. Eux sont de perfides citoyens, voyant le mal partout, se gaussant certes parfois à juste titre, mais leur reconnaître la moindre utilité serait se déjuger en haut lieu. Car, ce qui est intangible dans un pouvoir de proximité, c'est son infaillibilité.

Les influenchieurs voyez-vous ne sont pas dupes de votre hypocrisie. Ils savent que ce qu'ils déversent ainsi à qui veut bien les lire, au bout du compte, même après des chemins tortueux, finit toujours par chatouiller qui de droit. L'essentiel pour eux est de toucher au but, non pas de recevoir des honneurs ou des privilèges. Du reste, ce serait les compromettre, un art qui ne manque pas d’adeptes chez les barons locaux.

Il est plus à se méfier des influenceurs que de leurs faux jumeaux. Si les seconds sont de mauvais diables, les premiers ne sont que des valets, des courtisans, des flatteurs et des flagorneurs. Ils sont pris au piège d'un système qui les a corrompus, les privant de toute liberté rédactionnelle. L'influenceur est au service tandis que l'influenchieur joue un rôle de lanceur d'alerte à l'échelle locale. En cela, il a véritablement une fonction de veille sur son territoire.

L'infuenchieur qui se respecte usera cependant d'humour ou d'ironie, de facétie ou de tact pour que ses flèches portent sans insulter, sans vulgarité ni grossièreté. Il peut tirer à boulet rouge, jouer de la farce pourvu qu'il conserve son nez rouge et la prudence qui sied pour ne jamais nommer ses cibles. C'est l'art de suggérer sans tomber dans la délation. L'influenchieur est à la toile ce que la lunette sanitaire est aux WC, une fenêtre ouverte et salutaire sur les déboires intestins d'une communauté.

À contre-vent.

 


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