L’été léger d’un vieux grincheux

par Bernard Dugué
mercredi 4 juillet 2012

 Le mois de juillet a commencé, il faut décréter l’été léger et inaugurer la rubrique dédiée aux billets d’humeur facétieuse ou même grincheuse, non sans quelques seconds degrés. Et même douze degrés de rouge, pour évoquer la venue de Herbie Hancock à Bordeaux dans le cadre du jazz and wine festival. Un concert prévu dans les jardins de la mairie de Bordeaux pour le 2 juillet. Si je vous cause de cet événement, c’est parce que, flânant à vélo en fin de soirée en ce premier lundi de juillet, quelle ne fut pas ma surprise que de découvrir une scène montée place Pey-Berland, juste à côté de la cathédrale, tournant le dos à l’entrée de la mairie. Et quelques costauds et autre roadies du spectacle intermittent de mettre en place des grandes barricades métalliques de deux mètres de hauteur afin de barricader l’espace dédié aux musiciens et aux spectateurs. Des rangées de sièges en plastique. Voyant cela, ma graine de jeune gauchiste contestataire est remontée à la surface et me voilà à discutailler en plaisantant avec les types, jouant le mec désinvolte qui trouve pas cool qu’on barre la ville et surtout la vue. Visiblement, l’un des gars, la trentaine, a semblé agacé, jugeant malvenue ma remarque alors que quelques barrières bâchées ne lèsent personne et que du reste, il fait son job et que si je veux assister au concert, je n’ai qu’à payer ma place 37 euros. Un autre gars à côté, plus âgé, cheveux long et look à la Iggy Pop, m’adressa un sourire complice. Chacun voit les choses à sa manière et je m’en suis allé, non sans avoir interpellé un autre gars qui collait des affiches et qui a joué le second degré en remarquant que les gens qui ont payé leur place auraient eu la soirée gâchée par d’improbable badauds venus écouter et voir gratos le roi du jazz, tout en signalant que les concerts ne sont jamais gratuits et qu’il espère être payé. De toute façon, je n’avais pas l’intention de reprendre mon vélo pour écouter ce jazz pour bobos et puis, les concerts gratuits, il y en a et prochainement, quatre bands sur scène à Talence le 19 juillet dans le parc boisé de Peixotto, sans compter le Crescendo festival de Saint-Palais où l’on pourra voir sur scène des formations très pointues et notamment les Suédois Anglagaard. De quoi rameuter mes souvenirs de jeune baba et là, que du bonheur, adieu les grincheuseries gauchistes que je laisse volontiers aux mélenchonistes et autres alter écolos jamais contents.

 

C’est donc devant la télé que je passais ma soirée, enfin, pas toute la soirée, juste quelques minutes, de quoi réveiller le grincheux qui sommeille en moi. Et c’est parti, je vais encore râler, cette fois sur les médias qui servent de l’émotion quotidiennement.

 

Vous m’emmerdez avec vos émotions

 

Il n’y a pas un seul jour sans que, allumant mon poste pour connaître les actualités, je n’entende cette exclamation, émotion ! Beaucoup d’émotion, que d’émotion, machin visiblement ému, oh que d’émotion parmi le public, émotion contenue et digne, aujourd’hui, beaucoup d’émotion pendant cette cérémonie d’hommage, de l’émotion parmi les participants, bidule visiblement ému a versé quelques larmes, c’est avec beaucoup d’émotion que les badauds et fidèles, séquence émotion, beaucoup d’émotion au collège après le drame, des spectateurs visiblement émus et puis merde ! ça commence à me gonfler ces louanges à l’émotionnel et ce constat d’émotion qu’il faut obligatoirement tracer dès lors qu’un événement joyeux ou tragique se produit et vient s’immiscer dans les médias. Autant vous le dire les yeux dans les yeux, à vous, les journalistes spécialisés en émotions, vous m’emmerdez ! Et de plus, vous emmerdez les gens, avec vos caméras et vos envoyés spéciaux qui viennent souvent troubler la paix et le recueillement de proches affectés par un drame. Finalement, ce sont les journalistes qui amplifient l’émotion et s’en servent pour remplir les journaux télévisés. Après, on s’étonne que les gens aient besoin de cellules psychologiques et d’anxiolytiques.

 

Pourquoi servir des émotions, comme si c’était le lot quotidien d’un JT normal. J’en ai rien à cirer des émotions après une tragédie qui ne me concerne pas et je ne vois pas pourquoi je devrais me mettre aux côtés des victimes et larmoyer. Merde ! Quand un petit drame arrive près de chez moi, je suis affecté en silence et aucune chaîne ne vient mettre en spectacle mes émotions et du reste, je ne le souhaite aucunement. Et les émotions de ce gugusse décoré aux oscars, qu’est-ce que ça peut me foutre, à moi, de partager cette joie qui récompense quelques postures jouées devant une caméra de cinéma alors que c’est bien plus important d’accorder quelque attention à tous ces chercheurs qui tentent de trouver des voies pour nous débarrasser du cancer ou ces associatifs qui font tant de travail pour rendre la société plus solidaire. Et les obsèques de ce journaliste sportif, encore de l’émotion, des larmes et moi je n’en tape complètement que ce type s’en soit allé. C’est la vie et puis il n’a pas apporté beaucoup d’intelligence au téléspectateur lambda. Vous m’agacez avec les émotions, servies à toutes les occasions. Et bientôt aux JO, quand le gamin du pays gagne une médaille et que le micro est tendu à tous les gugusses attablés au bistrot du coin face à l’écran télé, fiers et pleins d’émotions. Je veux de l’info intéressante, utile, axée sur le monde et ses évolutions, avec des événements importants relatés et interprétés, pas cette guimauve émotionnelle quotidienne, dès qu’un manège de foire se met à foirer, envoyant dans le décor un gosse qui pourrait être le mien mais justement qui n’est pas le mien, alors je n’ai pas envie de m’encombrer le cerveau à voir des pleurs et des ressentiments. Les émotions, ça se garde chez soi. Vous faites chier, vous les journalistes, avec vos mièvreries compassionnelles censées nous associer à cette grande messe des pleurs. Le monde n’a pas à être vécu émotionnellement mais spirituellement, avec son sens et ses événements esthétiques, avec ses innovations et ses décisions politiques.

 

Il faut que le sage reprenne le dessus. C’est fait ! Une vue plus philosophique incline à penser que cette profusion d’émotion est servie aux spectateurs qui sont en fait des mammifères et qui disposent à ce titre d’un système limbique. Cher spectateur, le journaliste il vise le mammifère qui sommeille en toi et cherche à réveiller ton système émotionnel car tu ne dois pas oublier que tu es aussi un veau comme l’a dit le général de Gaulle. Et finalement, quoi de plus ordinaire que des télévisions qui cherchent à occuper le temps de cerveau disponible, un temps devant être partagé entre le cerveau limbique et le mental raisonnant. C’était la vision d’un vieux sage mais il suffit de prendre le vélo, de circuler cours de la libération puis cours Pasteur en prenant la piste cyclable en sens unique et de croiser d’inciviques cyclistes en face pour redevenir grincheux, surtout que parfois, en s’arrêtant, on leur explique que c’est de l’autre côté qu’il faut circuler mais comme ya le tram, ils tentent de vous convaincre qu’ils ont raison. Décidément, Bordeaux est une ville pour grincheux mais ailleurs, ce doit être pareil, l’herbe n’est pas plus verte et ce soir, l’herbe du stade Chaban-Delmas sera occupée par les spectateurs du concert de Johnny. Il paraît que la mairie aurait loué le stade à des conditions avantageuses. Encore un motif pour grincher. A pluche.


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