Un peu plus près des étoiles

par jjwaDal
lundi 18 mars 2024

 La nouvelle fusée de la compagnie américaine « SpaceX » a connu son troisième vol d'essai, jeudi 14 mars 2024.

 Pesant 5000 tonnes au décollage (120m de haut), sous 7600 tonnes de poussée, produite par 33 moteurs au méthane, ses objectifs étaient une fois de plus d'explorer l'enveloppe de vol pour un engin de transport très largement inédit à tous les points de vue.

 Le vol serait qualifié de succès s'il s'agissait d'un lanceur classique, au sens où l'engin a quasiment prouvé qu'il peut mettre sa charge utile sur orbite basse, ce qui ouvre la voie à son exploitation en interne puis à la commercialisation à terme assez proche, mais est plus mitigé quand on considère les objectifs affichés de la compagnie et les attentes de la NASA, qui compte sur un variant du second étage pour poser des astronautes sur le sol lunaire dans la décennie.

 Les points positifs sont importants. La fiabilité du premier étage est quasiment démontrée car c'est la seconde fois consécutive que les 33 moteurs fonctionnent de façon optimale pendant toute la phase propulsive du premier étage. Or, il pourrait s'offrir le luxe de perdre plusieurs moteurs en vol sans incidence sur le résultat final.

 

 C'est aussi la seconde fois que la séparation « à chaud  » des deux étages se fait correctement. Allumer les moteurs du second étage avant la séparation offre des bénéfices substantiels (charge utile, alimentation meilleure des moteurs en carburant) mais équivaut à allumer un gros chalumeau pointant vers le réservoir de combustible du premier étage, un défi à relever.

 

 Pour la première fois le premier étage après avoir éteint par groupes ses moteurs (il en conserve trois allumés au moment de la séparation) à réussi à rallumer au bout de quelques secondes la couronne centrale de 10 moteurs et a donc opéré un demi tour pour annuler l'essentiel de sa vitesse avec 13 moteurs. L'objectif, d'ici un peu plus d'un an est comme pour la « Falcon 9 » de récupérer le premier étage pour le faire voler régulièrement, mais il faudra une seconde tour pour le récupérer, littéralement sur son prochain pas de tir.

 

 Pour la première fois également le second étage (une quasi navette spatiale en pratique) a atteint une vitesse orbitale (sur une quasi orbite pour des raisons de sécurité et réglementaires) après un vol propulsif de près de 6 minutes.

 

 Les images prises depuis l'arrière d'un « canard » de proue du vaisseau (50 m de long) évoquaient irrésistiblement des images de fiction.

 

 Pour la première fois aussi ils ont testés l'ouverture d'une « meurtrière » (une porte chargée de libérer à terme des « palettes » de leur constellation satellitaire « Starlink », opération qui semble avoir été réussie.

 

 Pour la première fois ils ont transféré plusieurs tonnes de carburant cryogénique entre deux réservoirs internes, un prélude aux futurs ravitaillements en vol qui seront indispensables pour envoyer cet engin de 50m de haut et 100 tonnes sur le sol lunaire.

 

 Les points négatifs ont touché les deux étages.

 

 Le premier a échoué dans son atterrissage en douceur en pleine mer. Contrairement au premier étage du « Falcon 9 », il ne fait pas d'allumage des moteurs pour la rentrée atmosphérique et donc les aérofreins en forme de raquettes doivent faire le travail. Tout semble aller jusqu'à 6km d'altitude où la gestion du contrôle d'attitude semble dépassée par son environnement.

 

 Visuellement l'incident ressemblait à un événement similaire vu il y a quelques années sur un premier étage de « Falcon 9 » où un aérofrein s'était retrouvé bloqué, l'autre essayant désespérément de récupérer la situation.

 

 Pour le second étage, les choses sont plus complexes. Pour comprendre comment le lanceur se comporte dans la réalité il fallait faire « comme si » le véhicule mettait une charge utile lourde (150t) en orbite, donc en pratique remplir les réservoirs du second étage pour assurer cette mission.

 

 Sauf qu'il était impossible d'emporter 150 tonnes de lest dont on se débarrasse avant de revenir dans l'atmosphère, vu que le second étage est censé revenir pour réutilisation.

 

 De plus, on ne pouvait demander au second étage de vider ses réservoirs en phase propulsive vu qu'il était bien trop léger et aurait été mis en orbite sans assurance de pouvoir se désorbiter (rallumer ses moteurs pour la manœuvre).

 Le second étage est donc arrivé en quasi orbite avec une masse supplémentaire de carburant interdisant tout retour intact, le bouclier ne pouvant gérer un corps de rentrée atmosphérique proche de 200 tonnes, il n'est pas calibré pour. Ils ont essayé de purger les réservoirs pendant la phase de croisière avec un succès mitigé car le temps leur était compté, pendant que l'étage passait en mode « rôtisserie », une rotation autour du grand axe pour égaliser la température extérieure du véhicule, de ses réservoirs surtout.

 

 Pour entrer correctement dans l'atmosphère et donc tester le bouclier thermique et le reste (l'informatique embarquée déjà pour le contrôle d'orientation du véhicule) il fallait au minimum pouvoir annuler la rotation du véhicule et se débarrasser de l'essentiel de l'excédent de masse, donc du carburant en trop.

 

 La première opération a échoué, peut-être en raison de la formation de glace dans les réservoirs, un dégazage aussi intensif abaissant la température des ergols qui sont déjà à la limite du point de congélation pour l'efficacité des moteurs, donc conduite bouchée, valve bloquée, on ignore encore...

 

 Cela en soit condamnait le vaisseau puisqu'il ne dispose de bouclier thermique que sur le ventre et présenter une autre surface non protégée est sans espoir de survie.

 

 En problème additionnel, cela interdisait de brûler du carburant en allumant les moteurs, donc maintenait un excès préoccupant de carburant dans les réservoirs.

 

 Le second étage est donc entré dans l'atmosphère en surcharge importante et avec un centre de gravité dangereusement proche des moteurs (le réservoir d'O2 est juste au dessus des moteurs et aurait dû être vide et le réservoir de nez pour l'atterrissage était vide au lieu d'être plein vu le test de transfert effectué), et en rotation sur son grand axe. La présentation inattendue du véhicule face à l'atmosphère a accentué les mouvements internes du carburant, excluant toute gestion par l'informatique embarquée. La pesanteur a fini par positionner le véhicule moteurs à l'avant, signant sa fin à 65km d'altitude.

 

 Globalement c'est plutôt un succès pour la compagnie qui pense pouvoi lancer ses satellites « Starlink » d'ici la fin de l'année sur ce véhicule et donc commencer à rembourser les investissements fait sur ce projet. Il est aussi envisageable de pouvoir récupérer le premier étage dès que la seconde tour aura été construite, ce qui réduirait les coûts de lancement en augmentant le temps et l'espace disponible pour la fabrication des seconds étages plus difficiles à récupérer sans doute.

 

 Ce succès est en demi teinte pour la NASA qui espére pouvoir compter sur ce lanceur pour ses missions lunaires. Personne ne semble plus croire vraiment qu'il sera disponible pour « Artemis 3 » (officiellement fin 2026 mais au mieux 2027 sans doute) et les années à venir seront chargées., même si certains scénarios ne l'excluent pas.

 

 Il y a un espoir raisonnable de voir la fusée voler 4 ou 5 fois cette année, ce qui en soi serait remarquable, mais uniquement en mode classique (consommable), faute de pouvoir récupérer les deux éléments.

 

 Or, pour les projets de la NASA il faut pouvoir maîtriser le ravitaillement en vol qui devrait nécessiter la mise sur orbite en un temps assez court (quelques semaines, au pire un mois ou deux) de plusieurs « Starship » en version tanker pour transférer des centaines de tonnes de carburant dans un dépôt orbital en orbite basse qui servirait à remplir les réservoirs du vaisseau destinée à se poser sur la Lune.

 

 Une fusée fiable est indispensable comme l'est une deuxième tour de lancement (il en est prévue au moins 4 ou 5 à moyen terme), mais l'opération sans réutilisation des deux étages serait problématique. La même serait plus abordable avec un premier étage réutilisé. Mais elle n'est pratique qu'avec les deux étages réutilisés bien entendu.

 

 Le gros avantage pour la compagnie est que les vols fréquents pour le lancement de leur constellation vont faire l'essentiel du travail de recherche en rapportant de l'argent au lieu d'être une ligne budgétaire de coûts massifs à supporter.Comme pour « Falcon 9 » chaque vol sera l'occasion de tester et d'améliorer la technique de récupération des deux étages en mission secondaire.

 

 D'ici 5 à 10 ans, la compagnie espère disposer d'un « couteau suisse » capable de tout faire ( sur le papier c'est le seul lanceur capable de dévier un astéroïde de la classe de celui ayant balayé les dinosaures par ex) à prix réduit et de donner des capacités totalement inédites conduisant naturellement à des bases lunaires ou des voyages vers Mars et des installations sur place. Donc l'enjeu va très au delà de la mise au point d'une nouvelle fusée mais vise la mise au point d'un nouveau moyen de transport économique pour explorer un autre environnement que celui dans lequel nous avons toujours vécu. Le tout sur fond privé, quand le Pentagone dépense pas loin de 1000 milliards de $ par an pour « assurer la sécurité » des américains.

 


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