Droit comme un « i »

par C’est Nabum
mardi 18 octobre 2022

 

Au piquet.

 

Ils avancent droit comme un « i » sur un frêle esquif dans les aléas de la circulation. Ils ont le casque vissé sur la tête pour ne pas avoir à entendre le vacarme qui les entoure. Ils n'ont ni armure ni carrosserie, chevaliers sombres de la nouvelle mobilité, bardé de l'orgueil d'aller dans le bon sens pour sauver la planète de la grande pénurie.

Ils se traînent ou bien foncent tête baissée et non casquée, se moquant des règles et des codes, convaincus qu'ils peuvent se permettre de s'émanciper de tout ce qui entrave ceux qui s'obstinent à user de cette maudite automobile. Juchés sur leur ridicule petit engin, en équilibre sur cette mince planche de salut, ils avancent vers leur destin, inconscients du risque qu'ils courent.

Ils empruntent indifféremment le trottoir, la route, les pistes cyclables, se pensant sans doute à juste titre, au-dessus des lois. S'étant prosternés devant la Fée électricité et le Dieu commerce, ils bénéficient de l'immunité qui sied à ceux qui ont mis les deux pieds dans la modernité. Une posture fort inconfortable du reste et assez grotesque pour qui veut bien regarder ces adultes, singeant les enfants qu'ils n'ont jamais été.

Ils ont mis au rencart tout ce qui suppose le moindre effort de la marche à la pratique de la bicyclette, fut-elle assistée d'un moteur de complément. Ils ne bougent pas, supportant vaillamment les intempéries, les risques urbains et les foudres de ceux qu'ils indisposent avec morgue et mépris. Ils sont l'avant garde des nouveaux humains qui engendreront des culs de jatte, faute d'avoir utilisé leurs membres inférieurs pour aller de l'avant.

Ils se meuvent nuitamment sans se soucier d'être vus, persuadés qu'ils brillent de mille feux sur ce symbole merveilleux d'une modernité qui avance les yeux fermés vers son apocalypse. Comment ne pas les voir du reste, eux qui se dressent sur leurs ergots pour toiser tous les autres usagers de la ville. Ils poussent même la morgue jusqu'à emprunter les voies rapides pour se rendre plus rapidement à la morgue.

Ils ont cessé de battre de la semelle, comme le faisaient jadis leurs ancêtres, pour qu'avance un engin qui fut jadis un jouet pour les enfants. Le moindre effort leur coûte, surtout celui qui leur imposerait le respect du piéton ou la prise en compte des automobilistes. Ils n'ont pas à se soucier des autres, ils sont la nouvelle race, ceux qui fonctionnent à pile et à farce dans tous les domaines de leur existence.

Leur folle chevauchée achevée, ils plient leur engin pour aller encombrer l'endroit où ils se rendent. Ils ne peuvent se passer de leur joujou, ils doivent le couver du regard ; les gens sont si jaloux de ce merveilleux véhicule. Et puis, il leur faut recharger la batterie en se mettant en prise partout où ils se trouvent. Il est préférable de faire tourner d'autres compteurs que le leur.

Ils ont été engendrés par une société qui se prosterne devant tout ce qui se vend, qui laisse se répandre des engins sans que nulle réglementation ne précède leur venue. Quand le législateur se rend compte qu'il a été débordé, il est bien trop tard pour revenir en arrière ni même appliquer des mesures élémentaires prises à la remorque du réel.

Pourra-t-on mettre au piquet cette horde sauvage constituée de jeunes gens attirés par la nouveauté tout autant que d'adultes bardés de la certitude d'être dans le vent. Pour être dans leur élément, il n'y a pas de doute, ils découvriront les joies des intempéries de toutes natures et surtout le grand froid qui risque fort de leur faire découvrir la fonction primaire de leurs membres inférieurs : la marche.

Quant à moi, ne voulant pas m'abaisser à user de mes membres supérieurs pour leur adresser un bras d'honneur, je me contente de laisser mes doigts courir sur le clavier pour rédiger une charge qu'ils ne seront certes pas en mesure de comprendre.

À contre-voie


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